Journal de Lydou - Les Adolescents. Lycée de Terraube

Date du document : 1975

Ce texte figure dans Quartiers de ON ! paru en 2004 aux éditions Verticales, augmenté de ses étoilements plastiques, inserts et éléments sonores.

À Terraube
(Importance de “l’Europe plate et froide”.)

Journal de Lydou
24 août

La pluie était très forte, quand nous avons décidé (“Un… deux… trois !”) avec Aube de quitter notre abri pour rejoindre Papa sur le port. Un pauvre chien perdu courait en travers, et en nous voyant surgir, il aboya furieusement, appeuré ; son écho lamentable se répandait dans le lointain. Au loin, la tempête faisait rage, et un bâteau mal amarré alla donner du nez dans la jetée où il se brisa comme un œuf, avec un fracas terrible de craquements multipliés.
Soudain, tout se calma ! Et dans ce cadre tourmenté ce fut comme si tout recommençait.
Dimanche 30 décembre
Claude et Loulou nous achètent des bonbons.
Claude ne m’appelle que Mademoiselle.
Le soir, j’écris à Monique R., Annette P., Marie-José M., Nadine C., Liliane C., Liliane D., Nady F., Marie-Thérèse G., Colette K., Jacqueline L., Lucile M., Monique N.
Cet après-midi, avec Christiane D., nous avons recherché les endroits I (c’était avant tout, avant même les paroles I ). Nous rappellions les quoi ? Il faut dormir.
*

L’année Suivante
Mardi 1er janvier

À trois heures, Christiane D. arrive et nous faisons un devoir d’anglais dans ma chambre par la fenêtre. On rit bien. Puis elle me fait un souvenir (celui qui est à la page précédente), quand Papa arrive et me demande “si il se fait, cet anglais ?” Alors vite Christiane D. tourne la page et fait semblant de faire de l’anglais. Là : “walking back from the school ”. Ensuite on part.
Jeudi 17 janvier
Jean-Pierre Moustéou devait me porter les photos d’identité (il est collé), mais c’est Monique Dégans qui les a prises avant lui. L’après-midi, nous allons à Gauge et on discute avec Alain F. et Jean-Pierre Moustéou. Il y a aussi M. Olivier Larronde, qui est poète ; c’est un ami de Jean. Il est vieux ; il a 36 ans.
Le matin, j’ai donné la lettre de C. et de Christiane D. à une externe.

Publié le 3 août 2008 dans document Cosmologie Onuma Nemon texte edition

Astrobade - Les Escholiers Primaires. Ligne de Nicolaï. Été. Lycée

Date du document : 1979

Ce texte figure dans Quartiers de ON ! paru en 2004 aux éditions Verticales, augmenté de ses étoilements plastiques, inserts et éléments sonores.

Astrobade
Gastrobas adorait voler le pain à la cantine du Club des Coqs Rouges ; il le volait par tronçons de miches, en prenant le bout dur. Le Club était toujours resté dans l’ancien bâtiment-entrepôt d’un crépi doré qui abritait jadis le tissu en énormes coupons d’un commerçant juif aujourd’hui ruiné, à l’angle de Sainte-Eulalie.

Publié le 26 juillet 2008 dans document Cosmologie Onuma Nemon texte edition

Basile, Zinopino, Morisson - Les Escholiers Primaires. Ligne de Nicolaï. Été. Lycée

Date du document : 1979

Ce texte figure dans Quartiers de ON ! paru en 2004 aux éditions Verticales, augmenté de ses étoilements plastiques, inserts et éléments sonores.

Le voyage à Pau
Au Lycée, on adorait tous Basile, le conducteur de bus des voyages
scolaires en fin d’année. Le reste du temps il nous apprenait les passes de foot et officiellement il était factotum.
Il était du coin. Il adorait, surtout l’hiver, avant le jour, péter à la hauteur de l’usine à gaz après s’être gavé de champignons du Sud-Ouest, fureur mégalomaniaque lui donnant l’illusion d’empuantir tout le paysage et imprégnant tellement son siège qu’il en conservait tout du long une aura d’une infection persistante à couper au sabre !
Il nous tenait des discours sur tout pendant le voyage : la Bible qu’il connaissait par cœur, et surtout la Genèse et le problème de la Trinité et du semblant, version italienne. Il nous disait que pour eux, le semblant c’était pas du bidon, c’était même tout l’inverse. Il aurait adoré travailler dans un Hospice mais il avait pas les diplômes.
L’arbre tordu, la veste rouge, il trouvait ça beau, le désordre sur la voie et la route parallèles, par ce temps gris pluvieux couvert : et surtout ce jour-là un morceau déchiré de carton, un vieux chiffon, du poil avec un con, un fion, un tronc, des tétons, un étron…
Il s’agissait du fil même sur lequel les perles de sa folie étaient enfilées.
Par contre tous les lycéens haïssaient cette visite à Lacq, cette “partie utilitaire” du voyage de fin d’année, après Pau, la poule au pot, le roi Henri, Sully-les-Mamelles, l’entrée en pente du château. C’est pour cela qu’on tua cette conne de gallinacée de prof d’Histoire, qui croyait nous faire rire en retournant ses paupières, avec l’aide de Basile, et qu’on en jeta les morceaux par les fenêtres du bus, en désordre !

Publié le 25 juillet 2008 dans document Cosmologie Onuma Nemon texte edition

Portrait de Nicolas - Les Adolescents. Ligne de Nicolas. Été. Lycée

Date du document : 1979

Ce texte figure dans Quartiers de ON ! paru en 2004 aux éditions Verticales, augmenté de ses étoilements plastiques, inserts et éléments sonores.

Daniel : “Nicolas n’aime pas du tout Nicolaï. Tout juste s’il lui parle. Par contre il s’entend très bien avec Nycéphore, surtout pour notre projet du “Styx”. Mais Nycéphore et Nicolaï pensent tous les deux que leur frère Didier, s’il avait vécu, aurait pu être comme ça.

De la même façon qu’en sculpture je reprenais des mises en scène précédentes de personnages en bas-reliefs, des maquettes que j’avais déjà disposées dans la salle de modelage ou des figures découpées et rapportées. Nicolas, lui, utilisait ce qu’il appelait ses “papiers bohémiens”, écrits en route et enfoncés dans les poches. Chacun de nous deux assemblait à sa façon des morceaux autonomes. On était déjà dans la double articulation sans sauce romantique. On se sentait frères de Mozart. C’était un baladin d’adoption qui fumait, buvait, et écrivait énormément. Un très bon poète incapable de la moindre réalisation matérielle. Il rêvait d’épouser une Gitane, c’était son but dans la vie, et pour cela fréquentait les roulottes de tous les campements rencontrés. Étant par excellence un Sujet du Bord, qui zigzague en tzigane, ce projet des “Enguirlandés” l’enthousiasmait.
La première fois que Nicolas est venu de Libourne (son père avait une industrie là-bas), j’ignorais qu’il eût un frère mort. Il m’a simplement parlé de sa maison, d’une façon sommaire : de la porte sur la cour, puis de l’ouverture générale vers le village d’abord par le grand portail, ensuite par la route remontant au nord ; au sud et à l’arrière il y avait d’immenses champs, des prés herbeux, et au loin les faubourgs grisâtres et roses pâlis.
C’est dans ces faubourgs qu’il a rencontré Claude qui vit près des décharges, “Fouailleur” minier qui perce avec le croc l’amas gelé des détritus à la recherche d’un élément rare, sépare le Ciel et la Terre à l’aide de ce trait et grâce à lui du Chaos se tire. Dans la famille de Claude, il ne leur restait plus que la roulotte, et la compagnie des gitans vivant des frites et de la vente des animaux ; autant partir ! Autant suivre cette ligne toute de contiguités à présent, cette ligne de chant du récit que heurtent les récifs, ces blocs primaires la trouant.

Publié le 25 juillet 2008 dans document Cosmologie Onuma Nemon texte edition

Jany-Janus - Les Gras. Printemps. L’esplanade des Girondins

Date du document : 1978

Ce texte figure dans Quartiers de ON ! paru en 2004 aux éditions Verticales, augmenté de ses étoilements plastiques, inserts et éléments sonores.

L’Esplanade rutilait de mille feux, miroirs des carroussels et des labyrinthes que venaient à peine embuer les fumées graisseuses qui flattaient le palais des nouveaux dieux.
Jany-Janus tenait le Palais des Glaces.
(Jany-Janus était une prostituée révolutionnaire anthropophage qui avait mangé son frère pour posséder les deux sexes à la fois ; à partir de là, hermaphrodite aux deux versants elle devint et s’offrit d’abord à Paris comme un travelo jeunot recto-verso, sur les Boulevards, porte Saint-Martin, Saint-Denis, et notamment à toutes les sorties des théâtres de ces mêmes boulevards avant de venir s’installer à Bordeaux.)

Publié le 23 juillet 2008 dans document Cosmologie Onuma Nemon texte edition

Charlotte au Sang - Les Gras. Printemps. L’esplanade des Girondins

Date du document : 1978

Ce texte figure dans Quartiers de ON ! paru en 2004 aux éditions Verticales, augmenté de ses étoilements plastiques, inserts et éléments sonores.

Sous-bois, déséquilibre, cassures, pour Charlotte Corday. Toujours de cordée, jamais de Montagne. À Glatigny, chez l’auteur des “Glaneuses”, où elle avait sa chambre, et passant de chez lui chez Roncerailles, dans ce trou de chaumière loin de l’Ami du Peuple qui donna naissance à cet autre poète aussi faux que Larronde.
Elle a vécu du manoir au château ; on s’appelait d’un lieu à l’autre.
Sa Trinité est plus de métal blanc que de dorure, multiplicité prise dans le rythme ternaire de la course Augustinienne. Elle est plus proche des coupes farouches de son grand-oncle Corneille que des serpents sinueux de Racine.
Elle craint ce “trop” qui vient en elle, cet afflux de sensations, d’harmonie, de bien-être, cette surabondance dangereuse (qui va basculer), cet excès d’odeur (comme un fauve migraineux), de réminiscences qui la soufflètent, etc.
Toute sa vie elle a gardé sa cartographie de faiblesse rainurée de bois tendre, visible en glacis sous son teint diaphane comme à la fenêtre étroite donnant sur une cour obscure elle calquait de petits dessins qu’elle appliquait sur la vitre ; par là encore, comme avec les crayons de couleur de Glatigny, elle était proche d’Arthur. Par ces muscles involontaires elle faisait circuler à vif les hontes et rages de l’époque rougissant de riens pour les autres. Elle avait des visions en coin d’œil aussi, à la Frankie Adams, au printemps, sur le sol poudreux des chemins ou faux vives lancées sur le sol chez elle : pas de parquet, du carrelage ; pas de plafond, des solives ; une vaste cheminée.

Publié le 23 juillet 2008 dans document Cosmologie Onuma Nemon texte edition