Denis Roche n'est pas mort et Maurice est toujours là !
Date du document : 2021
Date du document : 2021
Date du document : Après 2000
DU POISSON-LUNE A L’ONYX
Vous avez attiré mon intention sur de grosses conneries racontées par des universitaires nées au moins vingt ans après les évènements sur la vie culturelle à Bordeaux dans les années soixante. Or comme le disait Saint-Simon, les Mémoires permettent du moins qu’on ne perpétue pas des versions officielles mais néanmoins fausses de l’histoire.
La chance que nous avons tout de même c’est qu’il y a parité en matière d’ânesses et de bourrins, tant à l’université qu’en radiophonie et dans le journalisme des rats crevés.
Je voudrais préciser ceci à propos du café-théâtre Poisson-Lune devenu Onyx, qui était situé au 94 rue Camille Sauvageau à Bordeaux, quartier Sainte-Croix.
Je connais très bien son histoire pour la bonne raison que je suis le cousin du propriétaire du bar l’Ibéria, Robert Triguero qui a ouvert cette salle dans un entrepôt attenant à son café dans son prolongement rue Saint-Benoit.
Je suis charpentier de marine et par extension menuisier. À l’époque je travaillais sur les quais et j’habitais au 9 rue du Port (à deux pas de là), en même temps que toute la famille Perez répartie dans tout l’immeuble vétuste, humide, et parfaitement malsain : un vrai taudis enchanté sur cinq étages, totalement détruit par la suite pour devenir cette parodie bourgeoise du Théâtre du Port de la Lune.
Robert Triguero, mon cousin, tenait le café de l’Ibéria où venaient régulièrement les étudiants des beaux-Arts. Ces derniers avaient trois cafés de prédilection : d’abord Chez Janine, en face de l’Abbatiale Sainte-Croix et à l’angle de la rue du Portail, ensuite l’Ibéria, dix mètres plus loin, et enfin au Longchamps, cours de la Marne, qui accueillait également les Navalais.
C’est donc tout, logiquement aux étudiants des Beaux-Arts que Robert Triguero a parlé de son projet de cabaret et lieu d’exposition, et c’est Daniel Busto qui a mis en forme avec Jean-Louis Froment le premier projet de soirées de lectures dans le cadre d’un cabaret de poésie.
Jean-Louis Froment à l’époque arrivait de Vevey en même temps que Delay et qu’un dénommé Pastor, si je me souviens bien. Il n’avait pas encore épousé Josy, la propriétaire de la Galerie Du Fleuve (que tenait à l’époque la vénérable Madame Henriette Bounin) ; il était loin de son traitement mensuel de 100 000 francs au CAPC et vivait plutôt modestement de son métier d’étalagiste. J’ai encore des photos de ses vitrines, notamment une très belle réalisée aux Nouvelles Galeries, rue Sainte-Catherine, avec de très grands pains ronds. Il était alors assez proche d’une autre décoratrice en volume haute en couleurs qui s’appelait Suzanne Palassy, et que certains étudiants surnommaient gentiment “Suzanne Perroquet” en raison de ses vêtements vivement bariolés.
Ce n’est que bien plus tard, en 1969, grâce à Lardin et Chaban qu’il a obtenu la gestion d’un atelier aux Beaux-Arts de Bordeaux, malgré son diplôme suisse, comme Delay.
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L’aménagement du lieu comme Poisson-Lune a commencé en janvier 1967, et c’est moi qui m’y suis attaqué. Il ne peut y avoir d’erreur de date, car j’ai conservé tous les cahiers de chantier ainsi que les photographies des différents stades de travaux.
Les étudiants des Beaux-Arts ont énormément aidé aux travaux, notamment Pierre Barès pour le gros œuvre, Jean-Luc Selleret (cousin de Jean-Louis Froment), Daniel Busto et Françoise Labat (qui ont réalisé le plafond dont j’ai construit l’armature, en peignant des mains négatives au pistolet et des empreintes de mains et de pieds).
La première soirée au _Poisson-Lune_a eu lieu le 20 avril 1967. La carte d’invitation que Robert avait fait imprimer était ridicule (en lettres d’or torsadées comme pour une boîte de nuit), et Froment décida d’en refaire une autre aussitôt.
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Guy Suire n’est intervenu que dans un deuxième temps, en même temps que Guy Baloup et Thérèse Liotard et toute une équipe de comédiens ; Suire s’occupait de théâtre et travaillait surtout à la radio, comme Busto, et c’est alors que le lieu a pris l’appellation de café-théâtre. Le premier à être créé en province.
À ce moment la plupart des participants du premier noyau (Nicolas Remcsack, Pierre Barès, Jean-Luc Selleret, Nadine Meyran, et au premier chef Jean-Louis Froment), sont partis, car ils ne supportaient pas Suire.
Et c’est le jeudi 19 octobre 1967 que le passage s’est fait du Poisson-Lune à l’Onyx. Le titre avait été choisi en commun par Busto et Baloup en référence à des bouts-rimés de Queneau parodiant Mallarmé.
La première exposition a eu lieu en février 1968. Une émission radio de Bordeaux-Aquitaine a été consacrée à l’Onyx le 23 février 1968 et une télé le 10 mars 1968 en même temps qu’à Sigma. On retrouvera tout cela dans les Sud-Ouest de l’époque avec plusieurs articles de Jean-Gérard Maingot (le Dandy de Cheverus !) et Pierre Paret (l’Ancêtre).
Parmi les poètes il y avait Nadine Meyran (qui a ensuite travaillé au CAPC), Anne-Marie Perier, Nicolas Remcsack, Paul Chose… J’en oublie. Et pour les chanteurs Jean-Claude Coquempot, Bernard Balavoine (frère de Daniel), surnommé “la chèvre” par Remcsak, François Huchet, Franck Ferrand et bien d’autres.
Les pièces représentées choisies par Suire allaient de Guy Foissy à Tardieu, Obaldia ou Arrabal et à des pièces de membres du groupe. Les collaborations avec la radio permettaient de faire venir des personnes plus connues comme Colette Magny. Gripari, par exemple s’est déplacé en personne pour assister à la création de sa pièce La Divine Farce.
Dans les expositions organisées, on a pu voir des travaux de Francis Limérat, Pierre Barès, Alain Vallet, Jean-Luc Selleret, Christian Delafond, Michel Jouhanneau, Jean-Marie Poumeyrol, Chantal Delafond, Alain Lestié…
On rencontrait là en 1967 et 68 en majorité les étudiants du CREPS (parmi lesquels des théoriciens politiques tels que André Decroix, le grand ami de Lapassade et de Lourau, Huberdeau Dumas, clown et théoricien de la boxe), ou Patrick Lacoste, le rugbyman psychiatre, à l’époque Grand Prix de poésie-jeunesse décerné par Jean-Pierre Rosnay. J’y ai vu Jean-Noël Cuin jouer de la scie musicale avec Emmanuel Lillet, son compagnon d’alors.
Différents happenings eurent lieu au Théâtre Barbey voisin (grâce à l’aide de Charles Imbert et Raymon Paquet), toujours en 67 et en 68, organisés par Busto, René Strubel, Loïc Picard ou Jean-Bernard Désobeau, dont un fameux Sans paroles ni musique, le 7 avril 1967 (enregistré par l’ORTF). Ces happenings réunissaient plusieurs comédiens parmi lesquels Jean-Pierre Nercam, Françoise Cabrié, Annie Roussel ou Thérèse Liotard (L’une chante, l’autre pas), initiatives singulières sans aucun rapport avec la programmation de l’Onyx.
Ensuite, après les évènements de 1968, la sœur de Robert Triguero et son comparse hébété se sont opposés à la poursuite du projet jugé peu rentable pour se remettre à la bibine honorable, et Robert a dû abandonner le lieu en faillite que tous les étudiants des Beaux-Arts ont alors déserté devant le couple maudit. La dernière fois que j’ai vu Robert c’est en 1970 à Paris chez sa mère dans un état lamentable.
Au-delà je n’ai rien su, sinon que la programmation ultérieure et touristico-intestinale n’avait plus rien à voir avec le projet de 1967. En Avril 1970 l’Onyx se trouvait Chez Jimmy, un endroit peu recommandable où Patrick Lacoste a dû faire office plusieurs fois de “videur”, ce qui lui réussissait parfaitement, avant qu’il ne devienne lacanien sur le Parc Bordelais. En 1979 l’Onyx était établi dans le quartier Saint-Pierre où il est resté jusqu’à la fin.
Je pense que vous pourriez publier les premiers articles de_Sud-Ouest_ que je vous envoie par courrier, notamment ceux de Jean-Gérard Maingot, passionné par la création du lieu et qui assista à toutes les “premières”.
Il faut noter tout de même qu’en mai 1968 un des membres fondateurs du lieu a été expulsé par le collectif pour avoir entre autres frappé un flic avec une statuette en bois de Don Quichotte (figure qui pourtant convenait bien au quartier !), et pour le danger qu’il était supposé représenter par rapport aux institutions.
On ne pourra prétendre l’inverse à propos de ce tribunal ridicule, car je travaillais sur un décor ce jour-là dans la pièce où il s’est tenu, et j’ai parfaitement entendu les jugements des uns et des autres.
Dans ce “tribunal populaire” figuraient tout de même de prétendus anarchistes (la chose est drôle !). L’un d’entre eux, dont le nom n’importe pas plus que Laxatif ou Furoncle, s’est soudainement revêtu d’une peau de mouton en se découvrant occitaniste pur et dur depuis l’Antiquité, alors qu’il venait juste d’apprendre l’occitan à Périgueux avec la méthode Assimil !
Le seul à avoir alors violemment protesté contre cette procédure, ce fut Jean-Louis Froment, bien qu’il n’ait plus fait partie du groupe depuis longtemps.
Mathias Perez
L’homme d’aujourd’hui, lorsqu’il cherche à se représenter le Moyen Âge, croit généralement avoir à accomplir un énorme effort d’imagination. Le Moyen Âge lui paraît une époque sombre, reculée dans les ténèbres du temps, un moment du monde où il ne faisait jamais de soleil et où vivaient une humanité, de sociétés radicalement différentes de celles que nous connaissons. Or il nous suffit d’ouvrir les yeux sur notre univers, il nous suffit de lire chaque matin nos journaux : le Moyen Age est à notre porte ; il persiste à côté de nous et point seulement par quelques vestiges monumentaux ; il est de l’autre côté de la mer qui borde nos rivages, à quelques heures de vol ; il fait partie de ce qu’on appelle encore l’Empire français, et pose à nos hommes d’Etat du xxe siècle des questions qu’ils n’arrivent pas à résoudre.
Plusieurs pays musulmans d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, qui en sont très exactement au au xive siècle de leur ère, peuvent nous fournir, sous bien des aspects, l’image de ce que fut le monde médiéval européen. Mêmes villes aux masures tassées, aux rues étroites et grouillantes, enfermant quelques palais somptueux ; même opposition entre l’effroyable misère des classes pauvres et l’opulence des grands seigneurs ; mêmes conteurs aux coins des rues, propageant à la fois le rêve et les nouvelles ; même plèbe aux neuf dixièmes illettrée, subissant pendant de longues années l’oppression et puis soudain traversée de révoltes violentes, de paniques meurtrières ; même intrusion de la conscience religieuse dans les affaires publiques ; mêmes fanatismes, mêmes intrigues de la puissance, mêmes haines entre les factions, mêmes complots si étrangement ourdis qu’ils n’arrivent à se dénouer que dans le sang !… Les conclaves du Moyen Age devaient ressembler assez bien aux actuels collèges d’ulémas. Les drames dynastiques qui marquèrent la fin des Capétiens directs ont leur correspondance dans les drames dynastiques qui agitent de nos jours les pays arabes ; et l’on comprendra sans doute mieux la trame même de ce récit quand nous aurons dit qu’on pourrait la définir comme une lutte sans merci entre le pacha de Valois et le grand vizir Marigny. La seule différence, c’est que les pays européens du Moyen Age ne servaient pas de champ d’expansion aux intérêts de nations mieux équipées en moyens techniques et en armement. Depuis la chute de l’Empire romain, le colonialisme était mort, au moins en nos régions.
Maurice Druon. La Reine Étranglée. 1955. (de l’ensemble Les Rois Maudits). Ancien résistant et combattant sur la Loire en 39-45. Auteur entre autres du Chant des Partisans avec son oncle Joseph Kessel. Ministre de la Culture de 1972 à 1974.
Abdelaziz Benihyia
Névrose, psychose et perversion ; valse à trois temps, variantes du négatif : déni, désaveu, clivage, dénégation, refoulement…
La place du discours par rapport à l’objet, la place du réel entre les blocs de discours, l’occupation de cette place plus ou moins publique par les Enfants et les Morts. Le réel au lieu des frisettes de langage, trou de Kim Carson ; langage obus meurtrier pour le canon lui-même et la cible, comme ces saloperies de “sous-munitions”. Puis la place du langage comme transformation des choses ; la rhétorique de nouveau cristallise en pensée. La place n’est pas un vide, malgré toute cette vulgate du yin et du yang, etc. C’est un plein ! Pietro Bodhisva
"L'enfer n'existe pas – STOP – Tu peux te dissiper – STOP – Préviens Claudel – STOP – Signé : André Gide"
La Folie II.
La Bande de la Folie-Méricourt tournait autour de Monique Charvet et d’Ermanno Krumm. Elle se réunissait la plupart du temps dans leur appartement.
Il y avait là Rio, Ariane, Mina, Laurence, Anna et Frédéric/Que, un hermaphrodite albinos. Chantal (dite Ophélie), s’y ajoutait de temps à autre sans vraiment faire partie de la bande, et Françoise avait plutôt des relations amicales privilégiées avec Monique.
Le groupe avait pris ce nom en partie parce que c’est au deuxième étage d’un vieil immeuble de la rue de la Folie-Méricourt que se situait l’appartement de Monique et d’Hermanno, dont les fenêtres donnaient d’un côté sur la rue, de l’autre sur la cour d’une école primaire. En partie aussi à cause du fait que ses membres passaient une grande partie de leur vie à Ste Anne, dans le “pavillon ouvert” Henri Rousselle.
Parmi les visiteurs de la rue de la Folie, je ne crois pas que Duault soit jamais venu, bien qu’il ait été proche à la fois d’Ermanno et de Borer. Borer y était venu au moins une fois, pour exposer sa théorie sur l’hylémorphisme, inspirée de Husserl et que je trouvais extraordinairement pratique, car elle permettait de classer toute l’histoire de la littérature en un quart d’heure.
À l’époque nous étions beaucoup à aimer les modèles mathématiques et les classifications, sans aller jusqu’aux algorithmes, bien qu’ayant “un papier et un crayon”.
À la Folie-Méricourt nous avons créé ce que nous appelions des Petits romans internes, c’est-à-dire dont les seuls protagonistes étaient les membres du groupe (repris dans une suite d’évènements les concernant), et destinés à eux seuls. Il y en a eu 11 en tout, si je ne me trompe, tous ronéotés dans le quartier.
Nous avions montré quelques-unes de ces réalisations à Roland Barthes un soir qu’il était venu souper à la Folie. L’idée lui avait plu ; il trouvait que c’était “une belle utilisation du minimum romanesque” et il nous avait longuement parlé de son propre idéal dans ce domaine.
Comme c’était à l’époque de son séminaire sur Brecht, Monique lui avait préparé du porc aux lentilles, qui était pour Barthes un des exemples de “l’aristocratie du goût avec des choses simples”, à propos de Mère Courage. Malheureusement Monique était assez expérimentale en cuisine, et Barthes avait dû lui expliquer les nécessités de la cuisson du porc ; les lentilles elles-mêmes étaient dures, et il n’y avait pas d’échalotte.
Monique s’est suicidée au bord de la mer au milieu des années 70 et Chantal peu après dans la Seine, persuadée d’un complot chinois la visant dans son quartier du Château des Rentiers, elle qui faisait des ménages pour payer sa crétine d’ analyste.
J’ignore si Ermanno Krumm avait récupéré tous les Petits romans. Il a en tout cas publié en dehors de sa collaboration avec Il Piccolo Hans et de ses recueils de poèmes, Le cahier de Monique Charmay, autre nom de Monique, qui devenait aussi parfois “la Reine des Hexagones Monions”, et lui a rendu généreusement hommage. Tous deux avaient également écrit en 1974 Tel Quel, un’avanguardia per il materialismo, et Monique a traduit beaucoup de textes de Verdiglione pour Tel Quel et pour François Wahl. Elle a écrit un beau texte du nom de D’Hors qui n’a pas été publié, mais qui a circulé, notamment grâce à Françoise Labat.
J’ai pour ma part repris des éléments de ces récits dans Tuberculose du Roman (détruit), et dans la partie de la Cosmologie consacrée aux Orphelins Colporteurs, dont La Bande de la Folie-Méricourt fait partie
Il y eut beaucoup de séances de table tournante à la Folie-Méricourt, jusqu’à la nuit où la table nous échappa, se précipita sur Ermanno et faillit le faire basculer par la fenêtre pour le faire tomber deux étages plus bas dans la cour de l’école primaire dont on entendait régulièrement dans la journée les jeux et les cris joyeux.
Il y eut même ailleurs, dans une maison hantée, l’expérience faite par Monique de se coucher en travers d’un couloir où régulièrement on entendait les pas d’un revenant, et elle sentit distinctement de part et d’autre de sa poitrine, l’enjambement du mort.
O.N.
Jean-Claude Rondin est arrivé dans la station radio d’Aquitaine en 67, mais il s’y est vraiment établi en 1968, bien qu’il continuât toujours à faire des travaux quai Kennedy, notamment dans le cadre de l’Atelier de Création Radiophonique avec Alain Trutat, la seule grande oreille de la maison ronde. À Bordeaux, c’était sous la direction artistique de François Vercken, succédant à Charles Imbert, tous deux musiciens proches de l’avant-garde d’alors.
J’ignorais quels étaient les termes de son contrat, mais à Bordeaux il avait le titre d’assistant-réalisateur. Il travaillait à peu près exclusivement avec deux personnes très harmonieuses : Catherine Audemer, réalisatrice et Michel Hervé, un ingénieur du son nuancé et inventif.
Il me donna une édition confidentielle de ses poèmes, et j’en inclus plusieurs dans des émissions. Nous avons réalisé d’autres émissions ensemble, et il me demanda de travailler avec lui en 1968 sur une adaptation radiophonique de Moby Dick par Jean Thibaudeau. Pour cela nous nous sommes déplacés en particulier plusieurs fois à Lacanau pour enregistrer le fracas des vagues, là-bas énormes. Il refusait d’utiliser les innombrables disques d’illustration sonore.
Lui-même était passionné par la mer et hanté de représentations marines galloises, et il a créé ses propres dramatiques où il jouait le rôle d’un marin ébrieux exilé. Il aimait beaucoup Dylan Thomas et m’a fait découvrir des copies des radios de ce dernier.
J.C. Rondin voulait des choses précises quant aux bruits, mais ne faisait pas pour autant partie de “l’école vériste” des preneurs de son. Il y a eu toujours eu deux écoles dans la maison du quai Kennedy : celle des inventeurs faisant appel à des bruiteurs, comme l’extraordinaire Joe Noel qui produisait quantité de bruits avec sa bouche, ou Bertrand Amiel qui dans les années soixante transportait tous un monde de sons possibles dans un caddie de supermarché, à partir de coquilles de noix, de bouts de métaux, bouteilles, ficelles et autres.
Puis les véristes qui tenaient à descendre le micro dans une fosse lorsqu’il s’agissait d’un enterrement ; l’un d’entre eux réussit même à se blesser un jour en studio dans une dramatique où il y avait un duel à l’épée et où il avait tenu à exécuter personnellement une passe d’armes.
Cette même année du Moby Dick, nous avons élaboré tout un Théâtre Sonore, et mis en ondes une dramatique avec Catherine pour je ne sais quel prix… J’avais créé également deux petits univers graphiques pour Jean-Claude et pour sa compagne Bénédicte Bleton.
C’est grâce à Jean-Claude Rondin que j’ai rencontré la première fois Sarduy à Paris en 1971, avec lequel il réalisait une pièce radiophonique (sur les chutes et notamment la jonchée de la mariée, si je me souviens bien…).
Nous avons également fait des essais de spatialisation et de colorations de voix (à la façon de Youri Kurtag ?) à partir d’un gros volume, dit des Progrès. Et deux ans plus tard nous avons poursuivi cette série de travaux en studio à partir de voix de femmes.
Jean-Claude Rondin était bouddhiste ainsi que Bénédicte. Nous adorions tous deux la séquence de l’orage dans La Dolce Vita, où Alain Cuny fait entendre la foudre dans le salon avant de se suicider avec ses enfants.
À quelque temps de là Jean-Claude et Bénédicte se sont suicidés en accord avec leur croyance bouddhiste et j’ai accompagné leur cercueil sous la pluie, suivi par une dizaine de personnes dont leurs deux petits enfants, Delphine et David, qui avaient à peine une dizaine d’années.
Un Témoin
C’est en 1975. Cette femme à la figure ravagée, H. C., me parle de son travail actuel avec Michael Londsdale et de son analyse : elle représente pour moi l’analyse catastrophée, l’analyse qui fournit pratiquement le révolver du suicide, et qui représente à peu près toute l’œuvre de Marguerite Duras (laquelle a remplacé un canon par un autre).
Ce type d’analyse (éminemment sadique), butant sur une immense catastrophe sans espoir, s’est répandu comme de la poudre noire dans le milieu intellectuel des années 70, qui se sentait coupable de tout, depuis le culbutage de la bonne jusqu’à l’inceste avec la mère dans la salle de bains ou le fait d’avoir taillé des pipes à Mao. Et pourtant Leclaire avait déjà pris son heureux virage Zen, Lacan s’en sortait très bien en matière de liquide (mieux que Duras), et avec les impôts ; Kristeva avait collé de nouvelles paillettes romanesques autour d’une théorie défraîchie ; même si toutes ces têtes qui branlaient dans le manche avaient été envoyées paître depuis longtemps avec les moutons de la logique par la grande vague joyeuse du Deleuzisme triomphant.
Mais voilà : il lui fallait aussi des pauvres à l’analyse, du misérabilisme, des esclaves somatiques qui ne s’imaginent pas qu’ils allaient prendre à leur tour le fauteuil, des gens qui fassent des ménages pour tout savoir de leur désespoir avant de se jeter en Seine (en connaissance de cause !). C’est ça l’ob-Scène des Pauvres !
C’est ça qui fait la différence : un pauvre qui qui n’a pas exactement réalisé à quel point il est une merde (et ceci sans échappatoire : ni Colonies, ni Castelvin, ni changement de Classe), ne peut fournir un suicide cohérent. Claude Guillon fournit son Suicide, mode d’emploi également en hiver 1975.
Nous organisons alors (avec des ex d’une de ces nombreuses revues qui commencent par T. uniquement par suivisme), une exposition franco-russe (comme le dessert). Mais on pense plutôt à un désert : après Staline et ses fans, plus rien que du flanc. Ou du flanco-prusse, couleur lourde comme l’eau du même non. Pietro Bodhisva
Dans le numéro de Mettray consacré à la lecture, Marcellin Pleynet pense que la plupart de ses prétendus lecteurs lisent comme des chiens.
Version pire, dans 1275 Âmes de Jim Thompson, tous les chiens de la terre réunis en congrés, sont condamnés à se sentir le cul jusqu’à l’éternité pour reconnaître le leur (se pencher, puis en déchiffrer les signes), depuis que la tempête a dispersé leurs trous de balle qu’ils avaient accrochés aux porte-manteaux par politesse pour qu’on ne sente pas autre chose que la fumée pendant les débats. (“Ce n’est qu’un débat, continuons le con bu !” Denis Roche)
À l’inverse, on pense au Portrait de l’artiste en jeune chien du fabuleux Dylan Thomas, à la lettre de Proust au chien de Reynaldo Hahn et à Proust disant qu’il ne pouvait écrire que quand il redevenait chien. Mais c’est d’un tout autre monde qu’il s’agit, spicilège des sensations décuplées, fraîches, ébouriffées, fruitives.
Puis Maurice surgit, du temps de la rue Henri Barbusse, avec les amies de la Folie-Méricourt, après la mort de Titigre ou de Tidyable (je ne sais plus), un de ses nombreux chats, qui lorsque j’arrive chez lui me dit tout à trac : « Tout de même, Marcellin Pleynet, il exagère ! »
C’était d’autant plus étonnant que Maurice aimait beaucoup Marcellin Pleynet et son écriture ; il faisait partie des très rares contre lesquels il ne pestait jamais. « Qu’est-ce qui se passe, Maurice ? — J’ai téléphoné à Pleynet pour lui demander ce qu’il faisait de ses chats morts… — Et alors ?
— Il m’a dit : “Moi je les fous à la poubelle.” Tu te rends compte ? À la poubelle ! »
Un Témoin
Alexandre Bonnier, l’homme de la Mort Rose, avait rêvé d’un camouflage optique dans les années 70 ; il avait imaginé un vêtement fait de millier de miroirs qui permette à celui qui le porte de disparaître tout à fait dans le paysage. Curieusement il repensait à cela avant de disparaître lui-même, et il m’en reparla lors de l’enregistrement à la Maison de la Radio de Fraiseuse de Mots pour les éditions de La Petite École.
Et bien son rêve s’est réalisé en 2005 : la tenue existe, grâce à l’association de l’électronique et de la fibre optique. C’est le Département NCTRF (US Navy Clothing and Textile Research Facility) du centre américain de recherche Natick, qui a travaillé sur cette combinaison classée “défense” qui rend invisible l’homme qui la porte.
Il s’agit de milliers de mini-caméras cousues ensemble sur le vêtement qui filment tout autour du combattant, tandis que les fibres optiques qui composent sa tenue affichent l’image que verrait un observateur s’il n’y avait personne.
Le tissu se comporte comme un écran de téléviseur reproduisant en temps réel ce qui se passe derrière l’individu, mais également devant lui ou sur ses côtés. Quel que soit l’angle de vue où l’on se place, le combattant disparaît grâce à une illusion d’optique.
Jean-Claude Vogel
“Marie-Thérèse avait offert à Lili toute la bibliothèque du vieux, tout ce qu'elle voulait !… la porte à côté de son salon… je voyais ce que Lili avait pris… tout Paul de Koch… tout Murger… pour nous deux La Vigue du sérieux !… la Revue des Deux Mondes des soixante-quinze dernières années… la Vie des Astres par Flammarion… elles s'y étaient mises, toutes les femmes, gitane avec, pour nous les descendre, nous les arranger bien en ordre, par numéros, dates, que notre rond de tour prenne un petit air meublé, convenable… le drôle c'est que nous avons eu le temps de tout lire !… romans, essais, critiques, discours… il m'est donc permis d'affirmer, preuves à l'appui, que les rois, députés, ministres, profèrent toujours, décade en décade, les mêmes sottises… à peine ci, là, quelque imprévu… plus con, moins con…que les romanciers écrivent tourjours les mêmes romans, plus ou moins cocus, plus ou moins faisandés, pédés, mélimélo, poison, browning… à tout bien voir, garniture lianes de fortes pensées… Tallement suffit, compact, vous met tout, pognon, les crimes, l'amour… en pas trois pages… vous pouvez bien vous rendre compte que les critiques, une revue l'autre, ont toujours les mêmes doigts dans l'œil, manquent pas de se gourer absolu, du bout d'un siècle l'autre… raffolent que de la merde, tant plus que c'est nul plus ils se poignent… fols ! jaculent, fervents, ahanent ! à genoux !… les revues de fonds de bibliothèques sont toujours joliment actuelles… toujours le canal de Suez… toujours les vingt guerres imminentes !… toujours l'humanité qu'augmente… vous arrivez à plus rien lire, plus vouloir, plus savoir, tellement vous êtes très sûr du reste…”
Louis-Ferdinand Céline. Nord
Pierre de Kernec-Malevouan.
Quand vint le Cap’tain’ d’eau douce, j’ai cru voir trottiner Gilles Martinet "missionné" contre la Rinascita, dans son costume trois-pièces, main dans la main avec sa petite perversion pâle et froide, ou bien entendre une citation de Lourau sur l’identification à l’institution. Faut croire que ce n’est pas mieux sous les vieux pavés de 68 ; la seule fois où j’ai entendu Sauvageot s’indigner de l’inculture des étudiants avec sa nouvelle coiffure, le cerveau peigné en arrière, je me suis ému de cette floraison de métanalyse par rapport à la propagande répandue par mes anciens profs barbus en velours, voire les plus mal assis, à propos de cette "vieille œuvre" jadis militante ; je préfère Paris-Roubaix dont on fêtera bientôt le centenaire. L’idée de "l’écriture" dans les Ecoles d’Arts est vraiment nulle ; ça doit sans doute être lié avec cette allure "vengeance des profs qui ont moisi longtemps dans les bahuts“ avant de nous faire payer nos excès de couleur ; on revient enfin à la restauration capitaliste, à une politique conceptuelle glaciale des "deux fusionnent en un" ; c’est peut-être aussi un des effets du révisionnisme moderne que le retrait vaseux de la vague de fond constituée d’énarques au lieu de la grande déferlante d’une élite intellectuelle désagrégeante ; on est dévoré entre les deux tranches du pain de mie universitaire et de la vieille croûte du secondaire. Heureusement on trouve encore ici ou là comme enseignants un veilleur de nuit, une dompteuse de fauves, un mathématicien fou, une lingère. Il y a un type vraiment génial à Quimper dont j’ai oublié le nom qui se balade justement comme un homme-sandwich avec sa force productive dans le dos : de la cochonnaille moulée en plâtre rouge sang ou couleur du pus, de la bile ; c’est une personne éthiquement irréfutable. On reconnaît dans ce vieux débat hélas la ligne mécaniste qui va s’imposer ; nous vivons tous le crépuscule des Beaux-Arts, mais ce serait étonnant que nous n’y soyons pour rien. La casuistique a encore de bons moments devant elle. Je suis né à Orchies en 1974, mais la plus grande partie de ma famille a péri à La Panne-Dunkerque le 27 mai 1940. C’est sans doute pour cela que je reprends "Le Poème Historique" ; il y a un grand projet en route qui s’appelle "Le Lai du Littoral". La théorie du signifiant en est venue à son absurdité de redondance dans les Ecoles d’Art ; Oulipiens ou Poliens ne sont que les mêmes resucées de lambeaux morts ; ils s’offrent de temps en temps une artiste mécanique qui danse le cha-cha-cha, mais c’est toujours la même pauvre parodie du temps en flux. Or, si nous voulons bien la langue, c’est plus son irradiation que ses isolexismes. L’état du délabrement vers la Banque Mondiale était visible dans cette émission télévisée "tenue" par l’une "des Ténardier", où Denis Roche, luttes et ratures du temps, était devenu aussi brave qu’un père Denis ou pire : poussah enflé et faux Zola, tant il avait ravalé ses insultes ; dommage, c’était le seul à vraiment creuser ; Du Bouchet le bien nommé, dernier avatar de la "poésie blanche" dont Deguy est le tabouret étymologique savant et Duault la doublure, nous précisait, avec quel cahier définitif il hoquetait quelques bribes dans les chemins noisetiers, tandis que tel autre de vergé à pontuseaux visibles, recueillait l’ineffable, qui, comme on le sait, tombe toujours avant la feuille et ne dépose jamais, même s’il est cité à la barre. Le seul à garder net son point de vue était Prigent, bon poète, même si rien d’exaltant n’était échangé, et même s’il se borne dans sa théorie à reproduire du faux Deleuze et du Néo-Kristeva qui ne dit pas son nom, comme Muray. Le zappeur téléthique sautait, sur une autre chaîne dans la version hystérique d’une communauté du Montana où l’on s’étonne que Joël-Peter Shapiro ne réside pas encore pour y faire des conférences sur Yang Hsien-tchen ; tout écrivain de ce pays de libérateurs où le steack est toujours saignant est forcément tout à la fois charpentier, boxeur, écrivain de "gothics", et théoricien, sauf le pollack qui traînait par là par erreur, lui s’étant senti obligé d’être "original et indépendant", mais surtout sinistre, ce qui ne vaut guère mieux et ne sort pas de l’enclos de la métaphysique occidentale habituel. Je ne crois ni à ce steack ni à ce pemmican. Plutôt à un lyrisme ayant bénéficié des formalismes précédents en moyens d’investigation, comme le cinéma ne se réduit pas aux photogrammes ; c’est sans doute une illusion de jeunesse ! Il y a tout de même Jean-Michel Michelena, qui ne croque pas du Jésus déshydraté, Richard Sieburth condensateur d’enigmes avec une jouissance de satori, Verheggen, tout de même, qui reste le seul au niveau de Cravan sans faire garçon de café du dadaïsme attardé, et surtout Bernard Manciet, qui a la chance extraordinaire d’un vrai moyeu de jade de langue condamnée, improbable et totalement inusitée, et peut ainsi jouer librement des muscles de l’alegría, puis, enfin et surtout, dans ce même paysage mental, Gérard Arseguel, dont l’essai de "Home Poetry" vaut mieux qu’un art poétique à lui tout seul, parce que c’est un championnat de réticence.
Paru dans le N°1 des Enguirlandés, Éditions de La Petite École.
Janvier 2000.
Est-ce Public Image Limited et Lydon qui m’ont appris quelque chose de nouveau sur Michel Foucault ? Non.
Un Lindon Chasse l’Autre
J’ai été heureux une seule année à l’école, et récemment d’apprendre grâce à Lindon que Michel Foucault avait attrapé le sida dont il était mort en taillant une pipe sans protection à un étudiant aux États-Unis. Plus encore que Samir Nasri quand Raymond Domenech a perdu son travail. C’est vrai que la face du monde en eut été changée s’il s’était fait enculer sur un tabouret en lisant Ce qu’aimer veut dire, de Lindon (ouvrage bourré des anecdotes autour des écrivains tellement délicieux qui fréquentaient les éditions de pâpâ), ou telle autre variante de posture.
Il est ravi nous sommes ravis vous êtes ravis ils sont ravis, Passé composé j'ai été ravi tu as été ravi il a été ravi nous avons été ravis vous avez été ravis… (Est-ce du Quint-Âne ? Non, ce serait plutôt : “J’ai été contente.” et “J’étais contente.” C’est du pur Net.)
On apprend aussi que Foucault n’était pas un second père. Ouf !
Cela est aussi passionnant que les souvenirs d’enfance dudit Lindon ou jadis le texte Enculade comme si vous y étiez, paru aux mêmes éditions de Minuit, de Denis Jampen, bien connu ici à Nantes (Burroughs revu francité mièvre, urine de banlieue et zone de lisière), ou que les détails de la diététique de Robert Matzneff, obsédé par le tri sélectif des moins de seize ans.
C’est la plus belle vision qu'on puisse avoir de l’œuvre de Foucault, qui resterait sans cela absolument incomprise, et on ne peut plus aprocher le génie de Naissance de la Clinique sans cette clé. De ce fait l’ouvrage Ceci n’est pas une pipe ! de 1973 (l’année du texte de Jampen), s’en trouve illuminé a posteriori !
C’est quelque chose d’essentiel et pas du tout d’ordurier, ni de proche de ce qu’aurait pu écrire Minute ou dire Jean-Marie Le Pen. Non, C’est la Pine ! C’est vraiment, ressenti, profondément. C’est du Connan vrai breton. Humain, pédagogique, descriptif, narratif, incisif, physiologique, aussi bon qu’Amélie Nothomb.
J’espère qu’avec l’accélération et l’amplification des moyens numériques et leur possiblité du reportage en direct, nous pourrons assister à l’agonie de Mathieu Lindon : s’il se faisait tout à coup empaler de force, il aurait le réflexe de nous retransmettre ça en direct en branchant son portable ; il nous donnerait immédiatement ses sentiments jusqu’à la dernière seconde, que l’on connaisse à vif son intériorité grâce à cette morsure par l’ourlet. Quel enseignement, quel prestige ! Et la littérature en sortira grandie, encore une fois.
J. F. Inlande. Nantes.
Nous saluons la naissance du boson de Higgs (que certains écrivent X, intersection de l’absolu, tellement ça paraissait l’inconnue nécessaire), la particule-miracle disparue aussi vite qu’apparue, mais du moins confirmée dans ce tremblement. Bon. La communauté scientifique se réjouit. Nous aussi, qui cherchons toujours dans notre mémoire des chiffres en rouge et des choses insignifiantes.
On se retrouve avec Léonard, Léonard et son “poids atomique nul” (bien au-delà de la pure adoration des nymphéas de Monet), ce que Madeleine Hours jadis dénichait : une absence absolue de touche, de trace, une sorte de non-matière dans la posée de la peinture.
Il semblait pourtant voilà moins d’un an, fin septembre 2011, que la vitesse de déploiement d’un spermatozoïde lâché sur une moquette de luxe par un dreyfus d’opérette ou le choix du plus con parmi une liste d’éligibles, soit une grande préoccupation de la misère de l’opinion, plus grande en tout cas que la vitesse de la lumière, dans un monde livré à peu près partout à la guerre civile ; c’est du moins ce que clamait avec une certaine majesté le marchand de journaux d’un kiosque de campagne près de chez moi autour duquel il y avait foule, “ce monde qu’on a perdu où on n’y verra certainement plus clair que lorsqu’on aura étranglé le dernier banquier avec les tripes du dernier trader” ajoutait-il dans une belle envolée paraphrastique ou paraphrénétique.
Mais j’ai eu alors la force de croire que la vitesse du neutrino dans les flancs du CERN relevait de la passion, qui plus est dans le cadre d’une opération surnommée OPERA, avec des ténors qui ont nom Dario Autiero et Antonio Ereditato.
À preuve de la passion, cette centaine et plus d’articles parus à peine après quinze jours de l’annonce des résultats de l’expérience, et les débats chaleureux des scientifiques en radiophonie (les empoignades scientifiques prolongeant directement les courses d’électrons…)
On sentait du reste une réticence, même chez de grands auteurs comme Levy-Leblond, notre spécialiste de l’idéologie de la science, à accepter avec cette utopie une remise en question de la théorie dans ce domaine quantique et extra (“Le quantique, c’est extra !”). Et chez plusieurs de ses collègues arc-boutés, la levée de boucliers donnait l’impression que la particule avait truqué son passage, qu’elle avait saoûlé les photons, histoire de les faire ricocher en désordre contre les murs ou qu’elle avait fait en sorte de les égarer dans le conduit des toilettes. Certains en avaient profité pour remettre en vitrine le chat de Schrödinger en expliquant que d’un côté le neutrino dépassait la vitesse de la lumière, et de l’autre non.
Serait-ce donc aussi que l’idéologie y pleuve ? Car même si elle devait être à peu près infirmée dès le 22 février de cette année, l’expérience OPERA avait été réalisée dans des conditions attentives, et il n’est rien demandé d’autre à la communauté scientifique internationale que de refaire la démonstration dans un sens ou dans l’autre. Alice.
Les Multivers, théorie au moins aussi éparpillante et aussi peu représentable, a fait son chemin depuis 2007 grâce entre autres à Aurélien Barrau, dont le ton ampoulé baroque “lance” lyriquement de belles planètes inconnues pour une soirée digne du Crazy Horse autant que de Chrétien de Troyes, sans pour autant révulser la communauté scientifique.
Idem pour les théories cosmologiques révolutionnaires de Jean-Pierre Luminet, avec ses espaces sans bord, topologie non simplement connexe.
Le neutrino, me direz-vous, c’est une curieuse appellation pour une particule qui part de Suisse ; c’est peut-être de là que venait toute la défiance ; mais n’oubliez pas qu’elle voltige vers le Grand Sasso qui a connu le bonheur de voir passer d’ilustres personnages dans une époque d’Or symbolique avant la catastrophes des usuriers.
“(……)with usura
hath no man a painted paradise on his church wall (……)”
(E. Pound. Canto LXV)
*
Par contre, la théorie du genre, elle, passe bien : c’est tendance et camping. Et pourtant elle ne sert à rien de moins qu’à recouvrir l’innommable. À nous faire croire que l’altérité est une vieille manie et que le même est notre fondement, si j’ose dire.
“Joyau, jouissance de la lumière”, disait le Papy à la houppelande, et aux cigares tordus à la Trinita par la distance critique.
Sur les genres l’expérience scientifique enrichissante, c’est certainement celle sur les drosophiles (comme le Nobel français de cette année), où par mutation génétique on a créé des mouches sans phéromones qui curieusement deviennent “irrésistibles”, même pour les partenaires du même sexe. Et si on rajoute des phéromones à ces “irrésistibles”, plus personne n’en veut !
Les Chinois sont encore plus marrants que la mayonnaise des genres ; ils font dans le mélange des arn : on devient plante, disent-ils, grâce à des micro-arn. Danger des plantes transgéniques mais aussi bien des haricots bouffés dans la chambrée. Les micro-arn rentrent comme information dans notre corps et modifient l’expression de nos gênes. C’est ainsi que l’homme fait encore plus partie de la Nature. Action sur les métabolismes des lipides et notamment les diabètes, etc.
Numéro 1 des Chercheurs : l’Académie des Sciences Chinoises. Harvard n’est plus qu’au 4ème rang !
*
Philipp K. Dick depuis longtemps à cristallisé les théories de Hugh Everett, tandis que nos artistes geigneurs des anneaux franciliens et pas même borroméens produisent des travaux topologiquement lamentables en regard de ça : Orlan à beau se faire charcuter sous toutes les coutures en hommage à Charcot, jamais elle n’atteindra ces dimensions ; elle a beau retourner sa couenne : aucun pli baroque. Rien que l’inévitable moi-peau, un concept purement universitaire aussi réversible que toutes les vestes de Sollers, et lavable comme une capote.
Quant à Buren, notre installateur sur mesure, notre petit décorateur d’intérieur, sa platitude et son humour nous endorment à juste titre (“et toile à matelas !”). Dire qu’on a osé publier ses écrits complets ! Comme si ça pensait !
Toujours, toujours l’opérette.
Bien pire que ça.
Car du moins Offenbach a nourri Rimbaud et Visconti a su y trouver des mélodies sublimes pour le suicide d’un grand Roi.
Jean-Claude Vogel.
Curieuses, les rencontres sur les blogs : je connais Ronán Pleven par un article lu de lui à l’université de Rennes sur les monnaies romaines, et une analyse des mythes celtiques chez Shakespeare !
L’Internet a ceci d’inquiétant qu’on y trouve les mêmes anecdotes. Je connaissais l’histoire de la fameuse lettre Z qui raZe et qui coupe, que j’ai au moins lue une diZaine de fois, et également celle de la rencontre Vauthier-Maréchal.
Quant au métier de journaliste, c’était une posture, car Maurice Roche était lui-même un journaliste (même s’il préférait dire “reporter”, ou mieux encore “globe-trotter”), et il en tirait encore quelques subsistances dans les années 80. Moi je voudrais plutôt parler de Maréchal.
Vous avez raison de parler du rapport entre De Funès et Novarina, car même si ce rapport m’avait échappé, c’est évident que Novarina est un grand comique, et c’est bien lui qui a écrit un ouvrage sur De Funès en 86, si je me trompe pas. C’est du reste à ce moment-là qu’il a été connu d’un plus large public.
Vous parliez aussi du lien entre Maréchal et Vauthier ; il faudrait parler de celui entre Maréchal et Novarina. Notamment avec l’Atelier Volant, dont je possède encore le manuscrit original. J’avais assisté à son Falstaffe avec Jany Gastaldi au Théâtre du Petit Odéon (en 1978 ?), et un suisse un peu fat, assez gras (l’air d’un poussah décadentiste et plutôt gynécologue), prononça devant moi à la sortie cette énigme : “Octave Mirbeau !” Rien d’autre. Je ne compris pas. Aujourd’hui je me demande toujours à quoi il pensait : à celui qui quitte les métiers dès qu’ils sont pénibles, aux Vingt et un Jours d’un neurasthénique ?, à sa tragédie populaire ?
Malgré son titre de Falstaffe, Novarina n’a absolument rien d’Élizabethain. Vous avez raison de citer Jean Vauthier, mais il ne faut pas oublier Michel de Ghelderode. Je fais partie de ceux qui ont eu la chance de voir à Gand la représentation de Fastes d’Enfer, et c’est sans doute dans son mélange d’horreur et de bouffonerie, quelque chose de tout à fait extraordinaire.
Avec Jan in Ereme qui sort de la mort pour recracher l’hostie empoisonnée. Il faut dire que le Moyen-Âge est plus présent en Belgique que chez vous.
Pour faire contrepoids, il faut voir aussi toutes ses pièces pour marionnettes, comme Le Massacre des Innocents, par exemple, ou Le Siège d’Ostende, pour en savourer toute la puissance de révélation historique.
Et ça n’est pas du tout un théâtre de langage comme Novarina, c’est un acte de magie et d’incorporation.
Ainsi, quelqu’un parlait de “nouveau théâtre de boulevard” de façon péjorative à propos de Novarina, ce qui n’est pas totalement faux ; je penserais à de très bonnes pièces américaines qui jouent sur ce registre-là et sur Broadway, puis également à Obaldia, Ionesco, qui n’en sont pas si loin. C’est du “théâtre de chambre” plutôt, comme Dubillard. Mais dans un genre tout à fait lacanien, une chambre d’échos. Nous sommes très proche de Dubillard et des Shadoks.
Mais en tout cas on n’est pas dans le registre tragique : ni l’Élizabethain, ni le siècle d’or Espagnol. Nous ne sommes pas non plus avec le Baladin du Monde Occidental ni avec Kleist et pas tellement avec Vauthier, contrairement à ce que vous dites, beaucoup plus tragique que ça. Le clown Bada pourrait être traité par Visconti.
Qu’on songe plutôt aux recherches abracadabrantes du non-humain, chez Audiberti. Un homme débarassé de la chair, pour qui seul compte le jeu.
Le lingouisme de Falstaffe (“Juste la langue, madame la gouine !” : cette phrase ne vient pas de Novarina ; autre conception), n’est pas le tragique de Bada, et encore moins des Bonnes. Comme il y a du tragique chez Dubliner’s, qui transparaît encore un peu dans Ulysse et disparaît dans l’effroyable logique de Finnegan’s Wake : on est par contre dans la douce sussurance liturgique si chère à Sollers dans quelques-uns de ses meilleurs ouvrages : H, ou Paradis.
Les glouglous du dindon chrétien (je me souviens de Novarina espérant le four du Claudel à Avignon, comme si c’était un rival) ne sont pas ceux de Claudel : Claudel claudique ; ce n’est pas Cloclo. Il a du bois, du métal et de l’os. Tête d’Or, par exemple est un capharnaüm de matières hétéroclites ; c’est tout sauf de l’agréable musique de langue. Comme il y a des trous pas seulement glottiques chez Artaud : des trous de cigarettes comme ses sorts, ces brûlures de cigarette trouant ses dessins équivalant à des tortures sur le corps, ou comme les coups de poinçon qu’il ne cessait de donner sur les billots de bois après sa sortie de Rodez.
Le lingouisme s’affouine et la langue s’infirme.
Maurice Van de Guelde
« En voici un qui me doit quatre allumettes ! » disait-on chez moi en Bretagne où l’on redoutait le poisson et ses épines tenant peu au ventre, le laissant pour ces bizarres de pêcheurs. C’est autre chose qu’un berger dans une valise, à savoir Léonard Cohen forcé de sortir du Monastère Zen de Los Angeles où il faisait retraite depuis 1994.
En réalité, “Le Silencieux” était déjà parti de Mount Baldy au printemps 1999.
C’est dans le premier numéro hebdomadaire des Inrocks que j’avais lu un article sur la retraite Zen de Cohen, avec sa photo en couverture.
Dans Old Ideas, c’est la voix de l’extinction, d’une dépression qui n’en finira jamais (lui qui se dit dépressif chronique), car c’est celle du monde, de la lucidité Zen, qui donne une légère tristesse, disait Suzuki.
Manager crapule, Kelley Lynch, pour détournement de fonds (5 millions USD), qu’on devrait Lyncher ?
Je pense à ce groupe qui se nommait E. P. S. : Elimination Pure et Simple. Je sais bien que ça n’avait rien à voir avec des personnes (c’était une thérapeutique égyptienne par la sueur) et que ça peut évoquer les horreurs nazies, mais je ne peux m’empêcher de penser à la nécessité d’éliminer les intermédiaires avec le Z, la lettre qui coupe de Maurice Roche. Il faut ainsi penser à ses ennemis même en se raZant. Les impresarii, les éditeurs, les galeristes, toute la demi-flicaille lécheuse. Il y avait deux métiers que Maurice Roche avait interdits à son fils : journaliste et prostitué.
Restons Zen, coupons-leur la tête ! (Le Lotus Bleu)
Robespierre était très Zen, avec son orange et sa frugalité. Je crois que vous l’aimez bien.
J’ai vu en 1989 les travaux d’un graveur Robespierriste qui avait réalisé courageusement une suite gravée en hommage à Action Directe.
Saluons les amis de Robespierre.
La France a toujours préféré les garçons bouchers pour toutes les besognes : Danton par exemple. Il est évident qu’un Danton mâche plus. Robespierre est du côté du sabre et Danton de la hache. Il y a des places Danton partout et pour ainsi dire aucune rue Saint-Just, Couthon, ni Robespierre. Pas de rue Robespierre à Paris, malgré les propositions du Parti Communiste en octobre 2009. Par contre un petit triangle à la pointe ouest de l'Ile-Saint-Louis s’appelle Aragon (Elle est dans l’Île ?)
Est-ce un ministre inculte et chevalin à la cravate rouge, un secrétaire d’état ou un historien histrion et révisionniste, qui en raison de cette aversion instinctive pour le personnage, lors de la célébration de la Révolution en cette même année 89 très gaie (Jack Lang, Jean-Paul Gauthier, qui d’autre pour l’organisation de la fête ? J’ai oublié…) élimina purement et simplement le cachot de Robespierre à la Conciergerie au profit de celui de Louis XVI (qu’on agrandit alors !), pour la simple raison qu’il ignorait que Robespierre y avait séjourné. La très grande astuce que voilà !
Ronán Pleven
Je pense soudain à Jean Vauthier, car je crois que vous en avez parlé quelque part sur ce site ou sur un autre blog, même si cela semble impossible à retrouver.
Savez-vous que que Jean Genet considérait Jean Vauthier, comme “le plus grand dramaturge de notre temps” ? En effet pas d’auteur plus tragique que Vauthier, dont on retrouve des traces chez le suisse Novarina, qui lui est un auteur comique comme l’espagnol de Funès. Et Genet regrettait beaucoup qu’il soit si peu joué, et pas du tout à Bordeaux.
C’était un ami de Molinié entre autres, et ils se retrouvaient souvent chez un photographe qui reproduisait les œuvres de ce dernier, rue des Remparts, qui avait un nom de musicien : Mahler. Ils auraient pu dire “Retenez-moi ou je défais un Mahler !”, car ce type-là (qui n’a rien à voir avec le Grégoire actuel), était d’extrème-droite ; son assistant était un ancien de l’O. A. S., et ils collectionnaient les assiettes à l’effigie du Maréchal Pétain qu’une petite marchande de bonneterie voisine, copine dudit Malher, exposait en toute innocence parmi les dentelles.
Une dénommée Murielle Marcaillou a fait paraître récemment ici dans une petite revue guerrière de Talence un article à propos de la méconnaissance des artistes bordelais par leur ville (où elle fait l’éloge de Jean Vauthier et de Roger Lafosse). Je crois qu’on peut suggérer avec humour, et sérieux, que c’est une loi absolue depuis Marquet jusqu’à Sauguet. Peut-être est-ce la même chose dans tels hauts bâtiments lyonnais ou à Pampelune et faut-il simplement dire comme le Général De gaulle : “Les Français sont des veaux.” même si l’on a plutôt envie d’énoncer des spécificités concernant les Girondins (surtout quand on a habité pendant des années près du stade comme moi !). À Bordeaux le pouvoir se gonfle sans jamais éclater, avec lassitude et mépris, en prenant de haut les créateurs.
Cela semble impossible que Bordeaux, cité anglaise avant tout, reconnaisse ceux qui l’excèdent, sauf s’ils ont l’onction du saindoux. Ils en ont reconnu tout de même quelques-uns : Louis Beydts (et ses amis Arnaudin d’Hossegor), sans doute parce qu’il était le fils d’un gros marchand de pinard des Chartrons, ou Mauriac parce qu’il était aussi raide et repassé à la pattemouille comme catholique qu’un protestant (un peu comme notre pape actuel qui pourrait très bien être le Pape des protestants s’ils décidaient d’en créer un) : ni baroque ni excessif ; seulement pénible et coupable. Mauriac avait l’avantage d’être né gâteux, et Suffran le mérite de produire une littérature suffisamment obséquieuse pour faire partie de l’Académie des Belles-Lettres de Bordeaux, et ils sont donc célébrés chez Mollat. Une société comme la société bordelaise n’avait dans les années soixante que de la terreur pour ceux qui ne venaient pas des allées de Tourny, mais cette terreur ne s’adressait pas encore aux petites revues, même à l’agonie, ni aux artistes plasticiens (ce qui fut rectifié avec le CAPC et d’autres entremetteurs postérieurs -le terme convient-).
C’est vrai que Mollat est devenu un quartier à lui tout seul, mais je n’ai jamais vu de différence de choix entre la Mimesis jadis, La Machine à Lire et Mollat aujourd’hui ou des institutions soi-disant alternatives des environs de la rue Bouquière, du cours Victor Hugo et d’un Saint-Michel colonisé par la pire petite-bourgeoisie éduquée, destinées à des demeurés à la con. Il faut dire que les révoltés de Bordeaux redeviennent vite les hypokhâgneux soignés de Montaigne (je parle du Lycée) qu’ils ont toujours été, à preuve ce petit philosophe de Bergerac qui, après avoir frémi devant l’assaut des forces de l’ordre, a très vite (juste le temps de perdre ses cheveux), retrouvé les mocassins à glands et le pantalon woolmark à revers pour faire l’article aux petites vieilles dans un salon du livre minable comme il y en a tant, d’un entrepôt frigorifique de la ville. J’ai croisé là, quelque part sur ma route, tant d’écrivains réversibles !
Bordeaux institutionalise tout très vite ; c’est évident : le CAPC a glissé à la place du Mai Musical, mais c’est destiné à la même bourgeoisie condescendante, même si les cantatrices folles ne sont pas les mêmes. Luis Mariano qui a fait la plonge aux Chartrons, est bien reconnu, mais c’est un basque (avec ceci de bien particulier qu’il s’est réfugié à Bordeaux après la fin de la Guerre Civile en Espagne, contrairement à la majorité des Espagnols de la ville). Et Roberto Benzi, qui a toujours été la coqueluche du Grand-Théâtre, était un italien. Quant à Jean-Louis-Froment, formé par une école publicitaire suisse, cela ne serait venu à l’idée de personne de le critiquer avant les diatribes d’un (bien nommé ?) Bordeaux pour sa gestion catastrophique (mais seulement depuis la mort de Chaban : le courage a ses limites). Plus vivants que jamais, les deux s’en sortaient bien : Bordeaux et Froment.
C’est parce qu’on est une grande ville qu’on a une spécialiste ici de la culture à Bordeaux de 1945 à 1975 : Françoise Taliano-des Garets. Et c’est sans doute une institution familiale, puisqu’on a connu un des Garets au centre régional du bouquin qui écrit délicieusement sur l’ovale du rugby, le rond du bassin et le vide Malagar. Par contre je crois savoir que dans sa thèse Françoise Taliano s’est égarée dans les dates et les fondateurs ; elle oublie que l’Onyx, ce premier café-théâtre de province dont vous avez parlé dans vos colonnes à propos d’Arrabal, a d’abord été créé par Jean-Louis Froment, Jean-Luc Selleret, Pierre Barès, Françoise Labat et quelques autres sous le nom de Poisson-Lune, en avril 1966 (1er spectacle annoncé dans Sud-Ouest du 20 au 22 avril 1966), avant de devenir l’Onyx (le titre vient de Mallarmé, choisi par un des poètes du groupe), seulement en octobre 1967 après des travaux de doublage, d’insonorisation, et avec de nouveaux partenaires dont Pierre Castex le décorateur du Grand-Théâtre qui y a réalisé la plupart des décors. Aujourd’hui ce n’est ni une maison louche ni un hôtel borgne, c’est une gargote infâme, la tâche aveugle de la bêtise la plus girondine qui soit, sous des prétexte d’occitanicité comme un vieux cul raclé de casserole, de son tenancier actuel lourdingue ; on y joue une navrante parodie des chansonniers Tichadel et Rousseau (jadis Mmes Lamoukire et Brisemiche, qui avaient le mérite de dater de la deuxième Guerre Mondiale sans qu’on s’oblige à les restaurer).
Madame des Garets parle de la rencontre de Marcel Maréchal avec Vauthier à Barbey en 1965, qui lui a donné l’occasion de faire connaître son œuvre (c’est autre chose que “Maréchal, nous voilà !”, paroles et musique), mais bien sûr ailleurs qu’à Bordeaux. C’est même là l’importance du nouage, car leur vision à tous deux était cosmopolite, et c’est parce qu’ils avaient ce besoin absolu du nouveau qu’ils n’ont rien fait à Bordeaux. J’ai assisté également à un happening nommé Happening U.S.A. Sans Paroles ni Musique le 1er avril 1967, dans ce même théâtre Barbey, dont m’avait parlé Laurent Tatin-Vaubourgoin qui travaillait à la radio et où on nous avait enfermés, portes closes cadenassées et musique de Luciano Berio à fond, avec parmi les comédiennes Thérèse Liotard, la non-inoubliable Tante Rose d’une très mauvaise version de Pagnol. Charles Imbert, musicien m’expliqua à la fin de ce spectacle réalisé par un ami à lui que c’était un évènement dans la logique dadaïste, volontairement placé un jour de gags, et effectivement ce fut drôle : les comédiens s’empêtraient dans les piètements des panneaux de bois garnis de collages qu’ils faisaient tomber, panneaux sur lesquels des diapositives des USA projetées en désordre étaient à peine visibles, se supperposant aux lambeaux de couleur des journaux lacérés. Le régisseur allumait ses projecteurs toujours à côté des acteurs, à cause de leurs bonds imprévus, réduit à les saisir en “poursuite”, et le clou du spectacle, ce fut un homme de radio connu pour son énorme tarin à la Cyrano et ses pratiques sexuelles minables, que tout le monde surnommait Nez-Vrose, et qui disparut dans une trappe dont tout le monde ignorait l’existence, en bordure des coulisses où il avait installé son nagra.
L’exception, parmi tous ces glissements et travestissements, c’est bien Sigma et par-dessus tout Roger Lafosse : c’était une ouverture bénéfique que cette semaine miraculeuse, entre la décadence du Mai Musical et l’invasion du CAPC. Ça n’a pas duré longtemps, mais on y voyait Jean Vauthier grâce à Georges Malgouyard et Jacques Manlay, dans les années soixante, qui avaient d’autres amitiés fabuleuses, telles que celle de Jacques Tourneur.
Françoise Faure. Bacalan.
À revoir les attentats du 11 septembre à l'occasion de leur commémoration : toujours la même sidération, malgré le fait d'avoir vu et revu ces images des milliers de fois et malgré l’épaisseur des médias, la connerie des speakers, etc. : le mille-feuilles aurait-il gardé la crème de l’émotion immédiate du crime à cause de la symbolique millénariste et du jamais-subi dans une Amérique intouchable ?
C’est inaugural, comme Christophe Colomb et comme l_’Hombre_ sans Homme d’Hiroshima ou comme l’émotion ressentie au surgissement vif d’une saison qu’on célèbre (l’automne, en particulier), dans un lieu où elles sont particulièrement “tranchées”. Sagesse de l’émotion.
En réalité ça ne vient pas de ça mais de l’incarnation de l’horreur, d’être renvoyé par le film au regard des passants, à leur visage horrifié, d’entendre le “Oh ! My God !”, de voir la course éperdue et tâtonnante du filmeur… Puis grâce à l’efficacité du calcul médiatique de Benladen (les 17 minutes entre l’attaque de la première et de la deuxième tour ayant permis de bénéficier de l’arrivée d’équipes professionnelles), ces réactions sont d’autant plus sensibles et rentrent d’autant plus dans le champ de la compréhension. On reçoit en direct le décalage entre la vision et la compréhension, comme lorsqu’on assiste à un accident dont on est partie prenante.
Autre chose remarquable : la beauté du couple Obama. Ça se distingue, chez les gouvernants. Ils font aussi fort que les Kennedy, comme on dirait dans Ciné-Monde (ou dans Le Figaro, ou Le Nouvel Observateur ou Libé, puisque c’est désormais la même idéologie).
Sûrement que les Tours sont devenues la scène inaugurale pour certains comme le film d’Abraham Zapruder le fut pour De Lillo (qui du reste a écrit également L’Homme qui tombe.)
Sans chercher à s’interroger sur les 111 jours qu’il reste avant la fin de l’année, la Onzième arcane du tarot, c'est La Force : l’âme qui dompte un lion, dirait l’ami Vivien Isnard, au moins aussi numérologue et astrologue que peintre.
Le 12 c’est le renversement du Pendu, et c’est aussi L’Homme qui tombe. Et pour le 13, c’est-à-dire demain et L’ombre du Mat, on se réservera la lecture de Vendredi 13 de Goodis, même si ça par malchance ça tombe un mardi, en attendant des divertissements nucléaires pour faire mieux que l’exploit de trois mille morts grâce à une fourchette.
O. N.
Amours Chiennes de Maucaillou ?
Belle surprise ce matin en revoyant le film Amours Chiennes ! d’Innáritú. (Mexique. 2000.), qui m’a fait penser lointainement à votre façon de construire Crampes, le recueil sur les Gitans que vous m’aviez donné à lire à propos du texte de Foucault paru dans Les Cahiers* sur La Vie des Hommes Infâmes.
Y compris l’exergue à propos de l’oubli. (“À Luciano. Parce que nous sommes aussi ce que nous avons perdu.”)
Le film est construit par contiguïtés, comme Short Cuts, jusqu’à l’accident qui fait coexister les différents types et milieux sociaux jusque là dans des continents séparés. Il rassemble des existences contingentes et séparées dont le seul moment de nouage est un accident. Et, aussi curieux que ce soit, les lignées qui précèdent l’accident se défont à la suite de celui-ci pour retomber en simples lignes. Une seule fois ce n’est pas une lignée se refait, mais une tribu qui se forme, transversale : le père retrouve sa petite fille après des années en prison, une vie de guerillero puis de mercenaire, comme les chiens tueurs, les chiens de combat sous l’emblème duquel le film est placé. Sinon tout y est : Abel et Caïn, les deux frères prêts à se descendre. Là-dedans, tout le monde s’entre-déchire.
Et les deux de l’apothéose finale (chien noir & guerillero) sont les pires. Pas les pères. Ce film est l’histoire d’une métamorphose du guerillero en père sauvage et du chien Coffee au chien Noir. Mais ce n’est pas l’apothéose du père ; c’est une transformation contingente en dehors de la famille : comment grâce au sang versé refaire des liens frais, neufs. Il ne sagit pas de revenir à un “Bien” forcément précédent, et qu’on aurait quitté.
C’est après avoir agonisé que le chien noir renaît, toujours aussi meurtrier, sauvé par le mercenaire, égorgeant ses chiens : ce qu’il avait de plus cher après sa fille. La leçon est là : c’est faute de chiens que le père retrouve sa fille.
J. F. Martin. Bordeaux
Note* : Il s’agit des Cahiers du Chemin.
Débarqué à Fluelen, arrivé à Altorf, le manque de chevaux va me retenir une nuit au pied du Bannberg. […………]
Demain, du haut du Saint-Gothard, je saluerai de nouveau cette Italie que j’ai saluée du sommet du Simplon et du Mont-Cenis. Mais à quoi bon ce dernier regard jeté sur les régions du midi et de l’aurore ! Le pin des glaciers ne peut descendre parmi les orangers qu’il voit au-dessous de lui dans les vallées fleuries.
[…………]
D’Altorf ici, une vallée entre les montagnes rapprochées, comme on en voit partout ; la Reuss bruyante au milieu. À l’auberge du Cerf, un petit étudiant allemand qui vient des glaciers du Rhône et qui me dit : « Fous fenir l’Altorf ce madin ? allez fite ! » Il me croyait à pied comme lui ; puis apercevant mon char à bancs : « Oh ! tes chefals ! c’être autré chosse. »
[…………]
Le nouveau chemin du Saint-Gothard, en sortant d’Amsteg, va et vient en zigzag pendant deux lieues ; tantôt joignant la Reuss, tantôt en s’écartant quand la fissure du torrent s’élargit. Sur les reliefs perpendiculaires du paysage, des pentes rases ou bouquetées de cépées de hêtres, des pics dardant la nue, des dômes coiffés de glace, des sommets chauves ou conservant quelques rayons de neige comme des mêches de cheveux blancs ; dans la vallée, des ponts, des cabanes en planches noircies, des noyers et des arbres fruitiers qui gagnent en luxe de branches et de feuilles ce qu’ils perdent en succulence de fruits. La nature alpestre force ces arbres à redevenir sauvages ; la sève se fait jour malgré la greffe : un caractère énergique brise les liens de la civilisation.
Chateaubriand 17 août 1832
À Altdorf, à la pointe méridionale du lac des Quatre-Cantons qu’on a cotoyé en vapeur, commence la route du Gothard. À Amsteg, à une quinzaine de kilomètres d’Altdorf, la route commence à grimper et à tourner selon le caractère alpestre. Plus de vallées, on ne fait plus que dominer des précipices, par-dessus les bornes décamétriques de la route.
Rimbaud 17 novembre 1878
Soutenu en l’air par des murs le long des masses graniteuses, le chemin, torrent immobile, circule parallèle au torrent mobile de la Reuss. Çà et là, des voûtes en maçonnerie ménagent au voyageur un abri contre l’avalanche ; on vire encore quelques pas dans une espèce d’entonnoir tortueux et tout à coup, à l’une des volutes de la conque on se trouve face à face du pont du Diable.
Ce pont coupe aujourd’hui l’arcade du nouveau pont plus élevé, bâti derrière et qui le domine ; le vieux pont ainsi altéré ne ressemble plus qu’à un court aqueduc à double étage. Le pont nouveau, lorsqu’on vient de la Suisse, masque la cascade en retraite.
[…………]
L’ancienne route du Saint-Gothard, par exemple, était tout autrement aventureuse que la route actuelle. Le pont du Diable méritait sa renommée, lorsqu’en l’abordant on apercevait au-dessus la cascade de la Reuss, et qu’il traçait un arc obscur, ou plutôt un étroit sentier à travers la vapeur brillante de la chute.
Chateaubriand 17 août 1832
Avant d’arriver à Andermatt, on passe un endroit d’une horreur remarquable, dit le Pont-du-Diable, - moins beau pourtant que la Via Mala du Splügen, que vous avez en gravure.
Rimbaud 17 novembre 1878
Au village de l’Hospital commence la seconde rampe, laquelle atteint le sommet du Saint-Gothard, qui est envahi par des masses de granit. Ces masses roulées, enflées, brisées, festonnées à leur cîme par quelques guirlandes de neige, ressemblent aux vagues fixes et écumeuses d’un océan de pierre sur lequel l’homme a laissé les ondulations de son chemin.
Chateaubriand 17 août 1832
Puis commence la vraie montée, à Hospital, je crois : d’abord presque une escalade, par les traverses, puis des plateaux ou simplement la route des voitures. Car il faut bien se figurer que l’on ne peut suivre tout le temps celle-ci, qui ne monte qu’en zigs-zags ou terrasses fort douces, ce qui mettrait un temps infini, quand il n’y a à pic que 4 900 d’élévation, pour chaque face, et même mins de 4 900, vu l’élévation du voisinage. On ne monte plus à pic, on suit des montées habituelles, sinon frayées. Les gens non habitués au spectacle des montagnes apprennent aussi qu’une montagne peut avoir des pics, mais qu’un pic n’est pas la montagne. Le sommet du Gothard a donc plusieurs kilomètres de superficie.
Rimbaud 17 novembre 1878
Il y avait jadis, sur le Saint-Gothard, un hospice desservi par des capucins ; on n’en voit plus que les ruines ; il ne reste de la religion qu’une croix de bois vermoulu avec son Christ : Dieu demeure quand les hommes se retirent.
Chateaubriand 17 août 1832
Une ombre pâle derrière une tranchée : c’est l’hospice du Gothard, établissement civil et hospitalier, vilaine bâtisse de sapin et pierres ; un clocheton. À la sonnette, un jeune homme louche vous reçoit ; on monte dans une salle basse et malpropre où on vous régale de droit de pain et fromage, soupe et goutte. On voit les beaux gros chiens jaunes à l’histoire connue. Bientôt arrivent à moitié morts les retardataires de la montagne. Le soir on est une trentaine, qu’on distribue, après la soupe, sur des paillasses dures et sous des couvertures insuffisantes. La nuit on entend les hôtes exhaler en cantiques sacrés leur plaisir de voler un jour de plus les gouvernements qui subventionnent leur cahute.
Rimbaud 17 novembre 1878
Sur le plateau du Saint-Gothard, désert dans le ciel, finit un monde et commence un autre monde : les noms germaniques sont remplacés par des noms italiens. Je quitte ma compagne, la Reuss, qui m’avait amené, en la remontant du lac de Lucerne, pour descendre au lac de Lugano avec mon nouveau guide, le Tessin.
[…………]
J’ai passé de nuit Airolo, Bellinzona et la Val-Levantine : je n’ai point vu la terre, j’ai seulement entendu ses torrents. Dans le ciel, les étoiles se levaient parmi les coupoles et les aiguilles des montagnes.
Chateaubriand 17 août 1832
La route est en neige jusqu’à plus de trente kilomètres du Gothard. À trente k seulement, à Giornico, la vallée s’élargit un peu. Quelques berceaux de vignes et quelques bouts de prés qu’on fume soigneusement avec des feuilles et autres détritus de sapin qui ont dû servir de litière. Sur la route défilent chèvres, bœufs et vaches gris, cochons noirs. À Bellinzona, il y a un fort marché de ces bestiaux. À Lugano, à vingt lieues du Gothard, on prend le train et on va de l’agréable lac de Lugano à l’agréable lac de Como. Ensuite, trajet connu.
Rimbaud 17 novembre 1878
_On a ici une parfaite illustration de l’hallucination comme méthode chez Rimbaud : il est reçu dans un hospice déjà détruit du temps de Chateaubriand. À moins qu’il ne soit déjà dans un voyage au pays des morts.
Me S.
et quelque temps plus tard un digne Rimbaldien, assassin de cette baudruche de Wagner, sur cette ligne qui va du Gothard au Simplon (6 jours de marche) :_
Voyage merveilleusement réussi. Je n’oublierai pas cette ascension jusqu’à la neige, au col du Simplon, sous le soleil d’août, ni cette arrivée dans une petite auberge du Jura, dans la nuit, en plein orage (les éclairs illuminaient les croix du cimetière), et, dans la petite mansarde boisée avec son fauteuil de velours rouge, la voix de M. me réveillant : « J’ai peur… — De quoi as-tu peur ? — De tout ! » Et cette halte entre Florence et Bologne, à la nuit tombante, le chant continu des grillons, une cloche suspendue dans la brume… Et la promenade dans les ruines d’Ostie, la villa San Michele, le moine du cloître de Fiesole !
Jean-René Huguenin Jeudi 10 Août 1961, Paris.
J’ai vu les poules d’eau privées ; j’aime mieux les poules d’eau sauvages de l’étang de Combourg.
François-René de Chateaubriand. Mémoires d'Outre-Tombe III. 15 août 1832
Hyacinthe a l’habitude de copier, presque malgré moi, mes lettres et celles qu’on m’adresse, parce qu’il prétend avoir remarqué que j’étais souvent attaqué par des personnes qui m’avaient écrit des admirations sans fin ou qui s’étaient adressées à moi pour des demandes de service. Quand cela arrive, il fouille dans des liasses à lui seul connues, et, comparant l’article injurieux avec l’épître louangeuse, il me dit
« Voyez-vous, monsieur, que j’ai bien fait ! »
François-René de Chateaubriand. Mémoires d’Outre-Tombe III. Note du 11 août 1836 à propos de lettre à Madame Récamier du 18 mai 1831
Jeudi, jour de l’Ascension, des scorpions sont tombés sur le tatami dans notre Dojo place d’Italie : Tiao en a profité pour nous démontrer son balayage en cuillère avec l’un deux, puis en l’écrasant sur le sol. Par contre ce gros con de Perez a voulu finasser et faire le malin en jouant avec un autre, et il s’est fait immédiatement piquer le dessus du pied : depuis il hurle ! Le Samu est venu tout de suite (Tiao travaille avec eux) et ils l’ont transporté à Broca, je crois, bien qu’ils aient parlé de Cochin, pourtant beaucoup plus loin. Il est tellement pouffi de graisse que le poison pourrit ces endroits et qu’il va devenir noir-bleuâtre et enflé pour un bon trimestre comme la femme de ménage marocaine à qui c’était arrivé, mais qu’on plaint davantage.
Ce sont des scorpions redoutables d’Amérique du Sud ; leur corps est noir et les pattes et la queue plus claires, presques translucides ; ils viennent de l’entrepôt voisin d’agrumes où cette femme de ménage travaillait, et qui est fermé depuis plus de six mois pour faillite ; ils se sont infiltrés derrière les vestiaires par un angle pourri du plafond qui communique avec cet entrepôt.
Du coup tout le monde est devenu fou ; on en a écrasé plus d’une dizaine en soulevant tous les tatamis ; Marco en a trouvé un sous la cabine de douche. Les frères Ballducci, les corses, ont déniché une grande échelle qui traînait dans la cour d’à-côté et Rosas qui est maçon s’est empressé de boucher le trou avec des gants de cuir.
Lobstein ne veut plus revenir tant qu’on n’a pas fait déplacer le comité d’hygiène et de sécurité de la mairie.
Il y a un tel corps aussi à la Préfecture, a-t-il dit.
*
Tiao nous avait réunis pour des combats malgré le jour férié, et la question de la torsion du genou dans le mae-geri perforant avec tournoiement du pied à l’impact de Nambu a été ensuite abordée. On a beaucoup de médecins dans l’équipe qui le déconseillent : Tiao d’abord, puis en dehors de notre équipe le docteur Tibayrenc qui doit écrire un ouvrage sur les traumatismes du karaté et qui entraîne des gars de Centrale au Parc de Sceaux : c’est trop dangereux pour la rotule et les ligaments croisés. Ça n’offre pas du tout les mêmes garanties de verrouillage de l’articulation que le vrillage du tsuki de supination en pronation.
Marc Valleur qui s’entraîne pas loin à Corvisart et qui travaille plutôt à Sainte-Anne est du même avis ; par contre il a une technique de yoko à la fois perforant et vrillé par les hanches sur laquelle on devait travailler.
Tiao a enchaîné les katas du championnat de France.
Nguoc-Dang. Dimanche 23 mai 1971
(Journal de bord du club.)
Nguoc-Dang fait partie de ceux qui sont à l’origine de la Cellule Sabaki. Le docteur Michel Tibayrenc a publié entre autres “Karaté et Santé”, et sa thèse sur “Les méthodes d’entraînement du Karaté français actuel : traumatologie aigüe et chronique qui en résulte.” a obtenu le prix de thèse 1975 du Secrétariat d'État à la Jeunesse et aux Sports. Nambu et Tsukada lui ont servi entre autres de “cobayes” et il s’est rendu compte de certains développements “aberrants” mais efficacement positifs, notamment au niveau des articulations, pour beaucoup de budokas japonais plongés là-dedans sur toute une lignée.
Marc Valleur, psychiatre, qui avait assisté avec effarement aux cours de Lacan dans la chapelle de Sainte-Anne est devenu un addictologue réputé, chef de service à l'hôpital Marmottan de Paris et fondateur du premier service de toxicomanie pour cyber-dépendants. On peut lire de lui “Les Pathologies de l’excès”, “Toxicomanies”, "Le jeu pathologique", etc.
NDLR
Il nous parle du baroque, de Fando et Lis, mais surtout de la pièce qu’on vient de monter dans notre café-théâtre : La Bicyclette du Condamné, qui est sa pièce la plus terrible, la plus proche de lui, la plus douloureuse à écrire. Il apprécie les décors de Castex, “noirs de charbon et de bombardement qui effacent les couleurs rusées”. Il détaille tous les canevas de sa pièce ; il insiste sur l’horreur de sa mère, de sa famille “comme une maladie”. À propos de sa “cabeza gorda”, il raconte l’anecdote de ce journaliste stupide qui lors de la représentation du Concert dans un Œuf à Sigma lui a demandé s’il écrirait les mêmes pièces s’il était aussi beau qu’Alain Delon ; il est emballé par toutes les recherches mathématiques des musiciens de Sigma ; il aime beaucoup les mathématiques, Marcel Duchamp et les échecs ; il a pensé à créer une pièce modifiable au fur à mesure par les spectateurs ; il trouve qu’on devrait plus utiliser le cinéma, le cirque et toutes sortes de projections sur la scène. Il ne connaît pas Gripari qui est déjà venu ici.
28 mai 1968
Françoise Labat
Françoise Labat a participé à la création du premier café-théâtre de province au sein d'un groupe dont faisaient partie entre autres Jean-Louis Froment, le graveur Pierre Barès et le décorateur Pierre Castex. En dehors d’expositions qu'elle y avait organisées, elle avait peint dans le lieu des “motifs préhistoriques”, réalisé des affiches et mille autre choses…
(Dans ce café-théâtre furent donnés des pièces d’Arrabal, de Gripari, de Tardieu, d’Obaldia, des montages poétiques autour de la Beat Generation, de Cendrars, d’Alain Montesse, etc.)
Son activité fut brutalement interrompue l’été 1991 où elle fut sauvagement assassinée par son compagnon togolais sous les yeux de leur enfant de cinq ans. Ce sinistre individu essaya de maquiller le crime en cambriolage en brisant une vitre, répandant la terre d’une jardinière, jetant un magnétophone dans les plate-bandes, faisant toucher sous un prétexte quelconque l’arme du crime par un voisin. Mais surtout il osa mentir à son fils en lui disant que c’était un coup du père Fouettard.
NDLR
L’urgence c’est les foins, à cause du manque d’eau. Et ces problêmes de débroussailleuse : “Le girobroyeur à deux pales recourbées est dangereux pour ce genre de tête fragile”, m’a dit le mécanicien ; mais pour les taillis d’arbousiers, de genêts et de ronces grosses comme des avant-bras au-delà de la source, je préfère ça au “trois couteaux” qu’il a refilé ; à tel point qu’il est impossible de remettre la main dessus ! Pas de champignons : le sous-sol est sec comme fin août. Et des cerises “pleines d’os” à cause du soleil trop vif “qui les a tarées”, disent-ils dans la vallée.
Arrivée pharamineuse d’un bataillon de poules rousses aux ébouriffés superfétatoires : pas de noires cette fois-ci. Dans l’humide petit matin, au-dessus de la vaste cloche de fraîcheur du marronnier dont la circonférence est désormais supérieure au volume de la maison, la plus vaste coupole des chants d’oiseaux répond aux psalmodies rigoureusement humaines des agneaux qu’on vient d’installer sur le coteau d’en face (la nuit ce sont les hurlements de femme qu’on égorge des blaireaux).
Très longue course de côte avec A. après les 15 jours d’intervall-training, d’endurance et de vitesse alternés. Ensuite katas au sommet du plateau sur les foins coupés, dégagement magnifique au-dessus des trois vallées. Puis descente à la course par le Grand Hêtre.
Du coup on a retrouvé les chiffres de Gilbert Descossy, le “Sculpteur buccal de chewing-gum” à ces moments où on devait faire des performances sportives ensemble (voir ici DAO). Il faisait de l’intervall-training par fractionnés de 100m en 15” : 2’ pour 800m. Il en tirait des conclusions sur son carré magique.
C’est lui qui avait organisé nos expositions en commun avec Lucerné et quelques autres. J’ai encore en mémoire la gravure de son ami sur “La fondation de Buenos-Aires”.
Il y avait aussi cette jeune artiste bavaroise qui se plaignait de n’avoir jamais joui de sa vie (“Le mot jouissance n’existe pas en allemand !”), mais qui mâchonnait du chewing-gum du matin au soir sans toutefois en tirer rien d’autre que des déformations de la machoire et de graves problèmes ligamentaires, ce qui lui valait d’être toujours fourrée chez son frère orthodontiste qui travaillait plusieurs fois par semaine là-dedans et reconstruisait ce qu’elle avait démoli. C’était une famille orale : le père ancien militant farouche des frontières de l’Est avait passé sa vie et l’avait perdue au mégaphone parce qu’un abruti apprenti électricien avait branché dessus le mauvais fil de la sono, et le mari qui avait repris le porte-voix ne souhaitait lui-même que d’exploser vociférant en pleine rue revendicatrice comme les cigales ou les cantaores flamencos de Lorca.
O. N.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Gilbert_Descossy
http://www.anversauxabbesses.fr/artistes/user/gilbertdescossyart
Je me suis rendu compte que LE CONDUCTEUR était là : il avait jamais quitté le navire, il filait son sillage. À dix ans de distance il avait suivi le même personnage, l’avait repris de deux points de vue différents : une fois à Paris, une fois à New-York, dans les mêmes ivresses de haine sur lui, parmi toutes les raclures à réduire, à achever dans l’étouffement, .
Lui n’avait aucune importance ; il n’était que prétexte à écrire. Il était là sous deux noms différents mais c’était bien le même : le même manteau, le même faciès abruti. C’est comme si je lui avais tiré dessus par deux encoignures.
Je suis toujours satisfait de ça comme d’Épistaxis, ce texte qui est apparu tout d’un coup de nulle part, et qui venait en définitive se loger dans la Cosmologie, lancer une dérivation, un chapitre qu’on avait pas écrit, resté en blanc, un endroit oublié, une friche.
Ce CONSTRUCTEUR qui travaille en nous est toujours fascinant. Le diamant avait sauté au-dessus ce sillon manquant ; et le voilà aujourd’hui bien en place dans son ensemble gravé, grave.
La complétude : non. Il restera des tonnes de reprises par-tout : les misérables ont souvent des costumes rapiécés ; trop de carences, des caries ; idem en syntaxe, en apprentissage des beaux immeubles. Mais pas du manque. Ça on le laisse aux poètes astringents, à toutes les crevures de suivistes, aux bavards carrés qui ont plein du réel dans la gueule et qui disent qu’il lui faut des manques. Lacan aussi le disait et les archidiacres, tous les nantis que le manque fascine autant que les désastres et la pauvreté. Or le trou ne manque à personne ni de rien (dans l’Enfer de Coluche, les bouteilles ont des trous et les femmes n’en ont pas plus que le réel).
Mais du moins on a rangé ce morceau de bois, ce débris tombé de la raboteuse. Je l’ai replacé sous le Tas, sous la verrière de l’Atelier, parmi les autres madriers. Et surtout les autres petits bouts de ligots quelconques dont on faisait d’improbables sculptures, dans la sciure et le son.
On se disait : “Où est-ce que cette hémorragie va bien pouvoir nous entraîner ?” Qu’est-ce encore que cette foutue digression, quand c’est donc qu’on va finir par marcher droit ? Encore une façon de rien finir, de tout remettre (mais à qui ?)
Au contraire. Tout s’emboîte. Parfaitement. Alors pourquoi on irait réclamer d’être l’auteur ? Responsable civil, oui, ça, certes. Mais dans les fariboles, les fanfrelas, les guipures, tout cet amusement ?
Cette baudruche de Breton dans sa navrance qui voulait mettre son cachet sur l’inconscient, le légitimer. Ou Connard le Barbant qui voulait être roi du Port et qui passa (enfin !) un peu chez les fous, histoire de lui aplatir la bite qu’il avait déjà molle, aux neuroleptiques. Repris en maison de repros : là où on photocopie la dinguerie, gagné par sa diarrhée mentale.
Un auteur : l’autreu. Et sinon l’autruche. Qui triche.
L’Autre, avec un grand A, celui qu’on détestait le plus dans la Tribu (surnom populacier, rien à voir avec la psy), le salopard de l’étage au-dessous, qui nous préparait des embûches, précipitait le malheur. Il en a fait des petits morceaux, il a rancardé des misères, il en est responsable par bien des endroits.
Tant qu’on atteint pas à cette démesure ça n’existe pas.
Des figures aussi ont surgi dans l’envers de plusieurs dessins, les retournant, mais pas dans le sens historique de Kandinsky, plutôt dans celui de Tex Avery (retrouner ?). Menant une main étrangère, et reconnaissable à sa sagacité, à son soin dans les zones intermédiaires, créant des ponts et des passages, dans le ma.
O. N.
ndlr : pas de date
Joli petit village où le nom importe peu des œuvres mais où la vigueur de certains pays est reconnaissable. Ainsi ce beau bouddha chinois de Huang Yong Ping (Intestins de Bouddha 2006), bois sculpté éventré, dont les tripes de soie grise déroulées dans la pièce sont en train d’être dévorées par des vautours naturalisés ; ce quadriréacteur immense d’osier, rotin et bambou tressés de Cai Guo-Qiang (Bon Voyage 10 000 collectables from the airport 2004) qui nous surplombe dont les réacteurs figurés par des ventilateurs font flotter des sortes de queues de cerf-volant, et où sont fichés dans la carlingue à claire-voie parmi quelques ampoules blafardes ciseaux, cutters et tous instruments tranchants multicolores confisqués à l’aéroport par crainte d’un attentat terroriste. Ou bien encore le considérable réservoir d’eau de de Louise Bourgeois comme on en trouve au sommet des immeubles à New-York et dans les grandes villes, bâti de bois devenu demeure magique à l’entrée des collections permanentes avec ses fioles et ses peaux transfigurantes à l’intérieur, et qui tient la place qu’occupait jadis une immense table ronde de bois brut faite par un artiste chinois célébrant les droits de l’homme et la concorde des pays.
Le futurisme : ses jouissances de couleur jusque dans ses erreurs mêmes, quel enseignement d’utopie ! La Bataille de lumières de 1914 de Joseph Stella de la fête folle de Coney Island où l’on pourrait reconnaître les peintures de foire et de bord de cirque de l’autre Stella récent, aussi sculpteur que peintre ; Boccioni, splendeur simultanéiste, pénétration des rues et de ses cris dans la maison et du cosmos dans la peinture, Malévitch, exaltation suprématiste et cacophonie entre des paysans atrocement mal dessinés et des carrés parfaits dont le mélange est cependant d’un enseignement salutaire !
À côté de cela la collection Daniel Cordier, les Réquichot, les Michaux mélangés à l’Art nègre et et pris dans les tissus océaniens, comme perdus pour deux rombières que cela exaspère de ne pouvoir les reconnaître et ne sachant plus quelle étiquette revient à qui. Plus loin deux jeunes chinoises qui photographient les zizis corrects de leurs compatriotes installés dans des caisses sur une immense photographie en couleur, puis s’arrêtent un long instant sidérées par le beau noir (et blanc bonnet sur la tête) de Mapplethorpe dont l’énorme queue pend entre les jambes comme une pompe à essence.
Tout cela tellement drôle à côté des machines étiques de Duchamp, de l’austérité de sa machine à café ; ce pauvre Marcel, le Duchamp du singe. On en a connu des courtiers comme lui, aux Champs-Élysées et ailleurs, de noble famille, descendants impressionnants des Monet-Desynge par alliance, ici et là. Pop ! Ils papillonnaient puis disparaissaient, allant faire fortune dans un autre pays, abandonnant leurs engagements.
Duchamp, sinistre incestueux n’a jamais fait que monnayer son insertion de force dans l’Histoire de l’Art comme un coin de vertu ou de torture, une feuille de vigne femelle.
Quelqu’un l’a dit mieux que moi : celui qui a été frappé dans son corps pour arrêter de marcher, ce fut Rimbaud, et pas Duchamp, qui n’a fait semblant de disparaître que pour être au mieux dans le marché, un excellent courtier de ses œuvres et l’historien de ses dérobades.
Roulements ridicules, même par rapport aux Picabia à côté, pauvres rouages qu’on fait sertir de force dans un mécano marchand, navrante machine célibataire : pourquoi tant de suivistes ! Cinq générations au moins de Duchampiens à vouloir une petite rondelle de cette pine si triste (le seul mot psychologique utilisé de son vivant).
Allons voir plus loin ; toujours autant d’exaltation devant Klein : l’éponge bleue, le moulage d’Armand, les anthropométries ; Beuys et sa vierge de bois primitif, archaïque : tout cela également salutaire ouverture.
Dans ce petit village, la vastitude de la joie peinte prend toujours autant d’envergure, comme auparavant avec l’expo Giacometti la vie de la sculpture “en train de marcher”.
Par contre il y a Basquiat, cette resucée du marché selon Wharrol dont on essaie de faire à tout prix un martyre avec des travaux merdeux de collage comme font tous les élèves de 2ème année aux Beaux-Arts, et surtout beaucoup de faux vendus par Templon.
Il faut croire que dorénavant il y aura des écrivains comme Joyce(1) pour les universitaires et eux seuls, et des artistes uniquement pour les critiques, comme Duchamp. À côté heureusement la vie continuera.
Oh la vie tragique, bien sûr, celle des coups et du courage physique, pas la vie mise en vitrine, fut-elle celle de l’infra-mince. La joyeuseté formidable de Pistoletto, Zorrio, Anselmo et tant d’autres… Ah ! bien sûr il y a ceux qui venaient uniquement voir Ortega, et de celui-ci l’œilleton du voyeur qui permet d’embrasser l’œil reconstitué à partir de pastilles de plastique pendues.
En dehors des qualités d’Ortega, on peut dire que ce “voyeur” (comme quantité de gadgets techniques) on le “survoit” de façon incontournable dans les écoles d’Art à connotation conceptuelle depuis près de vingt ans sous tous les angles parmi le vrac des pulsions partielles, le registre névrotique obsessionnel, l’éloge des petites perversions (auxquelles on préfèrera les petites vertus), et le sacro-saint “protocole” de l’artiste dont la prétention à la maîtrise n’a d’égale que l’oubli de son inconscient…
Contre cela la démesure, oui, baroque, volante, bridée, orientale, allemande, américaine, russe, en espérant qu’on en aura fini bientôt et à tout jamais des conceptuels, d’Art and Language, du minimalisme et de toute cette fascination convenue et puritaine de la logique et des mathématiques (fascination ignare, car Duchamp était tout sauf un mathématicien, ce n’était qu’un petit calculateur et un alchimiste du semblant, beaucoup moins alchimiste que Newton dans sa cave et Freud dans son cabinet, et beaucoup moins fou que Cantor) : minable métaphore du livre de mathématique pendue devant la chambre de la mariée !
Car ce n’est pas l’objet que nous cherchons, c’est la connaissance. Mais ce n’est pas non plus cette fausse posture analytique qui voudrait nous faire croire qu’on en sait un bout sur un coin, toujours ce coin fiché dans un con (pour le boucher, le faire taire : et depuis, ces commentaires à l’infini !)
*
Plus tard, moi qui venais pour voir Freud j’ai subi Soulages.
Noter le principe de l’accrochage des toiles de Soulages à Houston en 1966 par rapport à la série des peintures noires de Ad Reinhardt dès 1953 et jusqu’à la fin de sa vie, et voir surtout Number 11 de 1949. Lire en particulier les pages 37-38 du catalogue Reinhardt de son exposition à Paris en 1973.
Immense “bois décoratif” et place du Tertre, que tout ce déballage de Pierrot (la seule différence c’est qu’il n’y a pas de poulbot), peinture au couteau bonne pour le poète Astringent, celui qui écrit en chiant. Sortes de plinthes et pas de drame. Rien de métaphysique. Rien de Malévitch ni de Reinhardt : c’est l’enduit qui est visible et les acryliques sont d’une platitude navrante. La brillance prédomine, les plans coupés, la graisse, un peu comme ces architectes des années 60 marqués par Le Corbusier qui trouvèrent de la plus grande plasticité de laisser des chiures de béton issues de la compression des coffrages sur les villas des photographes.
Au milieu de ça des réflexions stupides sur la présence du regardeur : encore un vocabulaire à la Duchamp pour du sous -Reinhardt.
On pense aussi à Debré qui n’a jamais pu surnager de la Loire, jamais pu se décoller d’une référence particulièrement boueuse à la nature.
Soulages aussi chiant que le design, qu’Erro avec ses “nègres” vietnamiens dont il parlait jadis dans une conférence à des publicistes, ses spécialistes d’affiches de cinéma qui réalisaient ses toiles là-bas au kilomètre, lui si fier d’avoir peint plus de mêtres carrés que Rubens, le fabricant de grosses cuisses.
Celui que la couleur emporte et défigure comme la nudité elle-même ne peut pas avoir vu les grandes expositions des Grands Abstraits américains et s’intéresser encore à Soulages, qui reste un peintre du bord tranquille.
Méconnaissance absolue de Newman et des autres grands abstraits depuis la fin des années 40 jusqu’au début des années 50. Hitler avait perdu la guerre mais gagné la culture, puisqu’on parlait à leur propos “d’art dégénéré”.
Le post-moderne au sens d’anti-dogmatisme est né à New York dans ces années-là, contre les “ismes” de toute sorte.
À 50 ans Barnett décida de devenir essayeur chez son tailleur pour ne plus être à la charge de sa compagne et surtout pour faire essayer un costume au président du MOMA et le retoucher directement lui-même à la craie.
Reinhard est parti de lui ; Rothko est parti de son immensité ; tous ceux qui l’avaient abandonné sont partis de lui. Still est parti de lui.
Enfin j’ai vu Freud ! Opposition du catalan qu’on pourrait dire d’un protestantisme revèche contre un anglo-saxon qu’on pourrait croire d’un catholicisme baroque (une fois n’est pas coutume !) Où l’on peut noyer les Cathares ascétiques dans un bain de chair débordante, en espérant qu’ils reviennent au cassoulet sans l’inonder de vinaigre.
Mais c’est vrai que dans le fond Soulages ne se soulage pas tellement : cela m’a fait penser à sa femme de ménage qui racontait dans les années 70 à Montpellier qu’il l’obligeait à nettoyer la moindre aiguille de pin et la moindre trace de résine sur sa terrasse. Mais bien sûr, sans doute exagérait-elle (c’est bien ça qu’il faut dire ?)
*
(1). Pensons à l’innommable Stephen-des-fientes qui osa dire que Joyce était sans doute le plus grand écrivain de tous les temps ! Comme si les jouissances de toile cirée de ce minable archiviste miro équivalaient à une seule œuvre de Shakespeare ou au Baladin du Monde Occidental.
Serge Victorien
On aurait pu croire, à suivre la crétinisation des médias et à entendre Sophie Marceau dire après le tournage de Guerre et Paix qu’elle avait pour ainsi dire traîné toute sa jeunesse l’ouvrage impérissable de Tolstoï dans son sac de classe, qu’il y avait un voisinage entre elle et les grands écrivains russes (en somme une nouvelle version côté Est de La Nuit du Chasseur : un sein pour la guerre, un sein pour la paix : cf. Souchon), que Maritie et Gilbert Carpentier, c’était, à quelque chose près la même chose que l’Ezruversité, et que Carla Bruni était dans la même catégorie que La Callas : tout glissait en people !
Mais non ! Déclaration de sauvegarde inespérée : elle nous apprend récemment qu’alors qu’elle ne savait pas trop pour qui voter la dernière fois, elle a voté pour Sarkozy et qu’elle ne regrette pas, Dieu merci ! Cette déclaration rétablit les choses et remet Van Gogh à sa place et on retrouve pour Sophie Marceau les qualificatifs dont usait Pialat à son endroit après le tournage de Police. Maritie et Gilbert Carpentier, Patrick Poivre d’Arvor, Patrick Sébastien, les Nuls de Canal Plus, Michel Drucker, Beigbeder, tout cela reste de la variété ; ce n’était pas Pasolini c’est Besson sur le plateau des Nuls ; l’Inceste de Christine Angot n’équivaut pas à l’Amant de Duras ni à la Maison d’Anaïs Nin ; l’art sociologique n’est pas de l’art mais de la culture plus de l’université ; les angoisses pédagogiques des fils de pub de la MGEN ne suffisent pas à composer un roman, et Sophie Marceau continue à flotter dans sa baignoire comme si de rien n’était. Merci Sophie ! À toutes choses malheurs sont bons.
France Martin
“En entrant, au-dessus de la baignoire et encore de profil à droite et à gauche, il était déjà là en train d’ouvrir le placard pour y prendre son peignoir et le mettre sur le radiateur.
Il se tira un bain bouillant dans lequel il mit de l’huile de noyau de pêche comme il se tirerait un soir, dans une pose potockienne, une balle dans la tête qu’il n’entendrait même pas traverser son cerveau et bondir dans la rue pour vraisemblablement tuer quelqu’un d’autre encore qui justement sortirait du cinéma en allumant une cigarette après avoir vu La Traviata ce qui donnerait le lendemain matin à la une des journaux : VOIR LA TRAVIATA ET MOURIR. Hier soir, dans le cinquième arrondissement, à l’issue de la dernière séance du cinéma le Panthéon, un homme qui ne demandait rien à personne a été abattu d’une balle ayant le calibre d’un noyau de pêche prélevé du couvercle d’une théière, en plein cou. Il est mort sur le coup. S’agit-il du dérèglement d’un conte ou de la passion d’un crime ? Les enquêteurs ont déjà appréhendé plusieurs suspects qui maraudaient dans les parages au moment de l’attentat mais aucun n’avait d’arme sur lui. Un Arabe dément, un Noir noir qui a vainement essayé de fuir en se dissipant dans la Nuit et un homosexuel en état de folie, d’ébriété et de délire toxique ont été incarcérés. L’affaire est louche jusqu’au strabisme. Suite p. 284, 2e article, 15e colonne, 4e division, 13e paragraphe, dernier alinéa.”
Ainsi commence “Le Voyage à Naucratis” de Jacques Almira. Gallimard. Prix Médicis 1975. Collection Le Chemin dirigée par Georges Lambrichs. 552 pages.
C’est une sorte de récit “à-perte-de-vue” (p 18), un récit en train de se faire, et la thématique du voyage en train est un des premiers moteurs du texte ; voyage en langue (“Je n’ai appris à parler qu’en lisant.”p 36), entrain pléthorique et musique ferroviaire si proche des futuristes et de Cendrars : “Clac ! Tala-taaaaaaa…tala-taaaaaa tala-taaaa tala-taa tala-ta tala t- rala-rhâââââ rala-ra tacatam ! talaram tacatam ! tala-tala-tala tacatam ! Long si long wagon long lit tacatam ! la longueur des emboîtements qui s’allonge et qui longe et qui ronge et s’éponge et qui plonge tacatam ! la molesse des prés tacatam ! J’y reconnais trémulations des émissions d’élongation tacatam ! j’en ryconnais et j’en ricane l’éromission admonition musication des partitions tacatam ! j’y riconnais les pianitions tacatam ! Lisieux, les yeux irascibles extensibles sensibles exaspérants sifflants tacatam ! susceptibles conceptibles compressibles fusibles et fatigants tacatam ! embarassants éraquérant tacatam ! audition conception ra-ti-fiiica-tion tacatam ! loguanons radenons voyardons voyons donc regardons écoutons racontons car liiiiiiii tacatam ! Autre manière de commencer ce livre :”(ps 19-20)
Ce livre est assez souvent du côté du train arrière et plutôt de la fécalité Gargantuesque que de l’analité selon Artaud, mais il musique aussi comme les trains de Kerouac des Clochards Célestes tout autour du globe : “Ce serait quelque chose qui se suffise à soi-même comme en musique une suite est une suite de morceaux souvent groupés sans souci d’unité comme par exemple prélude, courante, sarabande forlane gigue et passepied, qui répondent pourtant à certaines règles préétablies de la composition pour que l’on sache au moins ce que l’on va transgresser.”(p 18)
“Un début tout compte fait qui s’est imposé de lui-même comme un livre d’amour aurait commencé par l’amour de la scène et un roman policé par un crime anagrammatique et qui peut-être, tout conte fait, s’avérera propre à se soutenir en tant que tel pour me permettre d’écrire.
Messieurs les voyageurs en latence pour mon avis en voiture s’il vous plaît…”(p 18)
Bien sûr l’auteur s’installe dans le “signifiant” de l’époque et donne en raccourci le statut du Symbolique :
“On parlait déjà bien avant moi. Je me branche. Je suis le greffe. J’ai parlé aussi avant la première page de ce livre qui n’a qu’un début légiféré, anarchique, qui tend à résoudre ce que ces deux mots ont de contradictoire ; un début sans commencement, juste un endroit, ce trou béant au sein des mots du dictionnaire de la langue française, où il pénètre, s’introduit et d’où il ressort tonitruant, plein de chair et de sens comme mes menstrues dont les nostalgies sont mes contre-sens, où je me mettrai à en capter un bout pour arrêter ensuite plein de fatigue sans que ce soit la fin et donner à ce fragment de fresque un complaisant air rassurant de cohérence parce que j’ai appris à savoir à quel point de supension « O N » (O N-quote) ne me pardonnerait pas l’irrémissible in-cohérence d’un récit qui se pourtant serait proposé de pratiquer à son endroit la plus rigoureuse authenticité au détriment du Ondit et au profit incalculable du je dis.
O N guillemeté voudrait absolument me faire dire en sus de mon identité pourquoi mon « unité de lieu » en quelque sorte fondamentale comme les fondations d’une maison ou les frondaisons de l’arbre évoqué supra, est un train, où je vais, mon but, si je me rends par exemple chez une tante pour y passer des vacances et si je répondais étourdiment oui à cette adjuration, ma réponse serait jugée tantancieuse, ambigüe, et l’on m’exégèserait à partir de ma tentation déduite du recours naïf par moi eu au mot tante au lieu d’avoir dit la sœur de mon père ou de ma mère, bref !, l’ubiquoundequa de mon ex-pression narrative.”(p 17)
Mais dans cette cette traversée touffue de Jil Tu, le héros, avec des références constantes à l’Opéra, dans une construction baroque comme on peut voir chez d’autres auteurs aujourd’hui, aussi vrai que “la romance c’est la mort et le roman la vie”(p 24), tout est musique, rythme endiablé, tout est joie et rien ne fait Joyce.
“Tous nus et nus, nous serions nus, sur le sofa, partout, par terre, sur la soie, industrieux du tabriz et le métier à tisser cette intrigue à foutre. Je serais moi, vous serez nous, je serais encore, en corps nu, en cornue et à cri d’un labour des dos par des ongles, des mains seules, non ce seraient plutôt des gants instrépants gémissants, puissants et déjetés à des omoplates saillantes auxquelles ils s’arrimeraient dans la futaille des cris déchiquetés puis doucereux et aaan… Éclatant, brétailleur dans un râle vigueur tout le théâtre antique et classique, la passion, avec des consonances espagnoles et des déclamations de suicides manqués, vous le partenaire-lion, moi le beefsteack.”(p 31)
Ou du moins tout reprend la braise du désir Joycien sans la perte du sens, un écrit qui se situerait entre Ulysse et Finnegan’s Wake et proche aussi du projet de Flaubert (à qui les réferences sont constantes) d’écrire un livre qui ne raconterait rien. Avec parfois un regard presque immobile devant lequel les variantes et les personnages qui se lèvent à l’infini passent et repassent dans les jardins de la genèse comme les copeaux d’un présent qui se soulèvent mais dont on oublie qui les a lancés. L’essence même du désir ou de la foi d’apparaître en son absence et de maintenir la jubilation. Le réel aux sources de la parole y fait entendre son bruit de fond.
À tel point que c’est un ouvrage impossible à citer, du moins “à pincer” en un endroit quelconque : il échappe sans cesse. Tout est tissu de citations : Flaubert, on l’a dit, Rimbaud, mille autres : “Une seule lampe, celle du bocal à poissons où nageaient Pagre, Lépidote et Oxyrinque, brûlait. Je me dis : tout se fit ombre et aquarium ardent. L’ours chenu traînait par terre sur le tapis en compagnie de l’âne du gros oiseau gris bleu et des autres animaux de l’esprit. Le soleil perçait, mettait en perce les persiennes et je fus fou de jalousie à l’idée que…
Libiam ne’lieti calici
che la bellezza infiora
E la fuggevol ora
S’inebri a voluttà.
Libiam ne’dolci fremiti
che suscita l’amore,
Poiché quell’occhio al core
Onnipotente va.
Libiamo, amor fra i calici
Più caldi baci avrà.
Et je bus le reste de Chivas, et les derniers cachets. C’était un jour où je me battais chaud. Les yeux clos, ne bougeant plus, j’attendais. J’attendais que cela se produise. Sûr — je l’étais — que j’allais être foudroyé, que ça devait arriver tout à coup avec de grands éclats et des fulgurations, ouragan des cieux qui tombe sur la vie, la bouleverse, arrache les volontés comme des feuilles et emporte à l’abîme le cœur entier.” (p 46)
Il faudrait citer le volume entier sonore. Tout est issu, c’est-à-dire que tout part sans arrêt, train et fusées. Rien ne reste céans dans ce roman Gulliverien sautant sans cesse d’une échelle à l’autre. La tension nécessaire à se tenir à la lecture est plus grande que partout ailleurs, car il s’agit bien d’un roman d’aventures, mais c’est celui des aventures du signifiant qui changent à chaque paragraphe en même temps que le registre de référence. Le son et les bruits éjectent à tout moment le lecteur du sens suivant des modulations analogiques qui vont du romanesque descriptif au chant poétique et à la musique ; chaque phrase amène une nouvelle scène, installe table aux porcelaines luisantes et décor peint et sculpté, baroque, exubérant jusqu’à la meringue. Puis tout à coup on est pris dans cet immense mouvement, on ne peut plus perdre une seconde à revenir en arrière, porté et énuméré par le texte, tourneboulé par le fleuve, dans le règne souverain des inclusions, renversé dans le champ de babil de l’occident littéraire ; le train est devenu cheval sans qu’on s’en rende compte et le Tacatam Pôôôh ! ; le temps d’un mouvement de la tête nous voilà poursuivi puis bébé ; les choses vues glissent sous l’ongle quand on se racle l’œil transparent qu’on vient de s’inclure et qui ne nous permet plus de rien voir ; le squelette sort de soi ; ectoplasme réduit au tiers de sa taille on devient élastique jusqu’à sucer son vit et embrasser son cul à l’aide d’une bouche qui a perdu ses dents ; tout se gonfle clownesque et s’écroule du livre offdert dans ce carnaval bovarysque en chutes grandissimes en même temps que les plus grandes villes et que la bibliothèque d’Alexandrie, alors que l’auteur tire sans prévenir sur la nappe prolongée en écran ; dès lors le cristal après fracas et pertes s’enlise dans les humeurs des cités lagunaires…
Beauté de la dépense excessive des années 75 ; c’est un voyage “no gratis”, circulation du signifiant pas neutre Toutes ces amorces, ces tentatives, ces feux d’artifices ! Et dire que Guyotat pestait à cette époque-là contre “ces temps-ci dans ce pays-ci” lors de la mise en scène de Bordel /Boucherie au festival de La Rochelle. Que ne pesterait-t-il pas aujourd’hui où la littérature a tellement vieilli, contre le cadavre de ce pays, alors qu’il est en train d’écrire ses mémoires de Saône-et-Loire ?
Quand on songe à la malle d’inédits de Roussel trouvée par le plus grand des hasards (ou bien grâce au calcul savant de Roussel lui-même) dans un garde-meubles, voilà quelques années, confiée aux bons soins de François Caradec, puis restée en plan ! Malle sur laquelle aucun éditeur ne se précipita, si ce n’est le grand découvreur Jean-Jacques Pauvert
Michel Foucault saluant cet ouvrage a peut-être salué une autre sorte de Rousselien hors-normes, auteur d’un livre admirable de ne pouvoir avoir de suite, emporté par lui-même, l’un de ces hommes d’autant plus extraordinaires qu’irrepérables.
C’est peut-être aussi, cette effervescence elliptique prise par les bords, cet agissement littéraire, quelque chose de totalement étranger à la culture française, mines de phosphore qui en sapent le sol si loin, œuvre immédiatement lisible en Espagne, en Italie ou en Amérique du Sud, un livre où ici personne ne descend.
Ceci pour dire aussi l’extraordinaire champ d’inventions que fut la collection du Chemin, dirigée par Georges Lambrichs ; il y avait là la beauté des chemins se dessinant en cours de se faire et qui n’ont jamais de suite, collection auprès de laquelle dans l’édition d’aujourd’hui - petite ou grande - on trouve beaucoup de fausses découvertes reprises à Lacassin, Nadeau, Pauvert et quelques autres et la plupart du temps un catalogue de ringardises et de sociologismes crevés !
Le Chemin qui a aussi publié Rose Poussière de Jean-Jacques Shul, Jacques Réda, Yves Régnier, Patrick Remaux, Les Lois de l’Hospitalité de Klossowski, Mandiargues, Deguy, le Roussel de Foucault, le Tombeau de Guyotat, La Curée de Finas, Jacques Borel, Georges Perros, parmi mille autres perles…
(Arnaud Guérin. Collectif DAO)
Denis Roche n’est pas mort, même si la plupart du temps il vit dans une pièce plongée dans une semi-obscurité ; il ne s’agit pas vraiment d’une salle à manger, mais d’une simple pièce carrée entourée de dressoirs avec de grands compotiers où murissent des fruits.
Cette semi-obscurité me fait penser au mythe entretenu à propos de James Dean dans plusieurs biographies de l’acteur, et dont Denis m’avait parlé : ses fans prétendaient qu’il était toujours vivant après son accident automobile mais qu’il avait à peu près perdu la raison et qu’on l’avait dissimulé dans la maison d’un petit village où on pouvait l’apercevoir avec des jumelles à travers les lames des volets, assis et tremblant de tous ses membres.
Rien de la sorte avec Denis dans cette pièce de recueillement où il reste assis souvent à méditer. D’autres fois il dresse sa haute stature dans l’ombre, avec sa chevelure bouclée et il me raconte des anecdotes toujours drôles : il n’a rien perdu de son humour. Par exemple il prend un cure-dent et fait semblant de perforer des saucissons qui pendraient du plafond pour les goûter, comme dans cette séquence qu’il aime tant de La Stratégie de l’araignée. Quand il me parlait de ce film autrefois il me disait qu’à ce moment-là toute la salle de cinéma “sentait le saucisson mûr”.
C’est Françoise Peyrot qui veille toujours aussi amoureusement sur lui ; de là cette sorte de certitude bienheureuse qu’il a acquise. Peut-être plus calme qu’auparavant. Il ne fume plus ces Craven rouge dont Bernard Plossu aussi a gardé le souvenir des matins dans la petite pièce sous les toits rue Jacob. (On a perdu les parfums des tabacs : l’Amsterdamer, le Gris et le Caporal Supérieur des ancêtres, le Virginia des étudiants ou le Semois corsé des Ardennes d’Arthur. Plaisir de fumer un Partagas dans un fumoir, à Bruges.)
Il a marqué d’un signe de tête son assentiment pour ce que nous étions en train de faire ; enfin, quand je dis nous, il s’agit plutôt de Didier. Il trouve un vrai mérite à la singularité de son entreprise.
Assis sur une belle chaise cannée, il m’a montré une liasse de textes inédits.
« Tu les reconnais, m’a-t-il dit ?
— Oui. »
En rêve on reconnaît infailliblement un matériau énigmatique qui serait pourtant impossible à définir.
À présent il poursuit l’écriture de ce recueil ; il a tout le temps qu’il faut pour mettre au point cet embranchement oublié, car c’est une autre orientation préalable à la déprédation qui l’a conduit au Mécrit, qui date, me semble-t-il dans le rêve, de Miss Élanize. Jusque-là il travaillait avec une sorte de culte apparent de la paresse, qui n’était que la préparation de l’emportement, la fulgurance soudaine. À présent qu’il dispose de tout son temps, forcément l’écriture est d’un autre ordre.
Il fait toujours l’éloge de Bernard Plossu comme il le faisait dans son bureau dans les années 70 en me parlant de ce type extraordinaire dont j’ignorais absolument tout alors et qui réussissait à vivre de sa double passion : le voyage et la photographie. Et il a toujours un très fin goût culinaire.
L’appartement où il se trouve communique avec celui où demeure Maurice Roche, tellement bien que j’ai commis une erreur une fois et que j’ai fait habiter Maurice rue Henri Barbusse alors qu’il demeure dans un tout autre quartier. Leurs immeubles font partie des 500 logements construits par Haussmann qui communiquent secrètement entre eux. Jules Romains a parlé du mystère de ces passages secrets entre les appartements parisiens, et plus tard Aragon a repris cela.
En vérité Maurice n’habite pas un appartement mais une chambre de bonne au dernier étage d’un immeuble ; ces combles appartiennent à une collectionneuse d’amants dont Maurice fait partie ; il nous avait parlé de cela lorsque nous projetions d’écrire ses mémoires ; ils sont tous rangés à l’étage dans une chambre semblable avec un numéro et elle va les cueillir à tour de rôle ; Maurice a le numéro 13 : pas de bol !
O. N.