On a perdu le Nord ! - Hommage à Bernard Plossu
Date du document : 2012
Date du document : 2012
Date du document : 1969-1982
Publication: Mettray n°14
Date du document : 1976-1978
Eco
Patatras ! Monsieur Loyal, déséquilibré sur un coup de freins soudain, se relève en arc en basculant sur les talons vers l’arrière et en replongeant se réenfonce d’autant plus dans l’Asile Exotique de la Donzelle de Feu le Colonel qu’il prend toujours pour Sainte Thérèse de l’Enflant Iesos, où elle le dissocie de son désir, du filet de sa voix et de toutes ses humeurs d’un coup ! Du costume de Mr Loyal les étoiles tombent tout à trac et les rayures se mélangent : catastrophe.
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Le texte Eco est un extrait du volume de Crampes (1976-1978), qui raconte les “aventures réduites” (souvent contemplatives) des descendants à la cinquième génération des enfants naturels d’Ossip le Tzigane, un des Quatre Grands Ancêtres de la Cosmologie (comme les Quatre Cavaliers de l’Apocalypse). Ils sont tous d’âges différents, de l’Enfance à l’Adolescence et se sont dispersés après la mort de Jo, un des descendants de Jean-Baptiste, lui-même un des fils d’Ossip. Jo, figure patronymique de la Troupe de Cirque sur les bords de l’Ourcq.
(lire et voir la suite…)
Date du document : 2016
ÉTATS DU MONDE
La réalisation de cet ouvrage, publié par les éditions METTRAY, correspond parfaitement au projet initial de l’auteur. Il concerne le Pré, les Grands Ancêtres et les Gras.
Ce premier volume sera suivi de quatre autres volumes (Les Maigres, Les Enfants, Les Adolescents, La Bande à Jésus), qui seront publiés sous forme d’édition numérique sur ce site consacré à la Cosmologie Onuma Nemon, également créé par Mettray voilà une dizaine d’années.
En dehors des œuvres plastiques reproduites dans le texte, il y a une soixantaine de vignettes en couleurs et en noir et blanc destinées à être collées sur les emplacements désignés tout au long du livre, et qui participent à l’étoilement du propos.
Les États du Monde sont l’aboutissement le plus important de la Cosmologie, mais bien sûr ils sont à considérer dans le réseau d’ensemble des Voix et des territoires des autres ouvrages déjà publiés ou disponibles sur ce site. On trouvera dans le numéro de la revue METTRAY paru en Septembre 2016 une présentation du volume ainsi qu’un dossier de photographies réalisées par Bernard Plossu dans le Quartier Saint-Michel de Bordeaux qui revêt une grande importance dans cet ouvrage.
NDLR
Publication : Mettray Éditions
Date du document : 2014
Paru dans la revue Mettray n° 7, en Septembre 2014. Sans doute le commentaire le plus précis de l’horizon de la Cosmologie.
I. Revay
Date du document : 1974
Maison Lulu est ce recueil de 1974 construit autour de l’Asile de Maître Jean (où traînent entre autres Tatie Marguerite, Fernande du Phœnyx et l’ignoble infirmière Ovarine…), et du Cimetière de la Chartreuse, entrée discrète du Pays des Morts. Le sergent Newton et le lieutenant Copernic sont là avec leur Thunderbird orangée, qui mènent l’enquête à propos des idéogrammes fourchus buissonnant à travers une grande partie du monde. Le premier chapitre en a été jadis publié dans la revue Le Grand Os n°2.
NDLR
Date du document : Mars 2011
Surréalisme.
“Il y a quelque chose de mal digéré dans le surréalisme, disait Denis Roche et c’est un stade peu important de sa digestion.” C’est sans doute l’illusion de la profondeur : celle de l’inconscient comme boîte noire autant que celle de la plupart des représentations picturales de ceux qui se réclamaient de cette école.
Au contraire chez Max on est à peine dans une épaisseur indurée de la peau, à l’endroit où se fichent les échardes ou les pinces à clamper. On est chez les fouailleurs, ceux qui crochètent les tas d’ordures à la recherche d’un aliment, les gamines du Brésil ou d’ailleurs.
Les fous sont ailleurs : ils crochètent dans le déchet en rêvant du Paradis alimentaire de Pinocchio.
“Mais quoi qu’on fasse on ne ramènera aucun trésor au jour : on ne fait que retourner de l’ordure.” me dit un parano quelconque et lyonnais. Au contraire. Et ce que les gamines cherchent, ce n’est précisèment pas de l’ordure mais un morceau de vie. Il n’y a pas à aller chercher loin : c’est ici et maintenant. C’est sans doute la leçon à tirer des révolutions arabes Facebook. À quand chez nous ? À Caen les vacances, disait Devos.
“Ça va muscler !” Le Vide de la Plaque.
À Saint-Michel, lorsque “Nez-Rouge” l’air revêche au premier pastis du matin disait “Ça va muscler !” ça voulait dire que toute cette sorte de chaos qui s’était accumulé en lui depuis quelques jours allait trouver son expression sur un lit d’hôpital… _etc.
Pour lire la suite, reportez-vous au Ça Presse n°49 de juin 2011
Date du document : 2006
À Propos du Roman
— La littérature peut-elle être encore pensée en terme d’évolution, de révolution ? Autrement dit, face aux impératifs commerciaux qui tendent, semblent-il, à la niveler en la réduisant, par exemple, à ne plus ressortir qu’au seul genre du roman, reste-t-elle cet espace (que l’on dit sacré) de liberté, ce lieu de tous les possibles ?
— Le Roman, je l’ai fréquenté en trois temps : de façon traditionnelle dans Roman en 1968 (c’était un pari fait avec un groupe d’anciens lycéens). De façon déja désintégrée avec Tuberculose du Roman en 1972, et enfin en 1984 avec Je suis le Roman Mort qui en signale l’éparpillement.
etc.
Publication : Enquête sur le Roman. Éditions le Grand Souffle
Date du document : 2010
Reclus
Je pressens la jouissance du Mort, du disparu, comme un joyau absolu, de façon à la fois fulgurante et labile, instable et aussitôt évanouie qu’approchée. Ces papillons de certitude n’ont rien de morbide et volètent dans l’air joyeux des Adolescents* et de toutes les fêtes baroques de la Cosmologie*, car c’est le propre de l’Inscription, cette catégorie à définir et ce territoire à défendre tout à fait en dehors de la culture et de l’art.
Je ne suis pas un artiste car je n’ai jamais eu d’atelier ; je ne suis pas non plus un écrivain : rien qui me débecte autant que ce milieu-là (particulièrement en France aujourd’hui), ses truies, ses danseurs mondains, ses plagiaires, ses sociologismes et ses livres qui ne sont jamais que les cendres de la vie, au mieux un reportage correct.
lire la suite…
Publication : D’après modèle. Denis Laget et pratiques contemporaines
Date du document : 1976
Texte publié dans le recueil Ogr par Tristram, en 1999.
Date du document : 22 Mars 1964
5. Saint-Michel
Jean, Norbert, Manolo,
Le gourdin à la main
Sali dès le matin,
S’en vont à leur boulot.
Et la robe des ânes
Par la rue Traversane,
Au-dessus des barquettes
Couvre mal leur quiquette.
Il auront un peu d’or
Qui descend sur le port,
Le gras-double qu’on trouve
Sur la marché des Douves,
Un reste de guano
Et du churrizano,
Le cassoulet de Jules,
La saucisse d’Hercule,
Place du Maucaillou,
Du graillon barbaillou
De Sœur Marie-Thérèse
Dont ils baffrent les fraises,
Un tonneau de piquette,
Un lapin, la sanquette,
Et des frères Moga
Le pâté noir bien gras,
Une soupe à l’oignon
De chez Napoléon…
Publication : Mettray n°7. Automne 2004
Date du document : 2009
À chaque fois qu’on rencontre un Horrible Travailleur, il périme tout un pan de la vaine production d’alentour, la rend caduque, et on ne peut que s’en réjouir. Autant de débroussaillé ; nous sommes dans un territoire de l’Inscription et toute découverte dans un autre endroit est toujours bénéfique. Autant de temps gagné. La fraternité est de mise.
Avec Joël Roussiez tout est mouvement comme dans la pensée chinoise où “les réalités que simulent les mots ne sont pas des choses arrêtées mais des mouvements”(1). Implosion, explosion et dispersion que la spirale du Voyage Biographique emporte, ou mouvement des marcheurs cosmopolites à travers les méridiens du monde de Nous et nos troupeaux.
1. Nous et nos troupeaux
“ « Cosmos terrien de vie » je dis.”
“Avançons sans peur aucune, sans crainte des coups, ne cherchons rien
Croisons des hommes qui ont cherché et s’en reviennent
Des qui s’en revenaient, n’avaient rien vu…”
Les paysages des Troupeaux sont comme ceux de Cozens, lui-même tellement chinois dans sa technique tachiste avec cet effet d’éloignement qui abolit la césure entre esquisse et dessin achevé, ce miracle ophtalmique permettant de faire disparaître autant les grossièretés de la tache que les finesses de l’exécution attentive. De loin le dessin devient une tache modulée et la tache un dessin vigoureux, tous deux pris dans le même ravissement de l’œil.
Ce génie de l’esquisse est partout présent dans les traversées des paysages de Roussiez où des notations extrèmement précises sur les couleurs, les climats ou les coutumes de certaines populations (voire les “marques” mécaniques) alternent et glissent avec de vagues affairements : intrusions humaines laborieuses ou énigmatiques dans “une sorte de camp de matériaux variés”.
Publication : La Main de Singe
Date du document : 1964
0. Biblio
A. Jourdain
(détruit par le cousin “Néné”, sauf ce lambeau ; bagarre.)
Mathias, la rue du Porc, le gourdin à la main,
En 3837, pour le matin ;
L’aube rosit le fleuve et la robe Epiphane,
Tandis qu’à leurs sabots par la rue Traversane,
Les pires de chez nous: Jean, Norbert, Manolo,
Se rendent aussitôt livrés à leur goulot,
Tressant cette Entreprise embrayant des barquettes
Où traînent des boulons trop gras pour les liquettes
Pendant que le Grand-Prêtre avec sa tiare d’Or
Remontait la Garonne et descendait au Port.
Mais on le pèlera de sa pourpre en nos Douves,
Puis on en traînera dans la Ville-qu’on-pave
Sa lame d’or gravée d’un “Sancto Domino”,
Quand l’Equateur n’est plus qu’un ridicule anneau!
Jusqu’aux Abattoirs bleus du Dimanche en soirée,
Le carreau non lavé titrant ses diarrhées.
La pâleur de ses traits, sa tristesse, qui, mieux
Qu’un suaire le cerne, os débile et piteux,
Les Machabbées et les Momies s’en entrechoquent,
Bandeau d’horreur à sa vue noirâtre et ses cloques.
Armes broyantes d’or, du bouclier ouvert
De plaies délicieusement crues ! devant l’Enfer.
Enfin la Toute-Puissance avant les feux, l’âtre !
(“O l’hostie salutaire oblongue et bien douceâtre !”
Son coeur soudain surpris et creux par toutes gouttes
Qui tombent des forêts tant qu’il court sous leurs voûtes.)
Publication : Revue Mettray n°7. Juin 2004
Date du document : 1986
Ce texte figure dans Quartiers de ON ! paru en 2004 aux éditions Verticales, augmenté de ses étoilements plastiques, inserts et éléments sonores.
Date du document : 1989
Ce texte figure dans Quartiers de ON ! paru en 2004 aux éditions Verticales, augmenté de ses étoilements plastiques, inserts et éléments sonores.
Nany Machin, c’est mon nom, je veux tout embrasser, tout emporter au fur à mesure, sans recours, sans aucun retour possible en arrière.
Parce que sorti sans blessures de la fosse aux lions, je suis un fleuve plus impitoyable que le torrent de feu qui fit envoyer à Rimbaud un bas à varices le 27 mars 1891, que l’écriture directe empruntant même sa graphie à l’immédiateté intensive n’est pas tout de moi, mais d_oit être dite_.
C’est Commode, le premier, qui, loin d’une humeur facile, signalé plutôt par ses débauches et ses emportements, m’incita par son exemple à ce
travail, craignant sans doute moi-même l’athlète qui viendrait m’inscrire historiquement dans mon bain de langue, étranglant les projets en cours, liés ensemble comme trois masses de biens jamais dépensés.
Je fais en sorte de laisser un interligne suffisamment aéré (comme les Pyrénées), ce que la loi interdit dans les actes authentiques, de façon à pouvoir intercaler un fragment oublié tel qu’“étranglant”, quatre lignes au-dessus de celle-ci.
C’est d’un Vrac qu’il s’agit donc, apparemment irréductible, et cependant toujours possible à reprendre dans le mouvement biographique, on le verra.
Il est bon de préciser aussi qu’il n’y a pas d’autre raison à ce récit que l’Aventure où nous fûmes lancés d’abord à quelques-uns changeants et mouvants, devenus des milliers malgré moi ou du moins bien au-delà de moi, par la transcendance d’un Grand-Oncle Gitan de Buenos Aires, enfoui dans la plupart de nos mémoires de famille, mais qui ressurgit sous la forme d’un cadavre baroque par l’intérmédiaire d’un Notaire,
personnage important du Cours de Gourgue à Bordeaux, et, pour moi, proche de Mauriac et de tous les chais un peu frais de la ville.
Date du document : 1986
Ce texte figure dans Quartiers de ON ! paru en 2004 aux éditions Verticales, augmenté de ses étoilements plastiques, inserts et éléments sonores.
À partir d’ici, en vidéo, dans le Studio Soudain où Nathalie vient se faire photographier en dansant, sur plusieurs écrans simultanés, le corps d’un arbre, vu par chacun des points d’articulation du corps : tête, épaules, hara, coudes, bite, chevilles.
(Arbre vu par épaule droite puis coude gauche.)
Nijinsky : “Il y avait d’abord l’ours dansant, l’ours énorme surgi d’entre les branches, et Kyra riait de le voir attraper ce minuscule écureuil qui venait de s’enfuir de chez nous, par la fenêtre, d’où on regardait, sur cet étang, ce lac, ce bief. Mais l’ours ensuite se mit à vouloir dévorer notre chatte ! Il se mit à l’absorber une première fois, puis elle ressortit de son estomac, galopa devant lui. Il était de nouveau en train de l’engloutir, lorsque je décidai de sortir de la maison pour la sauver. Je montai sur un pic, et là, d’un plan plus général, j’aperçus soudain un énorme boa, enroulé dans les rochers du bord ; je le signalai à ma femme qui se trouvait un petit peu plus bas ; je lui jetai des pierres et des choses diverses pour l’exciter, et celui-ci fit vibrer sa langue au-dessus de l’eau ; c’est à cet endroit que je reconnus sa tête ; jusque là je ne voyais que la confusion des courbes, des nœuds, des sentiments et de leurs passages…
Redescendu dans l’assemblée, je portais un col de clergyman qui m’allait véritablement à ravir, combiné avec ma veste chinoise à col mao, et un manteau du même genre, col officier. C’étaient trois successivement cols de même type. Mon père devait être un officier du passé simple.”
(Arbre vu par pied droit) (Arbre vu par Hara) (Arbre vu par bite)
Date du document : 1976
Ce texte figure dans Quartiers de ON ! paru en 2004 aux éditions Verticales, augmenté de ses étoilements plastiques, inserts et éléments sonores.
Mon unique photo lauréate et prise dans les bois d’Arlac près de chez Soudain (fils de Houdin et de Boudini, originaires de colons du Soudan), cicerone pour la récolte des cicatrices, voilà où je m’enfonce, avec la sale humidité, les graminées coupantes, sans savoir encore si j’ai quelque chose de commun avec le narrateur précédent, gomme qui rit de sa beauté morale et de sa difformité physique. Je me souviens de mon enfance au milieu des essaims d’abeilles d’Abel.
Avec le Rolleiflex, j’avais eu du moins la chance de découvrir “la visée ventrale”, l’appareil chaud tenu sur l’abdomen, comme en venant plus tôt le matin en vélo à Arlac, “l’énorme crabe rouge abstrait” sur un champ de blé de Dufy Dingo dans la revue “A la Page”, et la salle des pas perdus.
Je me rendais là-bas avec ce vélo sur lequel j’avais fixé un guidon étroit, le vent violent plissant la chemise de nylon, poignets vers l’intérieur, position rentrée ; secouée.
Puis au retour chez moi, toute l’eau avait envahi le débarras de l’ancien Couvent où nous logions, alors que je me sentais déjà tellement floué (quoiqu’il en soit, je boulonne !) de n’avoir obtenu, pour toute récompense de mon premier prix de photographie qu’un séjour de quinze jours de nettoyage et de restauration d’une ferme au Kansas où se promettait de m’accueillir un couple super sympa (“…et si vous avez fini assez tôt, vous pourrez vous amuser avec nous à faire les courses le week-end dans le patelin avec toutes les sortes de gens et de commerces typiques, et, pourquoi pas, on pourra même vous offrir une bonne bière !”)
Point d’aboutissement de multiples écoulements et de gouttières romanesques, le débarras, chambre noire, que l’eau inonde. L’eau, l’eau envahit tout comme la révolution des bourgeois charcutiers et marchands de grain l’église St-Pierre et la chapelle du Martyre, l’eau dont le niveau monte depuis les fossés du jardin désolé en contrebas. Heureusement, je trouve un tuyau de plomb qui curieusement surnage, et, le tirant, je retourne un lavabo qui me sert de coque de noix et me permet de pagayer jusqu’à regagner la chaussée.
Chez les Sœurs, on s’affole aussi : tous les Saints flottent.
Date du document : 1978
Ce texte figure dans Quartiers de ON ! paru en 2004 aux éditions Verticales, augmenté de ses étoilements plastiques, inserts et éléments sonores.
J’avais rêvé, en entrant dans le monde de la photographie, de devenir reporter-criminel, mais pour rien au monde je ne voulais finir en tireur commun avec une chaîne cernant les pieds cadenassée autour de la colonne du Durst, comme tous ceux qui travaillaient là-dedans et qui n’avaient même pas le droit d’aller pisser : on leur apportait un pot en plastique (il n’y avait pas de tireuses !), ni même, version luxe, à faire des diapos de fonds de papillons et de fleurs le week-end comme en commettaient le couple Soudain, tellement parfaits, tellement anglo-saxons (or pâle) et tellement cons, avec la sangle de leurs deux Rollei passant en travers de leurs deux Lacoste.
« I doit être tourné vers la Noël, un tel film, un tel crâne de caméra, et y’a des individus glauciers qui mijotent dans le scénario ! »
La caméra est tombée. On va pas la laisser tourner par terre tout l’été. Il ne faut être en retard ni sur le rêve ni sur l’instruction d’une découverte philosophique due à une substance non numérale. On ne peut non plus laisser passer ça sans bouger du pif. Aussi la présence du petit con à mobylette derrière Arlette et moi, sur l’Intendance, face au porche du premier Studio Soudain, m’énerve.
« Qu’est-ce qu’il y a ?
— C’est parce que vous me fixez, je bouge pas. »
J’avais la chance d’être mineur. Je l’ai fixé sans hésiter d’un coup de lame et davantage, un mois plus tard. Qu’on annonce la bonne nouvelle ! Ensuite, on pourrait filmer les inondations. Il y a eu à peine un entrefilet, personne n’a cherché.
Date du document : 1989
Ce texte figure dans Quartiers de ON ! paru en 2004 aux éditions Verticales, augmenté de ses étoilements plastiques, inserts et éléments sonores.
« Qui mourrai-je de quoi ? D’une inattention portée au temps, bonheur attendu de rien, attenant à rien, et dont rien ne peut rendre compte ? D’une simple vasodilatation de l’âme… »
Il était dix-sept heures quarante, de l’autre côté de la Révolution, bord droit, au mois de Mars, et la surface presque chaude de l’herbe de l’Esplanade recevait de grandes tracées d’ombres en rayures sans véhicule.
Sur le bord même de la Révolution, à gauche, sur les terrasses du quai de Calonne interdit aux piétons la nuit, il y avait des accidents en contrebas, à l’endroit du parapet du Château-Trompette en cours de démolition, des brûlots divers (la bête prise, les bleus sans liesse), et le remblais en surplomb etait empli d’un attroupement de citoyens, arrêtés au-dessus de la situation.
Les sans-culottes et les officiers municipaux chassaient les voyeurs venus là d’un double geste énervé des mains, du genre : “Tirez-vous, sales rapaces, agioteurs du malheur !”
Nicolas voyait ça par son fiacre, mais surtout par la fenêtre de droite vers l’Esplanade (qui n’était encore qu’une esquisse au milieu des ruines, un trapèze immense irrégulier et tordu), il observait ces ombres esseulées, sans origine, et se retourna plusieurs fois sur la gauche, de plus en plus vivement, dans le but d’en surprendre les émetteurs fugaces.
Mais il ne vit rien, rien qui soit susceptible de les projeter.
Date du document : 1966
Ce texte figure dans Quartiers de ON ! paru en 2004 aux éditions Verticales, augmenté de ses étoilements plastiques, inserts et éléments sonores.
Voici l’exemple d’une des pièces que les Lycéens jouèrent à propos de la Révolution Russe en 1967 au “Théâtre du Styx” qui devait devenir la fameuse roulotte de Sainte-Croix.
Docteur Botkine. Bien sûr, on peut toujours rêver le domaine secret et sain de l’Intelligence. Mais moi c’est pas de la mer Noire où règne Sérapis, dont je veux vous parler, c’est de bien avant Sosso, du temps du plâtre et de la mort du jeune Nicolas.
Domestique Troup. Non, non ! Vous avez perdu ! Vous voyez : l’as de pique est tombé sur le valet de pique. (Il rit) Et donc c’est fini pour Sosso ! Son propre mal a été pire que lui. Cette sorte de variole bureaucratique sévit.
Docteur Botkine. Ce Caton de basoche de Kerensky, où est-il, au fait ? Balayé par Lénine, c’est ça ?
Domestique Kharitonov. Il est rendu à ses asperges vivaces et bleuies, bourré des idées saugrenues d’un généralissime de foire ! Tandis que vous, Docteur, vous voilà encore obligé de vous traîner avec vos maux de reins, et vos pieds gelés sur les fleuves !
Je vais vous parler moi de la mort du père Empereur de l’Industrie, (Macha au fond, en robe noire, s’avance) toujours si digne avec ses pantalons à liseret qui lui affinaient la taille et allongeaient sa silhouette ! Et je vous parlerai aussi du plus petit Alexis Nicolaévitch, inclu comme une matriochka dans le Père Nicolas, cet Industriel Hongrois de Libourne. Ils lui en voulaient parce qu’il était soi-disant du côté des “Blancs”.
Docteur Botkine. C’était pourtant un grand ami des Sales chez qui j’étais souvent, des Inventeurs. De grands Inventeurs et de dignes gens. De bons amis à moi aussi. Ils ne parlaient pas allemand, ils étaient orthodoxes. Le petit-fils fait du cinéma, aujourd’hui.
Macha. Mettons que la vie soit un brouillon, et qu’on recommence. Mais les autres, les Demi-Deuils, les Millions de Marchés, les Installations de Machines à Tortures dans les Instants, les Représailles, non ! Jamais ! Je sais maintenant : il faut éviter tout ce qui glisse et qui caractérise, tout ce qui est crachat et ne se résout pas dans un cri uni. Sinon on se tait, on prend d’autres manières que les siennes, dans la soie ou dans le meurtre, on se résigne. Alors là, la vie serait propre, on recommencerait, on arrangerait une pièce, comme ici, avec des fleurs, une masse de lumière et des petites filles pleines d’espoir.
(Un silence.)
Date du document : 1975
Ce texte figure dans Quartiers de ON ! paru en 2004 aux éditions Verticales, augmenté de ses étoilements plastiques, inserts et éléments sonores.
« Alors Flahaut lui dit : “Hortense, calmez-vous ! Paluchez-vous d’un seul doigt.” » Macha lisait ça à Don Jujus, les cuisses écartées sur le lit, Macha qui venait de Mouch, en Turquie ; elle était douce au toucher. Lui était plutôt dru, et orienté vers l’Orient. Rosa, à Caen, lui en avait parlé, ancienne copine à elle du Conservatoire.
Elle le masturbait sur elle, elle avait deux petites roses (rouge, blanche) prises dans son bracelet de la main gauche ; les secousses ne les firent jamais tomber. L’œil unique de la caméra portative de Jujus allait et venait. Et rang’ ! Et rang’ ! Elle était là, dans l’hôtel Saint-François, pour travailler avec le Groupe du Théatre du “Styx” du Lycée, juste en face, rue du Mirail, qui à présent avait son bus près de l’Académie, et pour préparer le départ à Cádiz. Lui venait du groupe des Anartistes qui habitaient une sorte d’entrepôt dans la zone des marais de Sainte-Croix ; il avait rencontré Macha avec moi à l’Académie ; ils se plurent momentanément. Ensuite, dès qu’elle aurait les mains libres, elle devait écrire un papier sur la prochaine fermeture de La Roquette, d’ici quatre à cinq ans. Elle se souvenait de ses copines prisonnières mineures, quand Laurence y était, qui regrettait son chien, son seul ami. Quand l’une d’elles recevait une lettre d’amour elle le lisait à toutes les autres et chacune faisait son commentaire ; ça durait parfois des heures autour d’une mince feuille griffonnée.
Dans la chambre à côté un autre comédien de ses amis, surnommé “Aubusson”, comme les compagnons, de son vrai nom André Névrose, et affublé d’un énorme tarin, sans déroger là où un marquis n’aurait pu vendre du drap, puisait tout le feu d’une pièce où il était question d’un texte inachevé volé dans un coffre à soie et d’un autre composé de ses résidus.
Date du document : 2008
Texte publié d’abord sur le site de La Main de Singe et paru augmenté dans la revue Fusées n°14.
Pierre-Alain Lucerné est devenu fou en plein soleil, en jouant au tennis, une vraie folie Nietzschéenne, dionysiaque, ni obscure ni coupable, dieu incorporé conduisant à l’exaltation. Là-dessus il a rencontré (était-ce une chance ?) le docteur Ferdière qui avait traité Artaud. Et quand Lucerné lui a raconté qu’il avait des files de mots qui se débobinaient sans cesse dans sa tête, jour et nuit, l’autre a presqu’exulté et lui a dit en quelque sorte : “C’est bien, continuez !”
J’ai rencontré Pierre-Alain Lucerné en novembre 1975 sur l’incitation de Christian Prigent, alors que je me trouvais à Tours, pour échapper à cette ville à plus d’un titre nauséuse. Beauté du conflit mondial du schizophrène qui faisait croire qu’on était en guerre avec ces âmes de tuffeau, crayeuses, meringuées, mièvres. À la suite d’une erreur de lecture dans la lettre de Christian, j’avais cru lire au lieu de Lucerné “Lemarrié”, ce qui fit beaucoup rire Lucerné, car s’il était une chose que lui avait bien asséné son thérapeute, c’était “Surtout ne vous mariez pas !”
Du reste, les avantages que Lucerné voyait dans la vie à deux se résumaient, me disait-il, lorsque l’une des deux personnes du couple était malade, à ce que l’autre puisse aller chercher des médicaments à la pharmacie. Il ne me parla jamais de son fils, dont je savais qu’il le voyait régulièrement chaque semaine et ne s’intéressait que de très loin aux enfants de sa compagne d’alors.
Il fit partie des rares à qui je parlais alors de la Cosmologie, jamais montrée à ce jour, et il m’aida même à en définir certains territoires.
Publication : Fusées n°14
Date du document : 1975
Ce texte figure dans Quartiers de ON ! paru en 2004 aux éditions Verticales, augmenté de ses étoilements plastiques, inserts et éléments sonores.
À Terraube
(Importance de “l’Europe plate et froide”.)
Journal de Lydou
24 août
La pluie était très forte, quand nous avons décidé (“Un… deux… trois !”) avec Aube de quitter notre abri pour rejoindre Papa sur le port. Un pauvre chien perdu courait en travers, et en nous voyant surgir, il aboya furieusement, appeuré ; son écho lamentable se répandait dans le lointain. Au loin, la tempête faisait rage, et un bâteau mal amarré alla donner du nez dans la jetée où il se brisa comme un œuf, avec un fracas terrible de craquements multipliés.
Soudain, tout se calma ! Et dans ce cadre tourmenté ce fut comme si tout recommençait.
Dimanche 30 décembre
Claude et Loulou nous achètent des bonbons.
Claude ne m’appelle que Mademoiselle.
Le soir, j’écris à Monique R., Annette P., Marie-José M., Nadine C., Liliane C., Liliane D., Nady F., Marie-Thérèse G., Colette K., Jacqueline L., Lucile M., Monique N.
Cet après-midi, avec Christiane D., nous avons recherché les endroits I (c’était avant tout, avant même les paroles I ). Nous rappellions les quoi ? Il faut dormir.
*
L’année Suivante
Mardi 1er janvier
À trois heures, Christiane D. arrive et nous faisons un devoir d’anglais dans ma chambre par la fenêtre. On rit bien. Puis elle me fait un souvenir (celui qui est à la page précédente), quand Papa arrive et me demande “si il se fait, cet anglais ?” Alors vite Christiane D. tourne la page et fait semblant de faire de l’anglais. Là : “walking back from the school ”. Ensuite on part.
Jeudi 17 janvier
Jean-Pierre Moustéou devait me porter les photos d’identité (il est collé), mais c’est Monique Dégans qui les a prises avant lui. L’après-midi, nous allons à Gauge et on discute avec Alain F. et Jean-Pierre Moustéou. Il y a aussi M. Olivier Larronde, qui est poète ; c’est un ami de Jean. Il est vieux ; il a 36 ans.
Le matin, j’ai donné la lettre de C. et de Christiane D. à une externe.
Date du document : 1979
Ce texte figure dans Quartiers de ON ! paru en 2004 aux éditions Verticales, augmenté de ses étoilements plastiques, inserts et éléments sonores.
Astrobade
Gastrobas adorait voler le pain à la cantine du Club des Coqs Rouges ; il le volait par tronçons de miches, en prenant le bout dur. Le Club était toujours resté dans l’ancien bâtiment-entrepôt d’un crépi doré qui abritait jadis le tissu en énormes coupons d’un commerçant juif aujourd’hui ruiné, à l’angle de Sainte-Eulalie.
Date du document : 1979
Ce texte figure dans Quartiers de ON ! paru en 2004 aux éditions Verticales, augmenté de ses étoilements plastiques, inserts et éléments sonores.
Le voyage à Pau
Au Lycée, on adorait tous Basile, le conducteur de bus des voyages
scolaires en fin d’année. Le reste du temps il nous apprenait les passes de foot et officiellement il était factotum.
Il était du coin. Il adorait, surtout l’hiver, avant le jour, péter à la hauteur de l’usine à gaz après s’être gavé de champignons du Sud-Ouest, fureur mégalomaniaque lui donnant l’illusion d’empuantir tout le paysage et imprégnant tellement son siège qu’il en conservait tout du long une aura d’une infection persistante à couper au sabre !
Il nous tenait des discours sur tout pendant le voyage : la Bible qu’il connaissait par cœur, et surtout la Genèse et le problème de la Trinité et du semblant, version italienne. Il nous disait que pour eux, le semblant c’était pas du bidon, c’était même tout l’inverse. Il aurait adoré travailler dans un Hospice mais il avait pas les diplômes.
L’arbre tordu, la veste rouge, il trouvait ça beau, le désordre sur la voie et la route parallèles, par ce temps gris pluvieux couvert : et surtout ce jour-là un morceau déchiré de carton, un vieux chiffon, du poil avec un con, un fion, un tronc, des tétons, un étron…
Il s’agissait du fil même sur lequel les perles de sa folie étaient enfilées.
Par contre tous les lycéens haïssaient cette visite à Lacq, cette “partie utilitaire” du voyage de fin d’année, après Pau, la poule au pot, le roi Henri, Sully-les-Mamelles, l’entrée en pente du château. C’est pour cela qu’on tua cette conne de gallinacée de prof d’Histoire, qui croyait nous faire rire en retournant ses paupières, avec l’aide de Basile, et qu’on en jeta les morceaux par les fenêtres du bus, en désordre !
Date du document : 1979
Ce texte figure dans Quartiers de ON ! paru en 2004 aux éditions Verticales, augmenté de ses étoilements plastiques, inserts et éléments sonores.
Daniel : “Nicolas n’aime pas du tout Nicolaï. Tout juste s’il lui parle. Par contre il s’entend très bien avec Nycéphore, surtout pour notre projet du “Styx”. Mais Nycéphore et Nicolaï pensent tous les deux que leur frère Didier, s’il avait vécu, aurait pu être comme ça.
De la même façon qu’en sculpture je reprenais des mises en scène précédentes de personnages en bas-reliefs, des maquettes que j’avais déjà disposées dans la salle de modelage ou des figures découpées et rapportées. Nicolas, lui, utilisait ce qu’il appelait ses “papiers bohémiens”, écrits en route et enfoncés dans les poches. Chacun de nous deux assemblait à sa façon des morceaux autonomes. On était déjà dans la double articulation sans sauce romantique. On se sentait frères de Mozart. C’était un baladin d’adoption qui fumait, buvait, et écrivait énormément. Un très bon poète incapable de la moindre réalisation matérielle. Il rêvait d’épouser une Gitane, c’était son but dans la vie, et pour cela fréquentait les roulottes de tous les campements rencontrés. Étant par excellence un Sujet du Bord, qui zigzague en tzigane, ce projet des “Enguirlandés” l’enthousiasmait.
La première fois que Nicolas est venu de Libourne (son père avait une industrie là-bas), j’ignorais qu’il eût un frère mort. Il m’a simplement parlé de sa maison, d’une façon sommaire : de la porte sur la cour, puis de l’ouverture générale vers le village d’abord par le grand portail, ensuite par la route remontant au nord ; au sud et à l’arrière il y avait d’immenses champs, des prés herbeux, et au loin les faubourgs grisâtres et roses pâlis.
C’est dans ces faubourgs qu’il a rencontré Claude qui vit près des décharges, “Fouailleur” minier qui perce avec le croc l’amas gelé des détritus à la recherche d’un élément rare, sépare le Ciel et la Terre à l’aide de ce trait et grâce à lui du Chaos se tire. Dans la famille de Claude, il ne leur restait plus que la roulotte, et la compagnie des gitans vivant des frites et de la vente des animaux ; autant partir ! Autant suivre cette ligne toute de contiguités à présent, cette ligne de chant du récit que heurtent les récifs, ces blocs primaires la trouant.
Date du document : 1978
Ce texte figure dans Quartiers de ON ! paru en 2004 aux éditions Verticales, augmenté de ses étoilements plastiques, inserts et éléments sonores.
L’Esplanade rutilait de mille feux, miroirs des carroussels et des labyrinthes que venaient à peine embuer les fumées graisseuses qui flattaient le palais des nouveaux dieux.
Jany-Janus tenait le Palais des Glaces.
(Jany-Janus était une prostituée révolutionnaire anthropophage qui avait mangé son frère pour posséder les deux sexes à la fois ; à partir de là, hermaphrodite aux deux versants elle devint et s’offrit d’abord à Paris comme un travelo jeunot recto-verso, sur les Boulevards, porte Saint-Martin, Saint-Denis, et notamment à toutes les sorties des théâtres de ces mêmes boulevards avant de venir s’installer à Bordeaux.)
Date du document : 1978
Ce texte figure dans Quartiers de ON ! paru en 2004 aux éditions Verticales, augmenté de ses étoilements plastiques, inserts et éléments sonores.
Sous-bois, déséquilibre, cassures, pour Charlotte Corday. Toujours de cordée, jamais de Montagne. À Glatigny, chez l’auteur des “Glaneuses”, où elle avait sa chambre, et passant de chez lui chez Roncerailles, dans ce trou de chaumière loin de l’Ami du Peuple qui donna naissance à cet autre poète aussi faux que Larronde.
Elle a vécu du manoir au château ; on s’appelait d’un lieu à l’autre.
Sa Trinité est plus de métal blanc que de dorure, multiplicité prise dans le rythme ternaire de la course Augustinienne. Elle est plus proche des coupes farouches de son grand-oncle Corneille que des serpents sinueux de Racine.
Elle craint ce “trop” qui vient en elle, cet afflux de sensations, d’harmonie, de bien-être, cette surabondance dangereuse (qui va basculer), cet excès d’odeur (comme un fauve migraineux), de réminiscences qui la soufflètent, etc.
Toute sa vie elle a gardé sa cartographie de faiblesse rainurée de bois tendre, visible en glacis sous son teint diaphane comme à la fenêtre étroite donnant sur une cour obscure elle calquait de petits dessins qu’elle appliquait sur la vitre ; par là encore, comme avec les crayons de couleur de Glatigny, elle était proche d’Arthur. Par ces muscles involontaires elle faisait circuler à vif les hontes et rages de l’époque rougissant de riens pour les autres. Elle avait des visions en coin d’œil aussi, à la Frankie Adams, au printemps, sur le sol poudreux des chemins ou faux vives lancées sur le sol chez elle : pas de parquet, du carrelage ; pas de plafond, des solives ; une vaste cheminée.
Date du document : 1978
Ce texte figure dans Quartiers de ON ! paru en 2004 aux éditions Verticales, augmenté de ses étoilements plastiques, inserts et éléments sonores.
Esplanade
Dans ce Cabinet de Voyance où Camille s’est rendue peu avant avec Basta, pour connaître soon-avenir, chez Marie-Anne, il y avait des insécables et rugueux retours archaïques datant d’on ne sait quel ineffable. Déjà, tout enfant, chez les Vistandines, elle allait vers les visions comme on va vers le précipice, et aujourd’hui chez ceux qui la consultent, elle ne fait surgir vers le futur que ce qui était déjà là en eux, notamment avec son MUTUS-NOMEN-DEDIT-COCIS de cartomancienne à cadences paires.
Elle les jette sur le Minotaure au fond du Labyrinthe, mais pas de lamento d’Ariane, pas de pelotte, pas de moyen de se faire pelotter dans le tréfonds.
C’est ainsi qu’elle a vu pour le Tsar un siècle à l’avance : Tannenberg, les gourances de Raspoutine, les bolcheviques en dahuts, pattes gauches du côté de la pente… elle agrémente après-coup l’archaïque. Et c’est pour cela qu’à Bruges on l’a traitée de sorcière.
Une fois elle rêva pour Charlotte d’une paire d’yeux se mouvant seuls près de morceaux de corps aux diverses couleurs indépendants et de paquets de poils également autonomes, ainsi que de bouquets de feu et de lumière, mais dans la liaison formidable d’une phrase grandiosement organisée qui lui fit voir clairement l’efficacité du “génie” qui lui servait les phrases dans l’obscurité, car elle lui avait été dictée dans sa perfection d’un seul trait qu’elle lança en se levant.
C’était le portrait de Marat, qu’elle décrit comme un castrat qui chante dans son bain de sang.
Date du document : 1984
Ce texte figure dans Quartiers de ON ! paru en 2004 aux éditions Verticales, augmenté de ses étoilements plastiques, inserts et éléments sonores.
Ensuite Camille et Basta (désormais son mari) s’attardent à Bordeaux avant de se rendre au bord de la mer, vers Andernos ou Le Porge, les plages des pauvres, ou bien Arcachon, Le Cap Ferret, preuve d’un luxe inaccoutumé. En s’arrêtant à Bordeaux, ils vont voir Aube, à Bruges, chez le grand-père “aux doigts gros comme des saucisses de Toulouse” et les cousins Artaud, un peu tarés ; tandis que la palette des après-midi mal vernis s’avance, ils doivent subir les baisers mouillés ; ils se voudraient prestes, attentifs, mais ils sont disparates. Puis comme il n’y a pas de place chez elle, pour dormir tranquille, Aube leur a trouvé la maison vide d’une amie, pour une nuit, rue Vercingétorix, vers la Barrière d’Ornano, pas loin de “chez Sambo”.
C’est le jour de ses vingt ans, et Camille se repose sur le bord du lit, après, rue de Bègles, paumes en pronation serrant le bois des montants, et projetant la tête humérale en avant et vers le haut, le cubital antérieur et le premier radial épanouis de part et d’autre ; et, grâce au reflet, sur le rebord du muret humide au-delà de la terrasse où la pluie cesse à peine sur le fond des branches désastrées de platanes, les restes d’ocre-sienne et clair, la tête penchée, son dos rond et puissant de sirène (comme elle a coutume de s’asseoir sur le bord du bassin), ou de pianiste (tout à l’heure sur sur son tabouret), dominant, arche puissante, si bien lié à la fragilité de l’ensemble, aussi surprenant que le soudain profil d’Isis éclatant tout au long des salles du pavillon égyptien du Louvre, impossible à imaginer à partir de la vue des hanches de face, fessiers puissants de gymnaste sortant d’un plan inattendu sur l’ébauche, peut-être la danseuse de Degas aussi.
Chronique de Fabien Ribéry à propos de On a perdu le nord ! paru dans la collection d’Après chez METTRAY éditions