Le Cirque B. B. et Mouilleseaux le débile - Ligne des Escholiers Primaires. Nycéphore. Été
Date du document : 1970
Date du document : 1970
Date du document : 1983
L’Effondrement de la Carte
“Mon Papa, il est bien malade, retourné, devenu lamade et baveur de bile, débile. Prenait Festale, avant de connaître les jumeaux Kay, les fils de Violet. À présent plus rien, c’est foutu.
Les Kay vivaient sur le port, là où Charlie était au trimard ; leur père était broc. C’est à huit ans qu’ils se sont vus ; il y avait là José aussi, José Arès ; ils faisaient de la boxe avec le curé Bonnet , à La Flèche.
La dernière fois, il a chu dans le fossé avec Jack “the Hat”, un bon irlandais, un pot’ de prison des Kay (le “Hat”, pour cacher qu’il est chauve, et peut-être donneur).
On voit bien, à le suivre de dos, à l’importance de ses trapèzes pour un homme de la balle, tout le passé ardu de sa vie de cirque, les ours gris argent en hiver, la fréquentation de la neige (moins dangereuse que celle des Kay), l’arrachage et la plantation des piquets d’amarres.
Il a pas été connu de tout temps. Ainsi, du moins. Ni connu les Kay. “Vice ignoble” disait Mamie. Salles de jeux. Leslie Hot et Lili Spot. Phrénésie ! Alcool de contrebande. Serments d’Hippocrites ! Dipsomane, qu’on lui crachait !
Le docteur Dugoujon est venu, lui qui buvait que de l’eau, un jour de crise. On le chirurgica en ivrogne, comme un avare, à Saint-André. Jivago n’était pas là.
Ensuite, plus les Kay débarquaient, plus ses blessures se compliquaient. Tout un tas d’autres apparitions lui tombèrent dessus à la suite, par “infiltrations”, insidieusement : Le Fisc, Le Cadavre de Terry Martin, La Dent Creuse de La Loi, Le Maître, Pete Bondurant…
On aurait pu croire, à suivre la crétinisation des médias et à entendre Sophie Marceau dire après le tournage de Guerre et Paix qu’elle avait pour ainsi dire traîné toute sa jeunesse l’ouvrage impérissable de Tolstoï dans son sac de classe, qu’il y avait un voisinage entre elle et les grands écrivains russes (en somme une nouvelle version côté Est de La Nuit du Chasseur : un sein pour la guerre, un sein pour la paix : cf. Souchon), que Maritie et Gilbert Carpentier, c’était, à quelque chose près la même chose que l’Ezruversité, et que Carla Bruni était dans la même catégorie que La Callas : tout glissait en people !
Mais non ! Déclaration de sauvegarde inespérée : elle nous apprend récemment qu’alors qu’elle ne savait pas trop pour qui voter la dernière fois, elle a voté pour Sarkozy et qu’elle ne regrette pas, Dieu merci ! Cette déclaration rétablit les choses et remet Van Gogh à sa place et on retrouve pour Sophie Marceau les qualificatifs dont usait Pialat à son endroit après le tournage de Police. Maritie et Gilbert Carpentier, Patrick Poivre d’Arvor, Patrick Sébastien, les Nuls de Canal Plus, Michel Drucker, Beigbeder, tout cela reste de la variété ; ce n’était pas Pasolini c’est Besson sur le plateau des Nuls ; l’Inceste de Christine Angot n’équivaut pas à l’Amant de Duras ni à la Maison d’Anaïs Nin ; l’art sociologique n’est pas de l’art mais de la culture plus de l’université ; les angoisses pédagogiques des fils de pub de la MGEN ne suffisent pas à composer un roman, et Sophie Marceau continue à flotter dans sa baignoire comme si de rien n’était. Merci Sophie ! À toutes choses malheurs sont bons.
France Martin
Date du document : 1984
VUE DE LOIN, la citadelle grise gigantesque dans les nuages avec une irradiation blanche verte, des nuages gris-verts, et dessous le sommet de la colline. Au-delà la nacre d’huître des crêtes de vagues tout autour de l’île, les glauques ourlets. Un idiot dans la voiture à côté de la mienne qui roule sa langue, gratte l’arrière de sa tête de sa main droite, bras torsadé, et qui enfonce en tournoyant sans cesse son index gauche dans son oreille gauche. Rien ne dira le bien fourni de ces nuées pas plus que l’immense cavalcade d’énormes cumulus sur la gauche doublant les arbres de la vallée. Là pour le coup devant le film la langue est pauvre. J’arrive dans mon quartier.
Au film par contre échappe l’ampleur de la lumière orageuse sur toute la vallée, cette pénétration de l’or à travers toutes les couches du vert, la façon dont le clocher d’église repose sur un autre terroir de verts profus ; cela, seuls la peinture et le dessin peuvent le déployer.
Incroyables liserés blanc magique fuligineux des nuées grises, ces hauteurs de château, sans doute après l’équinoxe, cette vibration de craquelures à mesure qu’on avance dans la voie de la vallée, ces tressements, ces chevelures en zigzag, ce boisseau de foudres : non certes l’écriture ne peut en rendre compte. Voilà le bloc où se trouve mon bureau.
“En entrant, au-dessus de la baignoire et encore de profil à droite et à gauche, il était déjà là en train d’ouvrir le placard pour y prendre son peignoir et le mettre sur le radiateur.
Il se tira un bain bouillant dans lequel il mit de l’huile de noyau de pêche comme il se tirerait un soir, dans une pose potockienne, une balle dans la tête qu’il n’entendrait même pas traverser son cerveau et bondir dans la rue pour vraisemblablement tuer quelqu’un d’autre encore qui justement sortirait du cinéma en allumant une cigarette après avoir vu La Traviata ce qui donnerait le lendemain matin à la une des journaux : VOIR LA TRAVIATA ET MOURIR. Hier soir, dans le cinquième arrondissement, à l’issue de la dernière séance du cinéma le Panthéon, un homme qui ne demandait rien à personne a été abattu d’une balle ayant le calibre d’un noyau de pêche prélevé du couvercle d’une théière, en plein cou. Il est mort sur le coup. S’agit-il du dérèglement d’un conte ou de la passion d’un crime ? Les enquêteurs ont déjà appréhendé plusieurs suspects qui maraudaient dans les parages au moment de l’attentat mais aucun n’avait d’arme sur lui. Un Arabe dément, un Noir noir qui a vainement essayé de fuir en se dissipant dans la Nuit et un homosexuel en état de folie, d’ébriété et de délire toxique ont été incarcérés. L’affaire est louche jusqu’au strabisme. Suite p. 284, 2e article, 15e colonne, 4e division, 13e paragraphe, dernier alinéa.”
Ainsi commence “Le Voyage à Naucratis” de Jacques Almira. Gallimard. Prix Médicis 1975. Collection Le Chemin dirigée par Georges Lambrichs. 552 pages.
C’est une sorte de récit “à-perte-de-vue” (p 18), un récit en train de se faire, et la thématique du voyage en train est un des premiers moteurs du texte ; voyage en langue (“Je n’ai appris à parler qu’en lisant.”p 36), entrain pléthorique et musique ferroviaire si proche des futuristes et de Cendrars : “Clac ! Tala-taaaaaaa…tala-taaaaaa tala-taaaa tala-taa tala-ta tala t- rala-rhâââââ rala-ra tacatam ! talaram tacatam ! tala-tala-tala tacatam ! Long si long wagon long lit tacatam ! la longueur des emboîtements qui s’allonge et qui longe et qui ronge et s’éponge et qui plonge tacatam ! la molesse des prés tacatam ! J’y reconnais trémulations des émissions d’élongation tacatam ! j’en ryconnais et j’en ricane l’éromission admonition musication des partitions tacatam ! j’y riconnais les pianitions tacatam ! Lisieux, les yeux irascibles extensibles sensibles exaspérants sifflants tacatam ! susceptibles conceptibles compressibles fusibles et fatigants tacatam ! embarassants éraquérant tacatam ! audition conception ra-ti-fiiica-tion tacatam ! loguanons radenons voyardons voyons donc regardons écoutons racontons car liiiiiiii tacatam ! Autre manière de commencer ce livre :”(ps 19-20)
Ce livre est assez souvent du côté du train arrière et plutôt de la fécalité Gargantuesque que de l’analité selon Artaud, mais il musique aussi comme les trains de Kerouac des Clochards Célestes tout autour du globe : “Ce serait quelque chose qui se suffise à soi-même comme en musique une suite est une suite de morceaux souvent groupés sans souci d’unité comme par exemple prélude, courante, sarabande forlane gigue et passepied, qui répondent pourtant à certaines règles préétablies de la composition pour que l’on sache au moins ce que l’on va transgresser.”(p 18)
“Un début tout compte fait qui s’est imposé de lui-même comme un livre d’amour aurait commencé par l’amour de la scène et un roman policé par un crime anagrammatique et qui peut-être, tout conte fait, s’avérera propre à se soutenir en tant que tel pour me permettre d’écrire.
Messieurs les voyageurs en latence pour mon avis en voiture s’il vous plaît…”(p 18)
Bien sûr l’auteur s’installe dans le “signifiant” de l’époque et donne en raccourci le statut du Symbolique :
“On parlait déjà bien avant moi. Je me branche. Je suis le greffe. J’ai parlé aussi avant la première page de ce livre qui n’a qu’un début légiféré, anarchique, qui tend à résoudre ce que ces deux mots ont de contradictoire ; un début sans commencement, juste un endroit, ce trou béant au sein des mots du dictionnaire de la langue française, où il pénètre, s’introduit et d’où il ressort tonitruant, plein de chair et de sens comme mes menstrues dont les nostalgies sont mes contre-sens, où je me mettrai à en capter un bout pour arrêter ensuite plein de fatigue sans que ce soit la fin et donner à ce fragment de fresque un complaisant air rassurant de cohérence parce que j’ai appris à savoir à quel point de supension « O N » (O N-quote) ne me pardonnerait pas l’irrémissible in-cohérence d’un récit qui se pourtant serait proposé de pratiquer à son endroit la plus rigoureuse authenticité au détriment du Ondit et au profit incalculable du je dis.
O N guillemeté voudrait absolument me faire dire en sus de mon identité pourquoi mon « unité de lieu » en quelque sorte fondamentale comme les fondations d’une maison ou les frondaisons de l’arbre évoqué supra, est un train, où je vais, mon but, si je me rends par exemple chez une tante pour y passer des vacances et si je répondais étourdiment oui à cette adjuration, ma réponse serait jugée tantancieuse, ambigüe, et l’on m’exégèserait à partir de ma tentation déduite du recours naïf par moi eu au mot tante au lieu d’avoir dit la sœur de mon père ou de ma mère, bref !, l’ubiquoundequa de mon ex-pression narrative.”(p 17)
Mais dans cette cette traversée touffue de Jil Tu, le héros, avec des références constantes à l’Opéra, dans une construction baroque comme on peut voir chez d’autres auteurs aujourd’hui, aussi vrai que “la romance c’est la mort et le roman la vie”(p 24), tout est musique, rythme endiablé, tout est joie et rien ne fait Joyce.
“Tous nus et nus, nous serions nus, sur le sofa, partout, par terre, sur la soie, industrieux du tabriz et le métier à tisser cette intrigue à foutre. Je serais moi, vous serez nous, je serais encore, en corps nu, en cornue et à cri d’un labour des dos par des ongles, des mains seules, non ce seraient plutôt des gants instrépants gémissants, puissants et déjetés à des omoplates saillantes auxquelles ils s’arrimeraient dans la futaille des cris déchiquetés puis doucereux et aaan… Éclatant, brétailleur dans un râle vigueur tout le théâtre antique et classique, la passion, avec des consonances espagnoles et des déclamations de suicides manqués, vous le partenaire-lion, moi le beefsteack.”(p 31)
Ou du moins tout reprend la braise du désir Joycien sans la perte du sens, un écrit qui se situerait entre Ulysse et Finnegan’s Wake et proche aussi du projet de Flaubert (à qui les réferences sont constantes) d’écrire un livre qui ne raconterait rien. Avec parfois un regard presque immobile devant lequel les variantes et les personnages qui se lèvent à l’infini passent et repassent dans les jardins de la genèse comme les copeaux d’un présent qui se soulèvent mais dont on oublie qui les a lancés. L’essence même du désir ou de la foi d’apparaître en son absence et de maintenir la jubilation. Le réel aux sources de la parole y fait entendre son bruit de fond.
À tel point que c’est un ouvrage impossible à citer, du moins “à pincer” en un endroit quelconque : il échappe sans cesse. Tout est tissu de citations : Flaubert, on l’a dit, Rimbaud, mille autres : “Une seule lampe, celle du bocal à poissons où nageaient Pagre, Lépidote et Oxyrinque, brûlait. Je me dis : tout se fit ombre et aquarium ardent. L’ours chenu traînait par terre sur le tapis en compagnie de l’âne du gros oiseau gris bleu et des autres animaux de l’esprit. Le soleil perçait, mettait en perce les persiennes et je fus fou de jalousie à l’idée que…
Libiam ne’lieti calici
che la bellezza infiora
E la fuggevol ora
S’inebri a voluttà.
Libiam ne’dolci fremiti
che suscita l’amore,
Poiché quell’occhio al core
Onnipotente va.
Libiamo, amor fra i calici
Più caldi baci avrà.
Et je bus le reste de Chivas, et les derniers cachets. C’était un jour où je me battais chaud. Les yeux clos, ne bougeant plus, j’attendais. J’attendais que cela se produise. Sûr — je l’étais — que j’allais être foudroyé, que ça devait arriver tout à coup avec de grands éclats et des fulgurations, ouragan des cieux qui tombe sur la vie, la bouleverse, arrache les volontés comme des feuilles et emporte à l’abîme le cœur entier.” (p 46)
Il faudrait citer le volume entier sonore. Tout est issu, c’est-à-dire que tout part sans arrêt, train et fusées. Rien ne reste céans dans ce roman Gulliverien sautant sans cesse d’une échelle à l’autre. La tension nécessaire à se tenir à la lecture est plus grande que partout ailleurs, car il s’agit bien d’un roman d’aventures, mais c’est celui des aventures du signifiant qui changent à chaque paragraphe en même temps que le registre de référence. Le son et les bruits éjectent à tout moment le lecteur du sens suivant des modulations analogiques qui vont du romanesque descriptif au chant poétique et à la musique ; chaque phrase amène une nouvelle scène, installe table aux porcelaines luisantes et décor peint et sculpté, baroque, exubérant jusqu’à la meringue. Puis tout à coup on est pris dans cet immense mouvement, on ne peut plus perdre une seconde à revenir en arrière, porté et énuméré par le texte, tourneboulé par le fleuve, dans le règne souverain des inclusions, renversé dans le champ de babil de l’occident littéraire ; le train est devenu cheval sans qu’on s’en rende compte et le Tacatam Pôôôh ! ; le temps d’un mouvement de la tête nous voilà poursuivi puis bébé ; les choses vues glissent sous l’ongle quand on se racle l’œil transparent qu’on vient de s’inclure et qui ne nous permet plus de rien voir ; le squelette sort de soi ; ectoplasme réduit au tiers de sa taille on devient élastique jusqu’à sucer son vit et embrasser son cul à l’aide d’une bouche qui a perdu ses dents ; tout se gonfle clownesque et s’écroule du livre offdert dans ce carnaval bovarysque en chutes grandissimes en même temps que les plus grandes villes et que la bibliothèque d’Alexandrie, alors que l’auteur tire sans prévenir sur la nappe prolongée en écran ; dès lors le cristal après fracas et pertes s’enlise dans les humeurs des cités lagunaires…
Beauté de la dépense excessive des années 75 ; c’est un voyage “no gratis”, circulation du signifiant pas neutre Toutes ces amorces, ces tentatives, ces feux d’artifices ! Et dire que Guyotat pestait à cette époque-là contre “ces temps-ci dans ce pays-ci” lors de la mise en scène de Bordel /Boucherie au festival de La Rochelle. Que ne pesterait-t-il pas aujourd’hui où la littérature a tellement vieilli, contre le cadavre de ce pays, alors qu’il est en train d’écrire ses mémoires de Saône-et-Loire ?
Quand on songe à la malle d’inédits de Roussel trouvée par le plus grand des hasards (ou bien grâce au calcul savant de Roussel lui-même) dans un garde-meubles, voilà quelques années, confiée aux bons soins de François Caradec, puis restée en plan ! Malle sur laquelle aucun éditeur ne se précipita, si ce n’est le grand découvreur Jean-Jacques Pauvert
Michel Foucault saluant cet ouvrage a peut-être salué une autre sorte de Rousselien hors-normes, auteur d’un livre admirable de ne pouvoir avoir de suite, emporté par lui-même, l’un de ces hommes d’autant plus extraordinaires qu’irrepérables.
C’est peut-être aussi, cette effervescence elliptique prise par les bords, cet agissement littéraire, quelque chose de totalement étranger à la culture française, mines de phosphore qui en sapent le sol si loin, œuvre immédiatement lisible en Espagne, en Italie ou en Amérique du Sud, un livre où ici personne ne descend.
Ceci pour dire aussi l’extraordinaire champ d’inventions que fut la collection du Chemin, dirigée par Georges Lambrichs ; il y avait là la beauté des chemins se dessinant en cours de se faire et qui n’ont jamais de suite, collection auprès de laquelle dans l’édition d’aujourd’hui - petite ou grande - on trouve beaucoup de fausses découvertes reprises à Lacassin, Nadeau, Pauvert et quelques autres et la plupart du temps un catalogue de ringardises et de sociologismes crevés !
Le Chemin qui a aussi publié Rose Poussière de Jean-Jacques Shul, Jacques Réda, Yves Régnier, Patrick Remaux, Les Lois de l’Hospitalité de Klossowski, Mandiargues, Deguy, le Roussel de Foucault, le Tombeau de Guyotat, La Curée de Finas, Jacques Borel, Georges Perros, parmi mille autres perles…
(Arnaud Guérin. Collectif DAO)
Date du document : 1970
L’Usine des Rêves
C’est extraordinaire ! La terre s’est retournée mieux qu’avec une défonçeuse double. Il neige ! C’est l’Usine des Rêves.
Voilà un plan d’exode massif qui passe, pour celui qui veut en finir avec l’Usine Seconde, sans se rendre compte qu’il tire sur son pousse-pousse un tas de tonneaux inutiles.
La connerie de tous les abrutis du siège s’était feutrée ce matin-là mieux que de la passion des roses rouges. J’étais sorti du lit avec un rêve antédiluvien coincé dans mon cervelet, et une gêne de ce côté-là, reptile ou herbe, pris d’une desmopathie générale. Les Bouriates ne m’étaient encore qu’un horizon à perte de vue tandis que Saîd avait perdu depuis longtemps ses ancêtres kabyles ; j’en viendrais un jour par procéder de point à point sur une carte, et uniquement comme cela. Ai-je encore une fourrure de glouton ? Voyons.
Du coup, je n’entendais plus les discussions, mais des voix, et celles-ci comme en hauteur, ou après avoir plongé profondément.
(Dans les hauteurs des monts kabyles en été, m’a dit Saîd, on entend sous les étoiles des voix dans les buissons, dans l’extrême fraîcheur de la Nuit : ce sont celles des jeunes recrues qui vont partir à l’armée, et qui chantent des mélodies d’amour en s’accompagnant à la harpe.)
Date du document : 1969
Nany.
(Le Dentiste me convoque dans l’ancien saloon où il travaille, et au lieu des réparations prévues avant mon récital de gospels autour des Apôtres chez La Grosse, qui a une grande terre, un peu plus bas, alors que je me préparais même à lui en entonner un du bon négrier John Newton, il m’impose un énorme appareil (paraît-il “nécessaire à mon registre”) en citrine transparente et résine polyesther, mais d’une construction extrêmement lourde et comportant des sortes de roues ou de “cales” aussi grosses que des demi-pommes, qui me forcent les joues plus encore que ne le fera le futur Barrault dans le rôle d’Opale, de Renoir, et les blessent.
Date du document : 1978
Enfant, j’ai débarqué à l’île Seguin. Ensuite, devenu karatéka, lorsque j’ai de nouveau travaillé en usine, c’était uniquement pour notre communauté et pour préparer l’installation de mon “Camp du Gers” avec Maître O, en attendant de pouvoir rejoindre les autres en Afrique et aux Amériques. J’ai alors énormément volé, saboté et détruit de matériel ; cela faisait partie de nos consignes. Je glandais au lieu de travailler, provoquant les abrutis, les frappant entre les rangées de pièces, semant les objets n’importe où, brisant les plus précieux. D’autres du groupe sont venus travailler avec moi occasionnellement : Le Gitan, Pipo, Walter, Nany El Niño, et même une fois Osiris, mais le jour où il est venu, il neigeait et l’Usine a fermé, ça tombait mal !
Date du document : 2004
Cette nouvelle est de Claire Viallat. Elle fait partie d’un volume en cours d’élaboration.
“La journée s’annonçait claire”. Or, il se trouve que L’Ombre est partout, à la fois savante et tactile ; elle fait partie du sujet et de l’objet autant qu’elle s’en détache. Hombre = c’est l’Homme en espagnol. On dit souvent d’une femme qu’elle est l’ombre de son père ou de son mari : “La fille de…”, “La femme de …” Mais si l’on sait que l’ombre c’est l’âme, ça voudrait dire que c’est ce qui leur échappe de meilleur. Comment dès lors ne préfèrerait-on pas lâcher la proie pour l’ombre ? Le réel du grand Autre chez Lacan, en somme.
Claire Viallat reprend ici une énigme ancestrale.
Comment suivre la ligne de crête de la sagesse entre ombre et lumière, et ne pas basculer au Pays des Morts (il n’y a pas d’ombre au Paradis), engloutie dans ce double anonyme du sujet, comment ne pas disparaître dans l’autre innommable dont les oreilles de loup pointent dans tout autoportrait (“l’autre-au-portrait”), trou de suspens vibratoire de la discontinuité dans le temps, latence prête à bondir sur l’apparence manifeste.
Ou bien, dans le plus pur démon de Midi à l’ombre courte, comment emprunter un passage cristallin vers l’au-delà ou l’Amour danse grâce au cadran solaire d’Arsène Lupin dans le Triangle d’Or ?
Ombre élastique, ombres des personnages à une autre heure que celles des arbres, dans Marienbad, hors-champ total des ombres d’Hiroshima qui sont les seules à rester alors que les corps (qui les ont portées ?) ont disparu après la lumière aveuglante.
Femme sans ombre de Richard Strauss (1864-1949), ombre de Peter Schlemihls qui s’échange dans une triangulation avec âme et bourse.
Puis topologie, topologie : la science de nouer des ectoplasmes ?
Onuma Nemon. Octobre 2008
NOIR ET BLANC
Si au lieu d’une figure vous mettez l’ombre seulement d’un personnage, c’est un point de départ original, dont vous avez calculé l’étrangeté.
Gauguin à Emile Bernard, 1888-1891, Pierre Cailler, Genève, 1954.
Tous excellent à donner un contrepoint de chair, de vie, au fantôme qui occupe le centre du récit, et qui transforme la vision du monde autour de lui.
Critique du film « L’Adversaire » de Nicole Garcia par Aurélien Férenczi, Télérama n°2746.
L’ « ombre représente la somme des domaines du réel que l’homme ne veut pas voir ni reconnaître en lui-même et qui lui sont, de ce fait, non connus donc inconscients. L’ombre représente le plus grand danger pour l’être humain car il ignore son existence, il ne la connaît pas. C’est l’ombre qui fait que nos désirs et nos aspirations ainsi que le résultat de nos efforts se manifestent finalement dans le sens contraire de ce que nous attendions. Les manifestations de l’ombre sont projetées par l’homme sur le monde extérieur où elles prennent la forme du « mal ». Cette projection lui évite de voir que la source de ce mal est en lui, ce qui l’effraierait trop. Tout ce que l’homme ne veut pas, ne supporte pas, n’aime pas incarne son ombre, elle est la somme de tout ses refus.
Thorwald Dethlefsen, Rüdiger Dahlke : Un chemin vers la santé, ed° Randin-Aigne, 1990, Suisse.
Date du document : 1978
Compendium prépondérant.
Tra lala lalala lala ! ”(Saute d’un pied sur l’autre) “Tra lala lala lala ! Tra lala lala lala ! Compendium prépondérant d’un saut d’un pied sur l’autre à travers la forêt. Tra lala lala lala ! Vent froid contenant quelques
blancheurs, encore, de l’hiver passé. Figures de la Moi assez ! Et masques empreints de carbone. Ordures sans pourrissement possible. Arrière, formes fixes du fantasme répressif. Rétro, tout ça !
(Il s'agit d’un petit Extrait du Chapitre 6 de l'Été)
C’était bien de vouloir partir ainsi. Mais qui se satisferait de ce simple redoublement de soi-même, de cette ombre portée en avant, idéale et nocturne, de cette infra-mince connaissance du monde ? Puis quel lecteur s’attardera sur cette Aventure matinée d’Argentine ?
« On continue, on verra bien ! »
*
Pendant ce temps de préparation du mouvement, entre le retour de Cádiz et la Grande Fugue aux Amériques, alors que je continuais à bien fournir le répertoire, à rencontrer d’autres comédiens, à choisir régisseur et techniciens et à améliorer ma connaissance de la photographie, mon frère Nicolaï travaillait comme magasinier à la Régie dans les champs du Bouscat.
Comme il était stipulé dans le contrat qu’on ne pouvait recevoir
d’argent sans déplacement (faiblesse théorique et a priori latin de l’oncle lointain, qui n’avait pas compris la vitesse immobile), et comme d’autre part la ville de départ ne pouvait être considérée comme une halte, nous subvenions ainsi chacun à notre façon à nos besoins.
Magasinier ? Aucun grand écrivain ni artiste ne l’y autorisait. Il se fixait à peu près les mêmes objectifs possibles que Nany : expéditionnaire, bibliothécaire, etc. Il avait bien supporté pourtant de teindre des chats, tout le printemps de l’année précédente, sur la rive gauche de la Garonne, bien qu’il n’y ait jamais eu de “modèle exemplaire” dans ce sens-là non plus, travail plutôt repoussé par tous ceux qui les idolâtrèrent ! Mais magasinier ! La violence du sabotage était donc nécessaire pour résister au siphon de la connerie. Elle était poussée au centuple par Saïd. Et je vins les rejoindre à quelque temps de là.