Année des Adolescents. Zinaïda & Nicolas - Les Adolescents. Été
Date du document : Avant 1984
Date du document : Avant 1984
Date du document : 1973
Extrait de la version définitive des États du Monde (en cours de réduction)
Autant ce regard sur le Roman de Marie Vetzera jeté vers l’arrière à partir du 7 octobre 1972 s’envole avec la force du négatif hallucinatoire par cette fin primaire du hercynien au-delà des portes rouges de la conduite intérieure, en arrière, jusque sur les hauteurs froides et silicieuses de la Forêt Noire, au-dessus de l’essence, du lin, de la culture industrielle du chanvre et du houblon, s’enroule dans les plis des drapeaux claquant un instant au-delà des stations, se mélange avec les slogans, se combine aux calicomanies gothiques, autant vous voilà complètement projeté vers l’avant, ce goût que vous dites, d’un mouvement caoutchouteux et tendre ailleurs qu’en elle, semblable au jeune pigeon duveteux que Prosper avait vu errer sur les décombres du Phœnyx, à travers les tamaisies sauvages du parc abandonné de la maison détruite, les repousses d’érables et les herbes folles, ricin et toutes sortes de raisin sauvage vert et violet ; oisillon égaré, cou plumé, tête chauve et œil de perle noire, pattes à rares plumetis.
Chaque nuit Prosper avait une épreuve à franchir avant d’atteindre la Forêt Noire. Une fois c’étaient 8 chiens féroces qu’il lui fallait renouveler pour sa garde, devenus des sortes de boucliers, cauchemar qui se concluait par des brûlures stomacales et une puanteur pourrissante excrémentielle le réveillant en pleine nuit avec une terrible envie de vomir. Une autre fois c’étaient des serpents géants, des boas, qui s’étaient insidieusement glissés, déployés, déroulés menaçants autour des pieds d’une petite fille qu’il n’avait pas, le temps qu’il grave ses initiales sur un tronc. Il se précipitait, disant à celle-ci de ne pas bouger, tranchant les têtes de serpents à coups sourds de hachette. Une autre fois, malgré les travaux énormes entrepris dans le grand salon circulaire du Phœnyx, c’étaient des failles qui subsistent et des infiltrations au plafond de l’entrée. Chaque nuit avait sa progression négative, comme s’il ne cessait d’avancer vers une régression toujours plus terrible.
Prosper advenait sans répétition ; il n’a jamais imité personne ; il se posait en soldat, avec sa logique du chaos et de la défaite, ses difficultés gastriques ; sortant de l’enfer abdominal de la guerre de 14 et d’une obscurité où tout se coagule et se confond pour débarquer sur le théâtre aux cent mouvements, ce froid de neige, ces vents gris ; torturé par ses chifres : 4444, 2 fois et 2 & 4, cherchant une forme désespérée mais absolue, invisible mais répandue partout au milieu de cette glaciation de la vue, tournant la tête de 3/4 arrière vers la droite, vers la Bavière et ses petits lacs, puis plus avant vers la Bohème.
Date du document : 1973
Extrait de la version définitive des États du Monde (en cours de réduction)
Martin, le monteur a 29 ans depuis deux mois exactement, ce 11 novembre 1973. Il sent le Chili pris dans un piège autocratique comme celui d’Arturo Hui. Jusqu’à son anniversaire il était immortel ; plus maintenant. Il se souvient de la phrase qu’elle lui a dit à propos d’Allende en bas de la rue Washington après lui avoir acheté un gâteau : “Vous n’êtes plus un collégien !”
Il a attendu longtemps que Nany le rejoigne tout en faisant des dérushages et des débuts de mixage ; il devait lui amener des bruits de littoral andalou enregistrés voilà quatre ou cinq ans qu’il voulait filtrer, écouter à plusieurs vitesses, essayer de décrypter. Ne le voyant pas venir, il va partir. Nany se sera probablement trompé de studio.
Martin aime les instruments rarissimes, vielles ou autres, reconstitués et construits d’après des tableaux, des fresques ou des sculptures.
Toute la journée il a été nappé d’informations qui ne l’accrochent pas (car il considère que chacun a son son, selon le plus dénominateur non commun), à part les bandes enregistrées de Wafa du 7 octobre dernier faisant état d’attaques d’appareils sionistes dans la région de Ain Atta au Sud-Liban et de la riposte des commandos palestiniens ayant détruit la station radio en langue arabe installée à Jérusalem. Puis d’un bombardement sioniste sur le mont Hermon. À par ça “Le vent, Léon, le feu, les bruits du petit matin dans la rue du Cardinal-Lemoine, le culte d’un blanc vaudou, un safari…” Le plan de la table de mixage sembla s’incliner jusqu’à tomber, prise dans une durée de pestilescence masochiste affreuse, surchargée des confidences dramatiques venues des quatre coins du monde. Rien qui saute à l’oreille, qui d’un coup fasse jaillir le mort hors du trop-plein des veillées mortuaires, ces innombrables veillées que constituent la plupart des dramatiques radiophoniques comme cette mauvaise parodie de Guitry où ce dernier figurait comme personnage en majordome pétomane dans une pièce anale où l’on ne faisait que manger. Ou encore comme celle de cette nuit dont le narrateur assistait à la mort d’une mère Marie ou d’une tante Lulu lors d’une première séance de cinéma ; et il hésitait à assister à la deuxième séance pour revoir ça alors qu’il avait rendez-vous avec sa plus jeune fille, déjà atrocement malheureux d’avoir assisté voilà quelque temps à une opération inutile et sans nécessité aucune sur le corps de son autre fille plus agée ; c’était totalement catastrophique et il pleurait énormément. Toujours est-il qu’il revenait à un moment, et c’était pour la messe funèbre tenue à l’église, totalement effondré. Puis il sortait dans une ville de fantaisie, de fréquence fantasmagorique, féérique, de connivence avec des filles qu’on retrouve en douce des autres… méandres, méandres, commerce, immense traîneau dans la neige en relation avec des femmes connues.
Date du document : 1973
Extrait de la version définitive des États du Monde (en cours de réduction).
« Marette : C’est les deux premières notes ça ; c’est le la et c’est “pouec pouec”. Hi ! Hi ! Hi !
Françoise : Elle est con, Marette ! C’était la poésie des cafés de Poitiers à ceux de Dijon. Les alcolytes anonymes comme dit Jérôme. Avant y’avait eu les rencontres avec Raoul dans le Brabant, mais son bouquin a été publié grâce aux “provos” et pas grâce à Queneau qui l’avait soutenu. De ton côté, toi Nany, tu rencontrais Engel après “Dans la jungle des villes”. Après avoir été séparés, on a été surexposés.
Riri : Les “Provo” sont devenus les “Kabouters”, après l’échec de leur mouvement. Moi j’ai rencontrés à Amsterdam Roel Van Duyn. Ses références c’était Marx, Kropotkine, Paul Goodman et Dada. Comme je prépare un bouquin sur la dissolution des avant-gardes, ça m’a intéressé. Ils traînaient peu avec les situationnistes qu’ils trouvaient arrogants et méprisants, stupides, sauf Constant, l’architecte, vite exclu du groupe.
Françoise : Y’a l’Orange-free-state. Ils occupent des centaines de maisons abandonnées et les restaurent. On ne les expulse pas.
Anne : Puis y’a les free-clinics.
Françoise : Moi j’ai vu surtout les fermes biologiques à la campagne, leurs magasins coopératifs et gratuits de produits naturels qui servent de lieux d’agitation et leurs services d’aide aux vieux.
Riri : Les Kabouters organisent le Provotariat d’avant-garde avec leur journal Panique. De la main gauche on installe l’utopie dans le vieux monde, comme un champignon qui va proliférer ; de la droite on attise le feu et on attaque l’ennemi. Ils sont en lien avec les Diggers à San-Francisco…
Anne : Ringolevio, c’est un bouquin que Jésus adore.
Riri : Puis avec It et Oz en Angleterre.
Françoise : À Londres c’est l’été dernier, non, qu’il y a eu le procès d’Oz ?
Date du document : 2 novembre 1995
Date du document : 22 Mars 1964
5. Saint-Michel
Jean, Norbert, Manolo,
Le gourdin à la main
Sali dès le matin,
S’en vont à leur boulot.
Et la robe des ânes
Par la rue Traversane,
Au-dessus des barquettes
Couvre mal leur quiquette.
Il auront un peu d’or
Qui descend sur le port,
Le gras-double qu’on trouve
Sur la marché des Douves,
Un reste de guano
Et du churrizano,
Le cassoulet de Jules,
La saucisse d’Hercule,
Place du Maucaillou,
Du graillon barbaillou
De Sœur Marie-Thérèse
Dont ils baffrent les fraises,
Un tonneau de piquette,
Un lapin, la sanquette,
Et des frères Moga
Le pâté noir bien gras,
Une soupe à l’oignon
De chez Napoléon…
Publication : Mettray n°7. Automne 2004
Date du document : 2009
À chaque fois qu’on rencontre un Horrible Travailleur, il périme tout un pan de la vaine production d’alentour, la rend caduque, et on ne peut que s’en réjouir. Autant de débroussaillé ; nous sommes dans un territoire de l’Inscription et toute découverte dans un autre endroit est toujours bénéfique. Autant de temps gagné. La fraternité est de mise.
Avec Joël Roussiez tout est mouvement comme dans la pensée chinoise où “les réalités que simulent les mots ne sont pas des choses arrêtées mais des mouvements”(1). Implosion, explosion et dispersion que la spirale du Voyage Biographique emporte, ou mouvement des marcheurs cosmopolites à travers les méridiens du monde de Nous et nos troupeaux.
1. Nous et nos troupeaux
“ « Cosmos terrien de vie » je dis.”
“Avançons sans peur aucune, sans crainte des coups, ne cherchons rien
Croisons des hommes qui ont cherché et s’en reviennent
Des qui s’en revenaient, n’avaient rien vu…”
Les paysages des Troupeaux sont comme ceux de Cozens, lui-même tellement chinois dans sa technique tachiste avec cet effet d’éloignement qui abolit la césure entre esquisse et dessin achevé, ce miracle ophtalmique permettant de faire disparaître autant les grossièretés de la tache que les finesses de l’exécution attentive. De loin le dessin devient une tache modulée et la tache un dessin vigoureux, tous deux pris dans le même ravissement de l’œil.
Ce génie de l’esquisse est partout présent dans les traversées des paysages de Roussiez où des notations extrèmement précises sur les couleurs, les climats ou les coutumes de certaines populations (voire les “marques” mécaniques) alternent et glissent avec de vagues affairements : intrusions humaines laborieuses ou énigmatiques dans “une sorte de camp de matériaux variés”.
Publication : La Main de Singe
Date du document : 1964
0. Biblio
A. Jourdain
(détruit par le cousin “Néné”, sauf ce lambeau ; bagarre.)
Mathias, la rue du Porc, le gourdin à la main,
En 3837, pour le matin ;
L’aube rosit le fleuve et la robe Epiphane,
Tandis qu’à leurs sabots par la rue Traversane,
Les pires de chez nous: Jean, Norbert, Manolo,
Se rendent aussitôt livrés à leur goulot,
Tressant cette Entreprise embrayant des barquettes
Où traînent des boulons trop gras pour les liquettes
Pendant que le Grand-Prêtre avec sa tiare d’Or
Remontait la Garonne et descendait au Port.
Mais on le pèlera de sa pourpre en nos Douves,
Puis on en traînera dans la Ville-qu’on-pave
Sa lame d’or gravée d’un “Sancto Domino”,
Quand l’Equateur n’est plus qu’un ridicule anneau!
Jusqu’aux Abattoirs bleus du Dimanche en soirée,
Le carreau non lavé titrant ses diarrhées.
La pâleur de ses traits, sa tristesse, qui, mieux
Qu’un suaire le cerne, os débile et piteux,
Les Machabbées et les Momies s’en entrechoquent,
Bandeau d’horreur à sa vue noirâtre et ses cloques.
Armes broyantes d’or, du bouclier ouvert
De plaies délicieusement crues ! devant l’Enfer.
Enfin la Toute-Puissance avant les feux, l’âtre !
(“O l’hostie salutaire oblongue et bien douceâtre !”
Son coeur soudain surpris et creux par toutes gouttes
Qui tombent des forêts tant qu’il court sous leurs voûtes.)
Publication : Revue Mettray n°7. Juin 2004
Date du document : 2009
Approche d’une éthique de la description.
Il faudrait dire qu’elle n’est pas représentation, ceci par exemple de Semprun(1) est à rejeter comme facticité « Il ne peuvent pas comprendre, pas vraiment, ces trois officiers. Il faudrait leur raconter la fumée : dense parfois, d’un noir de suie dans le ciel variable. Ou bien légère et grise, presque vaporeuse, voguant au gré des vents sur les vivants rassemblés, comme un présage, comme un au revoir.
Fumée pour un linceul aussi vaste que le ciel, dernière trace du passage, corps et âmes des copains … » Le passage en italiques permet de bien comprendre ce qu’il ne faut pas faire pour rendre compte et offrir au lecteur une impression juste. Il faut être prés de la chose, or on s’en éloigne lorsque on veut « raconter la fumée », on ne raconte pas une chose, on la rend présente, c’est le rôle de la description.
etc.
Date du document : 2008
Ce texte fait partie de l’ouvrage à paraître Le Voyage Biographique de Joël Roussiez.
Une abeille voulait manger de la confiture, elle est tombée dans un piège. Les deux enfants ont vissé le couvercle, elle bourdonne à l’intérieur du bocal. Les deux enfants la regardent puis ils vont se promener dans la nature parmi les herbes hautes et les champs ondoyants. Ils brandissent leur trophée au bout de leurs bras, le portant tour à tour et le collant contre l’oreille pour écouter « bzz, bzz, bzz » ce qui ressemble à la mer. Leurs pieds les emportent et les promènent sur une lande, des animaux y bourdonnent, des mouches et des abeilles volent parmi les bruyères ; dans le ciel des oiseaux planent au-dessus des falaises. La mer est en bas. On en a le vertige. Les falaises se cassent contre le bleu des eaux, tombent du ciel, s’éloignent de la terre et se prolongent sous les vagues, le blanc devenant glauque puis sombre, puis noir. Des courants sombres disparaissent dans les profondeurs, des ombres fluides coulent sous l’épaisseur des eaux en dessinant des croupes … Un roi chevauche dans la plaine ondoyante; un enfant se colle à son dos et serre sa taille puissante. La nuit tombe et les enveloppe de formes sombres, des ombres les caressent et s’effilochent à leur passage « on dirait qu’elles les retiennent ». Le roi filait sur sa monture, l’enfant s’agrippait derrière son dos, tous deux fuyaient sur la lande sauvage. Ils chevauchaient sur les collines innombrables et regagnaient ainsi le château dans lequel la reine inquiète attendait. Le roi se dépêchait car il craignait la nuit et l’inquiétude de la reine. Il courait sur sa monture sombre. L’enfant disait : « j’ai peur! On me pince, on me griffe» … « Ce n’est rien, ce n’est rien » disait le roi en se hâtant. Leurs ombres passaient rapides parmi les forêts sombres, sur les chemins, longeant d’étranges marais où serpentaient des formes sur le sol qui se dressaient d’un seul coup, occupant toute la route, menaçantes comme des bandits de l’ancien temps, puis elles s’éclipsaient absorbées par des trous, entrainées par la boue des marais où elles se noyaient. Des arbres pas très grands fouettaient les corps effrayés de créatures qui fuyaient ; ils harcelaient les hommes aussi bien que les bêtes, ils gesticulaient dans les toiles de la nuit et s’y débattaient en sifflant de manière lugubre. Alors d’un seul coup, le soleil se mit à resplendir, il remplit de clarté l’espace d’une lande qui descendait en pente douce jusqu’aux rochers surplombant modestement la mer qui roulait à leurs pieds. Les enfants déposèrent leurs trophées et se mirent à creuser. Ils firent un trou, ils y placèrent le bocal. A l’intérieur, l’abeille bourdonnait et se heurtait à la cloison de verre. Parmi la bruyère et l’herbe sèche, ils reposaient ensuite enlacés. Leurs souffles soulevaient sans hâte leurs poitrines endormies et parfois on entendait la plainte heureuse d’un soupir satisfait. D’autres fois, c’était comme un frisson qui traversait leurs peaux. Une peur égarée passait par là et les secouait un peu. Puis ils se réveillèrent, ils s’étirèrent longuement devant la mer étale comme un lac. Lorsqu’ils se levèrent la brise caressa leurs visages et les rafraichît, alors ils jouèrent … On roule l’un sur l’autre en se laissant descendre le long de la pente. On se laisse emporter par son poids, c’est vraiment drôle. A deux, ça va plus vite. On a le tournis, la tête se dévisse, c’est ma tête, c’est la tienne. Nos têtes se mélangent, nos cheveux s’emmêlent. A l’intérieur du crâne, ça bourdonne, ça va de plus en plus vite.
Date du document : 1970
(Il s’agit d’un petit Extrait du Chapitre 6 de l’Été)
C’était bien de vouloir partir ainsi. Mais qui se satisferait de ce simple redoublement de soi-même, de cette ombre portée en avant, idéale et nocturne, de cette infra-mince connaissance du monde ? Puis quel lecteur s’attardera sur cette Aventure matinée d’Argentine ?
« On continue, on verra bien ! »
*
Pendant ce temps de préparation du mouvement, entre le retour de Cádiz et la Grande Fugue aux Amériques, alors que je continuais à bien fournir le répertoire, à rencontrer d’autres comédiens, à choisir régisseur et techniciens et à améliorer ma connaissance de la photographie, mon frère Nicolaï travaillait comme magasinier à la Régie dans les champs du Bouscat.
Comme il était stipulé dans le contrat qu’on ne pouvait recevoir
d’argent sans déplacement (faiblesse théorique et a priori latin de l’oncle lointain, qui n’avait pas compris la vitesse immobile), et comme d’autre part la ville de départ ne pouvait être considérée comme une halte, nous subvenions ainsi chacun à notre façon à nos besoins.
Magasinier ? Aucun grand écrivain ni artiste ne l’y autorisait. Il se fixait à peu près les mêmes objectifs possibles que Nany : expéditionnaire, bibliothécaire, etc. Il avait bien supporté pourtant de teindre des chats, tout le printemps de l’année précédente, sur la rive gauche de la Garonne, bien qu’il n’y ait jamais eu de “modèle exemplaire” dans ce sens-là non plus, travail plutôt repoussé par tous ceux qui les idolâtrèrent ! Mais magasinier ! La violence du sabotage était donc nécessaire pour résister au siphon de la connerie. Elle était poussée au centuple par Saïd. Et je vins les rejoindre à quelque temps de là.
Date du document : 1983
L’Effondrement de la Carte
“Mon Papa, il est bien malade, retourné, devenu lamade et baveur de bile, débile. Prenait Festale, avant de connaître les jumeaux Kay, les fils de Violet. À présent plus rien, c’est foutu.
Les Kay vivaient sur le port, là où Charlie était au trimard ; leur père était broc. C’est à huit ans qu’ils se sont vus ; il y avait là José aussi, José Arès ; ils faisaient de la boxe avec le curé Bonnet , à La Flèche.
La dernière fois, il a chu dans le fossé avec Jack “the Hat”, un bon irlandais, un pot’ de prison des Kay (le “Hat”, pour cacher qu’il est chauve, et peut-être donneur).
On voit bien, à le suivre de dos, à l’importance de ses trapèzes pour un homme de la balle, tout le passé ardu de sa vie de cirque, les ours gris argent en hiver, la fréquentation de la neige (moins dangereuse que celle des Kay), l’arrachage et la plantation des piquets d’amarres.
Il a pas été connu de tout temps. Ainsi, du moins. Ni connu les Kay. “Vice ignoble” disait Mamie. Salles de jeux. Leslie Hot et Lili Spot. Phrénésie ! Alcool de contrebande. Serments d’Hippocrites ! Dipsomane, qu’on lui crachait !
Le docteur Dugoujon est venu, lui qui buvait que de l’eau, un jour de crise. On le chirurgica en ivrogne, comme un avare, à Saint-André. Jivago n’était pas là.
Ensuite, plus les Kay débarquaient, plus ses blessures se compliquaient. Tout un tas d’autres apparitions lui tombèrent dessus à la suite, par “infiltrations”, insidieusement : Le Fisc, Le Cadavre de Terry Martin, La Dent Creuse de La Loi, Le Maître, Pete Bondurant…
Date du document : 1984
VUE DE LOIN, la citadelle grise gigantesque dans les nuages avec une irradiation blanche verte, des nuages gris-verts, et dessous le sommet de la colline. Au-delà la nacre d’huître des crêtes de vagues tout autour de l’île, les glauques ourlets. Un idiot dans la voiture à côté de la mienne qui roule sa langue, gratte l’arrière de sa tête de sa main droite, bras torsadé, et qui enfonce en tournoyant sans cesse son index gauche dans son oreille gauche. Rien ne dira le bien fourni de ces nuées pas plus que l’immense cavalcade d’énormes cumulus sur la gauche doublant les arbres de la vallée. Là pour le coup devant le film la langue est pauvre. J’arrive dans mon quartier.
Au film par contre échappe l’ampleur de la lumière orageuse sur toute la vallée, cette pénétration de l’or à travers toutes les couches du vert, la façon dont le clocher d’église repose sur un autre terroir de verts profus ; cela, seuls la peinture et le dessin peuvent le déployer.
Incroyables liserés blanc magique fuligineux des nuées grises, ces hauteurs de château, sans doute après l’équinoxe, cette vibration de craquelures à mesure qu’on avance dans la voie de la vallée, ces tressements, ces chevelures en zigzag, ce boisseau de foudres : non certes l’écriture ne peut en rendre compte. Voilà le bloc où se trouve mon bureau.
Date du document : 1970
L’Usine des Rêves
C’est extraordinaire ! La terre s’est retournée mieux qu’avec une défonçeuse double. Il neige ! C’est l’Usine des Rêves.
Voilà un plan d’exode massif qui passe, pour celui qui veut en finir avec l’Usine Seconde, sans se rendre compte qu’il tire sur son pousse-pousse un tas de tonneaux inutiles.
La connerie de tous les abrutis du siège s’était feutrée ce matin-là mieux que de la passion des roses rouges. J’étais sorti du lit avec un rêve antédiluvien coincé dans mon cervelet, et une gêne de ce côté-là, reptile ou herbe, pris d’une desmopathie générale. Les Bouriates ne m’étaient encore qu’un horizon à perte de vue tandis que Saîd avait perdu depuis longtemps ses ancêtres kabyles ; j’en viendrais un jour par procéder de point à point sur une carte, et uniquement comme cela. Ai-je encore une fourrure de glouton ? Voyons.
Du coup, je n’entendais plus les discussions, mais des voix, et celles-ci comme en hauteur, ou après avoir plongé profondément.
(Dans les hauteurs des monts kabyles en été, m’a dit Saîd, on entend sous les étoiles des voix dans les buissons, dans l’extrême fraîcheur de la Nuit : ce sont celles des jeunes recrues qui vont partir à l’armée, et qui chantent des mélodies d’amour en s’accompagnant à la harpe.)
Date du document : 1969
Nany.
(Le Dentiste me convoque dans l’ancien saloon où il travaille, et au lieu des réparations prévues avant mon récital de gospels autour des Apôtres chez La Grosse, qui a une grande terre, un peu plus bas, alors que je me préparais même à lui en entonner un du bon négrier John Newton, il m’impose un énorme appareil (paraît-il “nécessaire à mon registre”) en citrine transparente et résine polyesther, mais d’une construction extrêmement lourde et comportant des sortes de roues ou de “cales” aussi grosses que des demi-pommes, qui me forcent les joues plus encore que ne le fera le futur Barrault dans le rôle d’Opale, de Renoir, et les blessent.
Date du document : 1978
Enfant, j’ai débarqué à l’île Seguin. Ensuite, devenu karatéka, lorsque j’ai de nouveau travaillé en usine, c’était uniquement pour notre communauté et pour préparer l’installation de mon “Camp du Gers” avec Maître O, en attendant de pouvoir rejoindre les autres en Afrique et aux Amériques. J’ai alors énormément volé, saboté et détruit de matériel ; cela faisait partie de nos consignes. Je glandais au lieu de travailler, provoquant les abrutis, les frappant entre les rangées de pièces, semant les objets n’importe où, brisant les plus précieux. D’autres du groupe sont venus travailler avec moi occasionnellement : Le Gitan, Pipo, Walter, Nany El Niño, et même une fois Osiris, mais le jour où il est venu, il neigeait et l’Usine a fermé, ça tombait mal !
Date du document : 2004
Cette nouvelle est de Claire Viallat. Elle fait partie d’un volume en cours d’élaboration.
“La journée s’annonçait claire”. Or, il se trouve que L’Ombre est partout, à la fois savante et tactile ; elle fait partie du sujet et de l’objet autant qu’elle s’en détache. Hombre = c’est l’Homme en espagnol. On dit souvent d’une femme qu’elle est l’ombre de son père ou de son mari : “La fille de…”, “La femme de …” Mais si l’on sait que l’ombre c’est l’âme, ça voudrait dire que c’est ce qui leur échappe de meilleur. Comment dès lors ne préfèrerait-on pas lâcher la proie pour l’ombre ? Le réel du grand Autre chez Lacan, en somme.
Claire Viallat reprend ici une énigme ancestrale.
Comment suivre la ligne de crête de la sagesse entre ombre et lumière, et ne pas basculer au Pays des Morts (il n’y a pas d’ombre au Paradis), engloutie dans ce double anonyme du sujet, comment ne pas disparaître dans l’autre innommable dont les oreilles de loup pointent dans tout autoportrait (“l’autre-au-portrait”), trou de suspens vibratoire de la discontinuité dans le temps, latence prête à bondir sur l’apparence manifeste.
Ou bien, dans le plus pur démon de Midi à l’ombre courte, comment emprunter un passage cristallin vers l’au-delà ou l’Amour danse grâce au cadran solaire d’Arsène Lupin dans le Triangle d’Or ?
Ombre élastique, ombres des personnages à une autre heure que celles des arbres, dans Marienbad, hors-champ total des ombres d’Hiroshima qui sont les seules à rester alors que les corps (qui les ont portées ?) ont disparu après la lumière aveuglante.
Femme sans ombre de Richard Strauss (1864-1949), ombre de Peter Schlemihls qui s’échange dans une triangulation avec âme et bourse.
Puis topologie, topologie : la science de nouer des ectoplasmes ?
Onuma Nemon. Octobre 2008
NOIR ET BLANC
Si au lieu d’une figure vous mettez l’ombre seulement d’un personnage, c’est un point de départ original, dont vous avez calculé l’étrangeté.
Gauguin à Emile Bernard, 1888-1891, Pierre Cailler, Genève, 1954.
Tous excellent à donner un contrepoint de chair, de vie, au fantôme qui occupe le centre du récit, et qui transforme la vision du monde autour de lui.
Critique du film « L’Adversaire » de Nicole Garcia par Aurélien Férenczi, Télérama n°2746.
L’ « ombre représente la somme des domaines du réel que l’homme ne veut pas voir ni reconnaître en lui-même et qui lui sont, de ce fait, non connus donc inconscients. L’ombre représente le plus grand danger pour l’être humain car il ignore son existence, il ne la connaît pas. C’est l’ombre qui fait que nos désirs et nos aspirations ainsi que le résultat de nos efforts se manifestent finalement dans le sens contraire de ce que nous attendions. Les manifestations de l’ombre sont projetées par l’homme sur le monde extérieur où elles prennent la forme du « mal ». Cette projection lui évite de voir que la source de ce mal est en lui, ce qui l’effraierait trop. Tout ce que l’homme ne veut pas, ne supporte pas, n’aime pas incarne son ombre, elle est la somme de tout ses refus.
Thorwald Dethlefsen, Rüdiger Dahlke : Un chemin vers la santé, ed° Randin-Aigne, 1990, Suisse.
Date du document : 1978
Compendium prépondérant.
Tra lala lalala lala ! ”(Saute d’un pied sur l’autre) “Tra lala lala lala ! Tra lala lala lala ! Compendium prépondérant d’un saut d’un pied sur l’autre à travers la forêt. Tra lala lala lala ! Vent froid contenant quelques
blancheurs, encore, de l’hiver passé. Figures de la Moi assez ! Et masques empreints de carbone. Ordures sans pourrissement possible. Arrière, formes fixes du fantasme répressif. Rétro, tout ça !
Cauchemar-Appendice de “MaPa”
Après cela, Memo eut un cauchemar en souvenir de son père : révulsion hideuse de l’Anus qui pend, comme une poche, un cancer, un fœtus, et dont il note le nom latin fourni comme banalement par le médecin : …ictère … … legumine…… Poche bleuâtre et violacée, lac sanguin mort, balancelle, suspensoir d’organe, petit sac ignoble, hémorroïde monstrueux et cancer avéré dans un double retournement de Mœbius, une réversion absolue de nacelle qui soutient cet œuf monstrueux du cul.
Date du document : 1978
Memo Bande à Part
Memo se réfère toujours à sa “Mamie”.
Mapa : c’est sa carte du Monde des Morts, où il circule, car il est le Dieu des Quatre Chiens (Dico, Duco, Facio, Fero). Il devient Onan dans le “Nomadisme” de l’Ourcq.
Memo intervient rarement hors de l’Au-Delà dont il est un Travailleur ; il avait pour intention, Vivant, de revoir sa vie ; il ne l’a pour ainsi dire passéé qu’à essayer de la refaire ; partant de là, il a été nommé responsable de cette fonction pour la Vie des Morts : d’en modifier les embranchements. Il voudrait toujours de la vie extraire “ce qui cloche” et garder le cohérent ; ou bien garder la “crête” en extrayant le vrac et le mauvais ; ou bien encore garder le “tenable” et extraire journal et récifs ; ou bien former des proses et des rouleaux à l’aide des vracs de devenirs ; ou bien composer des dossiers par année où l’on puisse injecter les étoilements de Dico, les poteaux thématiques de Duco, la puissante reviviscence par lambeaux de Facio, les rêves de Fero avec leur cohérence.
La seule chose sur laquelle il ne puisse pas intervenir, c’est “la partie
illuminée”.
Date du document : 1969
Les Parques filent dans le Parc
L’air fluide de la lumière semblable
(On l’a dit)
Pour le ski nautique à
Cette douceur violine :
Antiennes anciennes puis
Date du document : 2000
À l’occasion d’un voyage de Ian McCoy en Andalousie, Garcia Medigo a mis en place avec lui “La Mojo Nation”, piraterie internaute héritée de Flint, des aventuriers des mers du XVIIIe qui rêvaient de contrées libérées du joug de l’Administration, du partage peer-to-peer et des marins de Pynchon. Répartissant les données sur les ordinateurs de trois millions d’internautes répartis sur toute la planète qui partagent leur disque dur, ils travaillent sur le projet Seti@home à la recherche de preuves d’une vie extraterrestre dans les signaux issus de radiotéléscopes. Chaque portion de signal interprétée multipliée par trois millions dépasse la puissance des meilleurs supercalculateurs.
Date du document : 1986
Vous me permettrez d’intervenir du moins en ce point où je fonds avant d’atteindre l’Île Staphysagria de toutes les Utopies Sexuelles qui m’est destinée ! D’autrefois, je conçus que ma vie s’était organisée en séquences (d’où le récitatif du projet) : à chaque nouveau voyage (dans l’espace, le temps, l’esprit), fût-il minime et imperceptible aux autres, devait correspondre une nouvelle partenaire, quelles que soient les conditions (l’accompagnement, l’entourage) du déplacement.
Date du document : 1988
“Vivrai-je jusqu’en 2028 ? La quarantaine est le moment de ce navire bleuâtre, bien différent dans ce cas de celui où je me trouvais à Cádiz, prêt alors à refaire la traversée de Colomb, mais avant cela préparant tous les éléments techniques pour la venue de la troupe sur ce site.
Hier Héraklès est descendu de sa coupe sur le quai, après avoir tué Orthros, le berger Eurytion et Géryon, le fils de Chrysaor. Il a débarqué avec lui tout le troupeau de Géryon et il va remonter par la terre jusqu’à la Grèce.
Galère, drakkar, nef de Byzance, caravelle, vaisseau de premier rang puis brick de guerre, lougre, tartane, frégate et enfin cinq mâts… Prêt à pouvoir construire une naumachie intensive au-delà de toutes mesures des bougies décimales, en coupant au milieu du flux qu’il absorbe comme un buvard.”
Date du document : 1970
Matinée des moines invités
Elle leur dit à tous ces moines venus en enquête spirituelle depuis la Rábida, ici face au Santoña, qu’Onan est sûrement déjà mort d’inanition.
Le pénitencier de Santoña, en face, est à présent devenu invisible à travers cette averse de rideaux. On ferme la fenêtre : éclairs féroces, parquet mouillé, pressentiment de l’année qui tourne.
Date du document : 1979
Texte Inédit. Travail de réduction en cours.
Nycéphore sortit du cabinet d’Acupuncture de Jean Shatz rue de l’Université, une après-midi d’automne de 1979, et se rendit chez le libraire bibliophile dont ce dernier lui avait parlé près de Solférino. Il fit d’abord les cent pas dans les alentours, indécis, pris d’on ne sait quelle crainte d’une découverte, avant de se rendre devant la boutique, comme on se dilapide en marchant. Dehors, à même la rue, le libraire avait disposé sur un étal des rangées de livres de poche que les étudiants devaient lui piller régulièrement ; Nycéphore hésita encore à franchir les deux marches du seuil puis enfin il se présenta à l’homme à la face palpitante dont un tic relevait sans cesse la commissure droite des lèvres. Dans ce capharnaüm où il vivait exclusivement on trouvait Balzac, Hugo, mais surtout au-delà tout le romantisme européen et les décadents. Puis des livres à reliure verte scolaire, des livres de prix à tranche dorée, avec des étiquettes et des numéros : donations de bibliothèques, ainsi de suite. Manies, phobies du personnage chiffon à la main, crainte des taches de tous ordres, raréfaction des moindres gestes comme de se lever pour aller ouvrir le tirage du poèle, retourner un carnet sur la table.
Date du document : 26 Mai 1968
Tract Original
Date du document : 1967
Laredo. Samedi 5 août 7h1/2.
Cher passant du Styx,
Je voulais t’écrire allongée sur le sable de “notre” coin ; promesse que je ne tiendrai pas puisque je suis sur mon lit : beaucoup trop de vent dehors !
Je n’ai pas osé tourner la tête pour te voir partir ; ainsi tout à l’heure tu m’accompagneras sans le savoir dans le vieux village aux rues de cendres grises. Je voudrais tant te donner la main et caresser tes cheveux !
Après t’avoir quitté j’ai couru acheter des timbres et faire provision d’enveloppes violettes (pour toi) ; mais il n’y a nulle part possibilité de trouver des bandes magnétiques vierges, comme tu me l’as demandé ; le mieux sera que tu en récupères encore à la Radio. Je suis d’autant plus désolée que nous n’ayons pu enregistrer le vent sur la plage, ton départ, notre dernière promenade en ville… que Jacqueline était bien là, avec son magnéto, à nous attendre au “Las Vegas” depuis une demi-heure où nous n’avions pas su la voir.
Nous avons rencontré aussi Loco, l’ancien videur à la “Rana Loca”, l’été, pendant ses vacances. C’est un gars du C. R. E. P. S., tu sais, un Anarchiste, un copain de Jésus et de toute sa bande : Minet, Gérard, Bernard… Ces temps-ci, il adore faire des blagues au téléphone ; il nous a dit qu’il pouvait t’aider pour infiltrer des lignes dans des immeubles, avec un magnéto. En partant il nous a donné une carte de sa boîte.
Date du document : 1986
Ce texte figure dans Quartiers de ON ! paru en 2004 aux éditions Verticales, augmenté de ses étoilements plastiques, inserts et éléments sonores.
Date du document : 1989
Ce texte figure dans Quartiers de ON ! paru en 2004 aux éditions Verticales, augmenté de ses étoilements plastiques, inserts et éléments sonores.
Nany Machin, c’est mon nom, je veux tout embrasser, tout emporter au fur à mesure, sans recours, sans aucun retour possible en arrière.
Parce que sorti sans blessures de la fosse aux lions, je suis un fleuve plus impitoyable que le torrent de feu qui fit envoyer à Rimbaud un bas à varices le 27 mars 1891, que l’écriture directe empruntant même sa graphie à l’immédiateté intensive n’est pas tout de moi, mais d_oit être dite_.
C’est Commode, le premier, qui, loin d’une humeur facile, signalé plutôt par ses débauches et ses emportements, m’incita par son exemple à ce
travail, craignant sans doute moi-même l’athlète qui viendrait m’inscrire historiquement dans mon bain de langue, étranglant les projets en cours, liés ensemble comme trois masses de biens jamais dépensés.
Je fais en sorte de laisser un interligne suffisamment aéré (comme les Pyrénées), ce que la loi interdit dans les actes authentiques, de façon à pouvoir intercaler un fragment oublié tel qu’“étranglant”, quatre lignes au-dessus de celle-ci.
C’est d’un Vrac qu’il s’agit donc, apparemment irréductible, et cependant toujours possible à reprendre dans le mouvement biographique, on le verra.
Il est bon de préciser aussi qu’il n’y a pas d’autre raison à ce récit que l’Aventure où nous fûmes lancés d’abord à quelques-uns changeants et mouvants, devenus des milliers malgré moi ou du moins bien au-delà de moi, par la transcendance d’un Grand-Oncle Gitan de Buenos Aires, enfoui dans la plupart de nos mémoires de famille, mais qui ressurgit sous la forme d’un cadavre baroque par l’intérmédiaire d’un Notaire,
personnage important du Cours de Gourgue à Bordeaux, et, pour moi, proche de Mauriac et de tous les chais un peu frais de la ville.
Extrait de la version définitive de la Cosmologie (en dehors des États du Monde)
Le 6 janvier
Z. N. Zinaïda s’est endormie sur le livre de contes de l’Épiphanie où les noirs tellement aptes à ramasser les déjections dans les rues et à les jeter dans le fleuve où ils vont ensuite se laver, s’étaient déguisés en boeufs bouffons dans les arènes, aussitôt piétinés par les taureaux ; puis d’autres défilaient et dansaient en costumes carnavalesques avec des clochettes et le visage enduit de cirage noir sur noir, guidés par le chef, le chorizo, dit aussi “le boudin”, entrant dans les maisons pour réclamer les restes de tripes du cochon mort et s’enguirlandant avec, tout dégoulinants de graisse et de sang ; puis il vendent à la criée ce dont personne ne veut : la couenne, les poils, le groin, la queue, tandis que d’autres pour montrer la puissance de leur machoire d’âne soulèvent ce qu’il y a de pire autour d’eux : plots de béton, armatures, bureaux d’écoliers, sacs de guano de cent kilos. Quand ils passent les habitants crient “To ! To !”, qui est le cri du cochon, ou imitent la chèvre, ou leur crachent dessus, y compris les indiens qui ne travaillent pas dans les champs. Puis pour se détendre après tout ça ils vont blanchir les murs à la chaux. On dirait une histoire de sa mère. Le 8 Février
Z. N. Demain Nicolas veut assister au récital de son ami Dominique Merlet au Grand-Théâtre. Il a rêvé d’un horrible jugement et que Zinaïda enceinte de Nycéphore était reçue chez lui, dans sa maison qu’il occupait avec une Zinaïda qui n’était plus Zinaïda ! Une maison du côté du Dorn avec ses quinze galciers autour du glacier géant du Gorner, immense reptile allongé. Le chien savant qui fait des bonds sur la route. Et les filles féministes qui viennent frapper à la porte ! Nicolas leur explique que c’est une distraction du chien.