Manifeste des Enguirlandés. Janvier 2000

Pierre de Kernec-Malevouan.

Quand vint le Cap’tain’ d’eau douce, j’ai cru voir trottiner Gilles Martinet "missionné" contre la Rinascita, dans son costume trois-pièces, main dans la main avec sa petite perversion pâle et froide, ou bien entendre une citation de Lourau sur l’identification à l’institution. Faut croire que ce n’est pas mieux sous les vieux pavés de 68 ; la seule fois où j’ai entendu Sauvageot s’indigner de l’inculture des étudiants avec sa nouvelle coiffure, le cerveau peigné en arrière, je me suis ému de cette floraison de métanalyse par rapport à la propagande répandue par mes anciens profs barbus en velours, voire les plus mal assis, à propos de cette "vieille œuvre" jadis militante ; je préfère Paris-Roubaix dont on fêtera bientôt le centenaire. L’idée de "l’écriture" dans les Ecoles d’Arts est vraiment nulle ; ça doit sans doute être lié avec cette allure "vengeance des profs qui ont moisi longtemps dans les bahuts“ avant de nous faire payer nos excès de couleur ; on revient enfin à la restauration capitaliste, à une politique conceptuelle glaciale des "deux fusionnent en un" ; c’est peut-être aussi un des effets du révisionnisme moderne que le retrait vaseux de la vague de fond constituée d’énarques au lieu de la grande déferlante d’une élite intellectuelle désagrégeante ; on est dévoré entre les deux tranches du pain de mie universitaire et de la vieille croûte du secondaire. Heureusement on trouve encore ici ou là comme enseignants un veilleur de nuit, une dompteuse de fauves, un mathématicien fou, une lingère. Il y a un type vraiment génial à Quimper dont j’ai oublié le nom qui se balade justement comme un homme-sandwich avec sa force productive dans le dos : de la cochonnaille moulée en plâtre rouge sang ou couleur du pus, de la bile ; c’est une personne éthiquement irréfutable. On reconnaît dans ce vieux débat hélas la ligne mécaniste qui va s’imposer ; nous vivons tous le crépuscule des Beaux-Arts, mais ce serait étonnant que nous n’y soyons pour rien. La casuistique a encore de bons moments devant elle. Je suis né à Orchies en 1974, mais la plus grande partie de ma famille a péri à La Panne-Dunkerque le 27 mai 1940. C’est sans doute pour cela que je reprends "Le Poème Historique" ; il y a un grand projet en route qui s’appelle "Le Lai du Littoral". La théorie du signifiant en est venue à son absurdité de redondance dans les Ecoles d’Art ; Oulipiens ou Poliens ne sont que les mêmes resucées de lambeaux morts ; ils s’offrent de temps en temps une artiste mécanique qui danse le cha-cha-cha, mais c’est toujours la même pauvre parodie du temps en flux. Or, si nous voulons bien la langue, c’est plus son irradiation que ses isolexismes. L’état du délabrement vers la Banque Mondiale était visible dans cette émission télévisée "tenue" par l’une "des Ténardier", où Denis Roche, luttes et ratures du temps, était devenu aussi brave qu’un père Denis ou pire : poussah enflé et faux Zola, tant il avait ravalé ses insultes ; dommage, c’était le seul à vraiment creuser ; Du Bouchet le bien nommé, dernier avatar de la "poésie blanche" dont Deguy est le tabouret étymologique savant et Duault la doublure, nous précisait, avec quel cahier définitif il hoquetait quelques bribes dans les chemins noisetiers, tandis que tel autre de vergé à pontuseaux visibles, recueillait l’ineffable, qui, comme on le sait, tombe toujours avant la feuille et ne dépose jamais, même s’il est cité à la barre. Le seul à garder net son point de vue était Prigent, bon poète, même si rien d’exaltant n’était échangé, et même s’il se borne dans sa théorie à reproduire du faux Deleuze et du Néo-Kristeva qui ne dit pas son nom, comme Muray. Le zappeur téléthique sautait, sur une autre chaîne dans la version hystérique d’une communauté du Montana où l’on s’étonne que Joël-Peter Shapiro ne réside pas encore pour y faire des conférences sur Yang Hsien-tchen ; tout écrivain de ce pays de libérateurs où le steack est toujours saignant est forcément tout à la fois charpentier, boxeur, écrivain de "gothics", et théoricien, sauf le pollack qui traînait par là par erreur, lui s’étant senti obligé d’être "original et indépendant", mais surtout sinistre, ce qui ne vaut guère mieux et ne sort pas de l’enclos de la métaphysique occidentale habituel. Je ne crois ni à ce steack ni à ce pemmican. Plutôt à un lyrisme ayant bénéficié des formalismes précédents en moyens d’investigation, comme le cinéma ne se réduit pas aux photogrammes ; c’est sans doute une illusion de jeunesse ! Il y a tout de même Jean-Michel Michelena, qui ne croque pas du Jésus déshydraté, Richard Sieburth condensateur d’enigmes avec une jouissance de satori, Verheggen, tout de même, qui reste le seul au niveau de Cravan sans faire garçon de café du dadaïsme attardé, et surtout Bernard Manciet, qui a la chance extraordinaire d’un vrai moyeu de jade de langue condamnée, improbable et totalement inusitée, et peut ainsi jouer librement des muscles de l’alegría, puis, enfin et surtout, dans ce même paysage mental, Gérard Arseguel, dont l’essai de "Home Poetry" vaut mieux qu’un art poétique à lui tout seul, parce que c’est un championnat de réticence.

Paru dans le N°1 des Enguirlandés, Éditions de La Petite École.

Janvier 2000.

Publié le 27 octobre 2014 dans billet