Les Absolus

Date du document : 1965-1972

Les Absolus

Il s’agissait avec ces petites proses de créer des types, des typons, sans faire de clichés.
Que pouvait être l’essence du roman russe, par exemple, ou de l’œuvre de Fournier.
Mais ceci sans développement, sur des formes courtes : toujours cet intérêt pour les fragments comme éclats de vérité. On renonce à la cohérence pour accéder au poétique. Incohérence, instabilité, abandon, renoncement, dans l’espoir de saisir la matière même de l'expérience. Moments de vie infimes, fragiles, sur la ligne de frontière, puissance de nouveauté.
Les Absolus sont une déduction de l'essence du monde en devenir, en mouvement. C'est ça qui est difficile : saisir à la fois le mouvement et l'absolu.
Pour prendre un exemple simple : la plus grande passion de votre vie que vous aurez éprouvée, et au moment le plus intense de son incandescence, vous décidez de la rompre ; vous refusez la cohérence du roman, et il vous reste dans les mains les deux bords vifs de l’arrachement : vous êtes retombé de l’avoir à l’être, sans même être le moins du monde bouddhiste.
Simplement malheureux.

Les absolus seraient des lieux fixés pour l’éternité dans un livre, ou des cartes postales. C’est le bonheur extatique que trouvait Lulu, à plonger dans les cartes postales et à s’immerger dans ce temps-là, celui d’une contemplation démesurée, la conscience aigüe des univers parallèles. Elle avait la faculté de circuler dans d’autres mondes, de décoller la gélatine de la représentation. Les témoins sont formels. Elle leur détaillait ses avancées. Et ce don ne fit que s’amplifier avec son agonie. Elle a vécu toute une saison dans un album.

Absolus des Saisons

Dans le recueil : Absolus des Saisons, de Nycéphore et de Nicolaï (continent Logres), il y avait le projet fou de condenser toute l’expérience d’une vie sur le temps de Pâques par exemple, comme si l’on pouvait déterminer une constance éternelle, les traits définitifs ; ou peut-être bien plus modestement, (ce qui fut le cas, et seulement pendant quelques années), une formule personnelle du Dimanche de Pâques, du jour des Rameaux, de la Toussaint ou de la Rentrée. Du côté de la constance éternelle ça pourrait être un idéogramme comme l’idéogramme de l’automne contient véritablement la rentrée des foins et celui de l’ours la clé du feu.

Le projet du Calendrier Absolu (OGR. Journal des Adolescents), reprend celui-ci pour chaque jour du Calendrier ; le 11 décembre, par exemple. Bien sûr, dans ce cas également, il s’est agi de l’expérience de quelques années seulement, on ne s’est pas astreint dès le début à une telle obsession.
La tentative est d’autant plus fictive qu’on connaît les variantes, les imprécisions et la variabilité de toutes les sortes de calendriers les uns par rapport aux autres : il ne s’agit que de conventions qui ne coïncident absolument pas d’un calendrier à l’autre. Ce père-là n’est pas vraiment mort le jour anniversaire de la naissance de son fils, comme on aurait pu le croire.
Peut-être peut-on seulement déterminer quelques moments notables des saisons (toujours les saisons, “à la chinoise”), des moments ou le Temps danseur tourne sur son axe…
Vers la fin de la République romaine le calendrier était un chaos. L’année s’appellait Annus, anneau sans commencement ni fin.

Ces Chromos Célestes se présentent comme le type absolu d’un genre et comme son achèvement, son extase peut-être.
Ils sont les photographies d’une saison éternelle où rien ne bouge, où tout se reproduit toujours exactement de la même façon, là où l’évolution n’est qu’un cycle. Ce sont des Stéréotypies Apodictiques.
On voudra bien regarder avec attention sur ce site, dans le Domaine DAO, les Célébrages de Typhaine Garnier, œuvre conçue dans la même utopie rêveuse d’un Calendrier Perpétuel.

Publié le 3 décembre 2023 dans document texte LOGRES

Loch - Typhaine Garnier, dessins d’Onuma Nemon

Le bestiaire de Loch est né en réaction au texte précédent, Vide-Grenier, sorte d’auto-inventaire d’objets, motifs et fétiches personnels écrit dans une perspective de liquidation (tout doit disparaître !). En contre-point donc à cette entreprise autoconfinée, il s’agissait d’aller voir ailleurs, de sortir du grenier. Il y avait alors à proximité un petit étang. Que de bêtes dedans ! (« Sengle aimait beaucoup les mares, parce qu’on ne sait jamais les bêtes qu’on y trouvera. » Jarry, Les Jours et les Nuits) : poules d’eau, batraciens, gerris... Et autour : martins pêcheurs, chouettes, blaireaux, écureuils ! Autant de mondes auxquels nous n’avons pas accès, au sens où nous ignorons « quel effet ça fait » d’être une chauve-souris ou une taupe, mais qu’on peut rêver, en recyclant, parodiant, recuisinant d’anciens écrits. Les êtres du Loch sont faits ainsi de bric et de broc : sources antiques, fables, croyances populaires, comptines et chansons, données scientifiques, souvenirs plus ou moins personnels. De même, les dessins d’Onuma Nemon ne sont pas faits d’après nature, mais à partir de vieilles illustrations de fables et d’un ouvrage d’anatomie animale. Ces créatures baroques imprévues s’inscrivent sur la grille d’un papier à dessin pour idéogrammes, un peu comme leurs homologues textuels s’appuient sur d’anciennes lignes.

Loch paraîtra aux éditions Lurlure.

Publié le 22 septembre 2023 dans document texte DAO

7 haïkus du matou - Typhaine Garnier

Ces textes d’apparence japonisante – façon Hergé : c’est du français en costume japonais, mais exagéré, caricatural et (involontairement ?) bouffon – avaient pour ambition de tenter une autre transposition du haïku. Plutôt que la version occidentale habituelle (l’insipide sandwich de 5/7/5 syllabes), je voulais trouver une forme qui restitue au moyen de l’alphabet latin quelque chose de la dimension graphique et de la polysémie (et polyphonie), c’est-à-dire de la densité du haïku, associant l’idéogramme et l’écriture syllabaire.

Le résultat est un hybride, une sorte de chimère qu’on ne sait par quel bout ni dans quel sens prendre, ni s’il faut l’articuler ou seulement voir. Les signes font parfois rébus. Une syllabe s’étoile dans plusieurs directions. Des lignes sémantiques horizontales apparaissent en travers des verticales, mais furtives, hasardeuses. Le tout a un caractère enfantin, car c’est bien un jeu, un exercice d’assouplissement, où tous les coups (aïe) sont permis (alors que le haïku traditionnel obéit à des règles formelles strictes). D’où le sujet, sans doute : le chat Zoneille, agile et malicieux comme tous les jeunes de son âge, comme le chat à l’encre de Chine d’Onuma Nemon qui s’est glissé dans ces pages. À moins que ce ne soit l’influence de Maurice Roche, lu assidument à ce moment-là.

Publié le 22 septembre 2023 dans document texte DAO

L’amour naissant (poème Touareg, P. P. Njegos) - Joël Roussiez

Fatima de taille est pure merveille, elle va à la fontaine sa cruche sur la tête, elle va et le village s’en étonne, c’est elle qui doit le faire, n’est-il pas là pour s’en occuper. Lui, c’est Istvan, sa taille est pure merveille aussi, son beau visage rayonne de santé, ses yeux sont des éclairs, il se prélasse sur la couche, Fatima doit y aller à la fontaine. Mais elle rencontre là Jabban, Jabban qui est serviable et beau comme un regard où perle la rosée.

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Publié le 22 septembre 2023 dans document texte DAO

Chevaux aimés (Bardes du Khorassan, Ostad Elahi) - Joël Roussiez

Comme une âme qui s’en va un petit air de flûte dans l’assemblée avait éteint les paroles et quelques uns marchant dehors baissaient la tête sous leurs turbans. Mais les chevaux piaffaient dehors, une tension dans le troupeau irritait et de même dans l’assemblée circulaient des jurons. Le cercueil resta dans l’église, et quand le musicien chanta «il est parti, ils est parti! Que les lointains l’accueillent» on entendit des pleurs et quelques gémissements. .…

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Publié le 22 septembre 2023 dans document texte DAO

Célébrages. Poèmes de Typhaine Garnier

Date du document : Février 2023

Au fil des mois, la nature ressort ses appâts, et chaque fois on s’y laisse prendre. Avant-printemps : premiers chatons aux branches nues, primevères, etc. Surprise, ravissement, on est ému comme si on avait oublié ces « tours » pourtant vus autant de fois qu’on a d’années ou presque. Il y a de quoi enrager. Les « Célébrages » sont les chromos d’un calendrier perpétuel qui tente de fixer cela une bonne fois pour toute, et qu’on n’en parle plus. Heureusement, c’est raté.

Arno Schmidt : « Le plus fiable, ce sont encore les beautés de la nature. Ensuite les livres, puis un rôti braisé choucroute. Tout le reste est versatile et vain. »

On se reportera ici même aux Absolus de Onuma Nemon, petites et très anciennes proses dont le projet était proche de cet ouvrage-ci, tout récent.

Publié le 28 avril 2023 dans document texte DAO

Refaire. Poèmes de Typhaine Garnier

Date du document : Février 2023

Ce texte est extrait d’un travail en cours intitulé « Refaire ». Même s’il y est question de choses vues, de paysages et de personnes aimées, refaire n’est pas revoir : foin des nostalgies (sauf surjouées pour rire : « Ô… ») ! Il s’agit de faire du neuf, et si possible en forme, avec de l’informulé : fatras de souvenirs, pelote de sensations, magma d’émois, etc.

Pour ça, on a fabriqué un moule, censé aider à faire consister. Description du moule :

  1. Le texte est disposé sur deux colonnes et apparaît donc lézardé d’un vide central ;
  2. Les colonnes doivent pouvoir être lues séparément, mais une lecture globale (ligne à ligne) doit également être possible ;
  3. Le texte s’ouvre par un verbe à infinitif (par exemple faire) et se termine par les lettres « re » qui forment avec le premier un second verbe (refaire), invitant à une nouvelle lecture.
  4. Les lignes sont des vers grosso modo réguliers (le plus souvent octo ou décasyllabes).

Le but : que ça ne colle jamais. Ne pas adhérer, mais aérer. Que la droite contredise la gauche, la mine d’ironie, la glose de commentaires oiseux ou obscènes, en déforme symétriquement les phonèmes, bref, la malmène d’une manière ou d’une autre. La faille béante au milieu du texte n’étant pas frontière étanche, les deux côtés se contaminent aussi l’un l’autre. Et bien sûr, aucun n’est le « bon ». La vérité est au milieu : dans l’interstice.

Typhaine Garnier

Il faut lire également Les Pages Perdues de OR

Publié le 12 février 2023 dans document texte DAO