Curieuses, les rencontres sur les blogs : je connais Ronán Pleven par un article lu de lui à l’université de Rennes sur les monnaies romaines, et une analyse des mythes celtiques chez Shakespeare !
L’Internet a ceci d’inquiétant qu’on y trouve les mêmes anecdotes. Je connaissais l’histoire de la fameuse lettre Z qui raZe et qui coupe, que j’ai au moins lue une diZaine de fois, et également celle de la rencontre Vauthier-Maréchal.
Quant au métier de journaliste, c’était une posture, car Maurice Roche était lui-même un journaliste (même s’il préférait dire “reporter”, ou mieux encore “globe-trotter”), et il en tirait encore quelques subsistances dans les années 80. Moi je voudrais plutôt parler de Maréchal.
Vous avez raison de parler du rapport entre De Funès et Novarina, car même si ce rapport m’avait échappé, c’est évident que Novarina est un grand comique, et c’est bien lui qui a écrit un ouvrage sur De Funès en 86, si je me trompe pas. C’est du reste à ce moment-là qu’il a été connu d’un plus large public.
Vous parliez aussi du lien entre Maréchal et Vauthier ; il faudrait parler de celui entre Maréchal et Novarina. Notamment avec l’Atelier Volant, dont je possède encore le manuscrit original. J’avais assisté à son Falstaffe avec Jany Gastaldi au Théâtre du Petit Odéon (en 1978 ?), et un suisse un peu fat, assez gras (l’air d’un poussah décadentiste et plutôt gynécologue), prononça devant moi à la sortie cette énigme : “Octave Mirbeau !” Rien d’autre. Je ne compris pas. Aujourd’hui je me demande toujours à quoi il pensait : à celui qui quitte les métiers dès qu’ils sont pénibles, aux Vingt et un Jours d’un neurasthénique ?, à sa tragédie populaire ?
Malgré son titre de Falstaffe, Novarina n’a absolument rien d’Élizabethain. Vous avez raison de citer Jean Vauthier, mais il ne faut pas oublier Michel de Ghelderode. Je fais partie de ceux qui ont eu la chance de voir à Gand la représentation de Fastes d’Enfer, et c’est sans doute dans son mélange d’horreur et de bouffonerie, quelque chose de tout à fait extraordinaire.
Avec Jan in Ereme qui sort de la mort pour recracher l’hostie empoisonnée. Il faut dire que le Moyen-Âge est plus présent en Belgique que chez vous.
Pour faire contrepoids, il faut voir aussi toutes ses pièces pour marionnettes, comme Le Massacre des Innocents, par exemple, ou Le Siège d’Ostende, pour en savourer toute la puissance de révélation historique.
Et ça n’est pas du tout un théâtre de langage comme Novarina, c’est un acte de magie et d’incorporation.
Ainsi, quelqu’un parlait de “nouveau théâtre de boulevard” de façon péjorative à propos de Novarina, ce qui n’est pas totalement faux ; je penserais à de très bonnes pièces américaines qui jouent sur ce registre-là et sur Broadway, puis également à Obaldia, Ionesco, qui n’en sont pas si loin. C’est du “théâtre de chambre” plutôt, comme Dubillard. Mais dans un genre tout à fait lacanien, une chambre d’échos. Nous sommes très proche de Dubillard et des Shadoks.
Mais en tout cas on n’est pas dans le registre tragique : ni l’Élizabethain, ni le siècle d’or Espagnol. Nous ne sommes pas non plus avec le Baladin du Monde Occidental ni avec Kleist et pas tellement avec Vauthier, contrairement à ce que vous dites, beaucoup plus tragique que ça. Le clown Bada pourrait être traité par Visconti.
Qu’on songe plutôt aux recherches abracadabrantes du non-humain, chez Audiberti. Un homme débarassé de la chair, pour qui seul compte le jeu.
Le lingouisme de Falstaffe (“Juste la langue, madame la gouine !” : cette phrase ne vient pas de Novarina ; autre conception), n’est pas le tragique de Bada, et encore moins des Bonnes. Comme il y a du tragique chez Dubliner’s, qui transparaît encore un peu dans Ulysse et disparaît dans l’effroyable logique de Finnegan’s Wake : on est par contre dans la douce sussurance liturgique si chère à Sollers dans quelques-uns de ses meilleurs ouvrages : H, ou Paradis.
Les glouglous du dindon chrétien (je me souviens de Novarina espérant le four du Claudel à Avignon, comme si c’était un rival) ne sont pas ceux de Claudel : Claudel claudique ; ce n’est pas Cloclo. Il a du bois, du métal et de l’os. Tête d’Or, par exemple est un capharnaüm de matières hétéroclites ; c’est tout sauf de l’agréable musique de langue. Comme il y a des trous pas seulement glottiques chez Artaud : des trous de cigarettes comme ses sorts, ces brûlures de cigarette trouant ses dessins équivalant à des tortures sur le corps, ou comme les coups de poinçon qu’il ne cessait de donner sur les billots de bois après sa sortie de Rodez.
Le lingouisme s’affouine et la langue s’infirme. Maurice Van de Guelde
Curieuses, les rencontres sur les blogs : je connais Ronán Pleven par un article lu de lui à l’université de Rennes sur les monnaies romaines, et une analyse des mythes celtiques chez Shakespeare !
L’Internet a ceci d’inquiétant qu’on y trouve les mêmes anecdotes. Je connaissais l’histoire de la fameuse lettre Z qui raZe et qui coupe, que j’ai au moins lue une diZaine de fois, et également celle de la rencontre Vauthier-Maréchal.
Quant au métier de journaliste, c’était une posture, car Maurice Roche était lui-même un journaliste (même s’il préférait dire “reporter”, ou mieux encore “globe-trotter”), et il en tirait encore quelques subsistances dans les années 80. Moi je voudrais plutôt parler de Maréchal.
Vous avez raison de parler du rapport entre De Funès et Novarina, car même si ce rapport m’avait échappé, c’est évident que Novarina est un grand comique, et c’est bien lui qui a écrit un ouvrage sur De Funès en 86, si je me trompe pas. C’est du reste à ce moment-là qu’il a été connu d’un plus large public.
Vous parliez aussi du lien entre Maréchal et Vauthier ; il faudrait parler de celui entre Maréchal et Novarina. Notamment avec l’Atelier Volant, dont je possède encore le manuscrit original. J’avais assisté à son Falstaffe avec Jany Gastaldi au Théâtre du Petit Odéon (en 1978 ?), et un suisse un peu fat, assez gras (l’air d’un poussah décadentiste et plutôt gynécologue), prononça devant moi à la sortie cette énigme : “Octave Mirbeau !” Rien d’autre. Je ne compris pas. Aujourd’hui je me demande toujours à quoi il pensait : à celui qui quitte les métiers dès qu’ils sont pénibles, aux Vingt et un Jours d’un neurasthénique ?, à sa tragédie populaire ?
Malgré son titre de Falstaffe, Novarina n’a absolument rien d’Élizabethain. Vous avez raison de citer Jean Vauthier, mais il ne faut pas oublier Michel de Ghelderode. Je fais partie de ceux qui ont eu la chance de voir à Gand la représentation de Fastes d’Enfer, et c’est sans doute dans son mélange d’horreur et de bouffonerie, quelque chose de tout à fait extraordinaire.
Avec Jan in Ereme qui sort de la mort pour recracher l’hostie empoisonnée. Il faut dire que le Moyen-Âge est plus présent en Belgique que chez vous.
Pour faire contrepoids, il faut voir aussi toutes ses pièces pour marionnettes, comme Le Massacre des Innocents, par exemple, ou Le Siège d’Ostende, pour en savourer toute la puissance de révélation historique.
Et ça n’est pas du tout un théâtre de langage comme Novarina, c’est un acte de magie et d’incorporation.
Ainsi, quelqu’un parlait de “nouveau théâtre de boulevard” de façon péjorative à propos de Novarina, ce qui n’est pas totalement faux ; je penserais à de très bonnes pièces américaines qui jouent sur ce registre-là et sur Broadway, puis également à Obaldia, Ionesco, qui n’en sont pas si loin. C’est du “théâtre de chambre” plutôt, comme Dubillard. Mais dans un genre tout à fait lacanien, une chambre d’échos. Nous sommes très proche de Dubillard et des Shadoks.
Mais en tout cas on n’est pas dans le registre tragique : ni l’Élizabethain, ni le siècle d’or Espagnol. Nous ne sommes pas non plus avec le Baladin du Monde Occidental ni avec Kleist et pas tellement avec Vauthier, contrairement à ce que vous dites, beaucoup plus tragique que ça. Le clown Bada pourrait être traité par Visconti.
Qu’on songe plutôt aux recherches abracadabrantes du non-humain, chez Audiberti. Un homme débarassé de la chair, pour qui seul compte le jeu.
Le lingouisme de Falstaffe (“Juste la langue, madame la gouine !” : cette phrase ne vient pas de Novarina ; autre conception), n’est pas le tragique de Bada, et encore moins des Bonnes. Comme il y a du tragique chez Dubliner’s, qui transparaît encore un peu dans Ulysse et disparaît dans l’effroyable logique de Finnegan’s Wake : on est par contre dans la douce sussurance liturgique si chère à Sollers dans quelques-uns de ses meilleurs ouvrages : H, ou Paradis.
Les glouglous du dindon chrétien (je me souviens de Novarina espérant le four du Claudel à Avignon, comme si c’était un rival) ne sont pas ceux de Claudel : Claudel claudique ; ce n’est pas Cloclo. Il a du bois, du métal et de l’os. Tête d’Or, par exemple est un capharnaüm de matières hétéroclites ; c’est tout sauf de l’agréable musique de langue. Comme il y a des trous pas seulement glottiques chez Artaud : des trous de cigarettes comme ses sorts, ces brûlures de cigarette trouant ses dessins équivalant à des tortures sur le corps, ou comme les coups de poinçon qu’il ne cessait de donner sur les billots de bois après sa sortie de Rodez.
Le lingouisme s’affouine et la langue s’infirme.
Maurice Van de Guelde