Nycéphore. Cádiz - Les Adolescents. Été

Date du document : 1988

“Vivrai-je jusqu’en 2028 ? La quarantaine est le moment de ce navire bleuâtre, bien différent dans ce cas de celui où je me trouvais à Cádiz, prêt alors à refaire la traversée de Colomb, mais avant cela préparant tous les éléments techniques pour la venue de la troupe sur ce site.
Hier Héraklès est descendu de sa coupe sur le quai, après avoir tué Orthros, le berger Eurytion et Géryon, le fils de Chrysaor. Il a débarqué avec lui tout le troupeau de Géryon et il va remonter par la terre jusqu’à la Grèce.
Galère, drakkar, nef de Byzance, caravelle, vaisseau de premier rang puis brick de guerre, lougre, tartane, frégate et enfin cinq mâts… Prêt à pouvoir construire une naumachie intensive au-delà de toutes mesures des bougies décimales, en coupant au milieu du flux qu’il absorbe comme un buvard.”

Publié le 9 décembre 2008 dans document Cosmologie Onuma Nemon texte

La Rábida. Matinée des Moines - Les Grands Ancêtres. Ligne de Don Qui. Printemps

Date du document : 1970

Matinée des moines invités
Elle leur dit à tous ces moines venus en enquête spirituelle depuis la Rábida, ici face au Santoña, qu’Onan est sûrement déjà mort d’inanition.
Le pénitencier de Santoña, en face, est à présent devenu invisible à travers cette averse de rideaux. On ferme la fenêtre : éclairs féroces, parquet mouillé, pressentiment de l’année qui tourne.

Publié le 9 décembre 2008 dans document Cosmologie Onuma Nemon texte

Nycéphore. La Défaillance - Les Escholiers Primaires. Ligne de Nycéphore. Automne

Date du document : 1979

Texte Inédit. Travail de réduction en cours.

Nycéphore sortit du cabinet d’Acupuncture de Jean Shatz rue de l’Université, une après-midi d’automne de 1979, et se rendit chez le libraire bibliophile dont ce dernier lui avait parlé près de Solférino. Il fit d’abord les cent pas dans les alentours, indécis, pris d’on ne sait quelle crainte d’une découverte, avant de se rendre devant la boutique, comme on se dilapide en marchant. Dehors, à même la rue, le libraire avait disposé sur un étal des rangées de livres de poche que les étudiants devaient lui piller régulièrement ; Nycéphore hésita encore à franchir les deux marches du seuil puis enfin il se présenta à l’homme à la face palpitante dont un tic relevait sans cesse la commissure droite des lèvres. Dans ce capharnaüm où il vivait exclusivement on trouvait Balzac, Hugo, mais surtout au-delà tout le romantisme européen et les décadents. Puis des livres à reliure verte scolaire, des livres de prix à tranche dorée, avec des étiquettes et des numéros : donations de bibliothèques, ainsi de suite. Manies, phobies du personnage chiffon à la main, crainte des taches de tous ordres, raréfaction des moindres gestes comme de se lever pour aller ouvrir le tirage du poèle, retourner un carnet sur la table.

Publié le 12 novembre 2008 dans document Cosmologie Onuma Nemon texte

Prise de Son à Laredo - Les Adolescents. Aube & Nany. Été

Date du document : 1967

Laredo. Samedi 5 août 7h1/2.

Cher passant du Styx,
Je voulais t’écrire allongée sur le sable de “notre” coin ; promesse que je ne tiendrai pas puisque je suis sur mon lit : beaucoup trop de vent dehors !
Je n’ai pas osé tourner la tête pour te voir partir ; ainsi tout à l’heure tu m’accompagneras sans le savoir dans le vieux village aux rues de cendres grises. Je voudrais tant te donner la main et caresser tes cheveux !
Après t’avoir quitté j’ai couru acheter des timbres et faire provision d’enveloppes violettes (pour toi) ; mais il n’y a nulle part possibilité de trouver des bandes magnétiques vierges, comme tu me l’as demandé ; le mieux sera que tu en récupères encore à la Radio. Je suis d’autant plus désolée que nous n’ayons pu enregistrer le vent sur la plage, ton départ, notre dernière promenade en ville… que Jacqueline était bien là, avec son magnéto, à nous attendre au “Las Vegas” depuis une demi-heure où nous n’avions pas su la voir.
Nous avons rencontré aussi Loco, l’ancien videur à la “Rana Loca”, l’été, pendant ses vacances. C’est un gars du C. R. E. P. S., tu sais, un Anarchiste, un copain de Jésus et de toute sa bande : Minet, Gérard, Bernard… Ces temps-ci, il adore faire des blagues au téléphone ; il nous a dit qu’il pouvait t’aider pour infiltrer des lignes dans des immeubles, avec un magnéto. En partant il nous a donné une carte de sa boîte.

Publié le 31 octobre 2008 dans document Cosmologie Onuma Nemon texte

Nany Machin. Nord & Sud - Les Adolescents. Été

Date du document : 1989

Ce texte figure dans Quartiers de ON ! paru en 2004 aux éditions Verticales, augmenté de ses étoilements plastiques, inserts et éléments sonores.

Nany Machin, c’est mon nom, je veux tout embrasser, tout emporter au fur à mesure, sans recours, sans aucun retour possible en arrière.
Parce que sorti sans blessures de la fosse aux lions, je suis un fleuve plus impitoyable que le torrent de feu qui fit envoyer à Rimbaud un bas à varices le 27 mars 1891, que l’écriture directe empruntant même sa graphie à l’immédiateté intensive n’est pas tout de moi, mais d_oit être dite_.
C’est Commode, le premier, qui, loin d’une humeur facile, signalé plutôt par ses débauches et ses emportements, m’incita par son exemple à ce
travail, craignant sans doute moi-même l’athlète qui viendrait m’inscrire historiquement dans mon bain de langue, étranglant les projets en cours, liés ensemble comme trois masses de biens jamais dépensés.
Je fais en sorte de laisser un interligne suffisamment aéré (comme les Pyrénées), ce que la loi interdit dans les actes authentiques, de façon à pouvoir intercaler un fragment oublié tel qu’“étranglant”, quatre lignes au-dessus de celle-ci.
C’est d’un Vrac qu’il s’agit donc, apparemment irréductible, et cependant toujours possible à reprendre dans le mouvement biographique, on le verra.
Il est bon de préciser aussi qu’il n’y a pas d’autre raison à ce récit que l’Aventure où nous fûmes lancés d’abord à quelques-uns changeants et mouvants, devenus des milliers malgré moi ou du moins bien au-delà de moi, par la transcendance d’un Grand-Oncle Gitan de Buenos Aires, enfoui dans la plupart de nos mémoires de famille, mais qui ressurgit sous la forme d’un cadavre baroque par l’intérmédiaire d’un Notaire,
personnage important du Cours de Gourgue à Bordeaux, et, pour moi, proche de Mauriac et de tous les chais un peu frais de la ville.

Publié le 27 octobre 2008 dans document Cosmologie Onuma Nemon texte edition

Nathalie & Nijinsky - Les Escholiers Primaires. Ligne de Nathalie. Été

Date du document : 1986

Ce texte figure dans Quartiers de ON ! paru en 2004 aux éditions Verticales, augmenté de ses étoilements plastiques, inserts et éléments sonores.

À partir d’ici, en vidéo, dans le Studio Soudain où Nathalie vient se faire photographier en dansant, sur plusieurs écrans simultanés, le corps d’un arbre, vu par chacun des points d’articulation du corps : tête, épaules, hara, coudes, bite, chevilles.
(Arbre vu par épaule droite puis coude gauche.)

Nijinsky : “Il y avait d’abord l’ours dansant, l’ours énorme surgi d’entre les branches, et Kyra riait de le voir attraper ce minuscule écureuil qui venait de s’enfuir de chez nous, par la fenêtre, d’où on regardait, sur cet étang, ce lac, ce bief. Mais l’ours ensuite se mit à vouloir dévorer notre chatte ! Il se mit à l’absorber une première fois, puis elle ressortit de son estomac, galopa devant lui. Il était de nouveau en train de l’engloutir, lorsque je décidai de sortir de la maison pour la sauver. Je montai sur un pic, et là, d’un plan plus général, j’aperçus soudain un énorme boa, enroulé dans les rochers du bord ; je le signalai à ma femme qui se trouvait un petit peu plus bas ; je lui jetai des pierres et des choses diverses pour l’exciter, et celui-ci fit vibrer sa langue au-dessus de l’eau ; c’est à cet endroit que je reconnus sa tête ; jusque là je ne voyais que la confusion des courbes, des nœuds, des sentiments et de leurs passages…
Redescendu dans l’assemblée, je portais un col de clergyman qui m’allait véritablement à ravir, combiné avec ma veste chinoise à col mao, et un manteau du même genre, col officier. C’étaient trois successivement cols de même type. Mon père devait être un officier du passé simple.”
(Arbre vu par pied droit) (Arbre vu par Hara) (Arbre vu par bite)

Publié le 23 octobre 2008 dans document Cosmologie Onuma Nemon texte edition

Romantisme du Bus - Les Adolescents. Été. Le Lycée

Date du document : 1989

Texte inédit

Le trajet vers le Lycée c’était d’abord le trajet en bus pour nous tous, Nicolas parmi nous, et l’Idiot au crâne difforme de la rue Courteault spécialiste de Chateaubriant autant que de Lamartine qui parlait de ces habitudes au bas de la Morgue d’entreposer sur un bateau surmonté d’un pavillon noir par couches les cadavres des assassinés entre des couvertures de paille. Et on traversait toute la ville dans ce foutu bus puant sous les averses, tant il pleut à Bordeaux, avec partout des indondations à cause de ce temps pourri, de ce ciel de là-bas qui crève comme un phlegmon. On y faisait des concours à qui donnerait le plus de métaphores excrémentielles sur sa mère, incarnée comme une matoose, une merdouse. C’était à qui la détaillerait le mieux, filandreuse, émiettée, puant les œufs pourris ou l’acide chlorydrique comme des épinards hâchés, etc. On imaginait comme papoose Dieu son mari, vieux personnage incapable et barbu, grincheux et chieur en diable lui aussi à cause des intempéries qu’il dispersait sur Bordeaux, sans doute recouvert de la farine algérienne, uniquement préoccupé de précipitations aqueuses sur la ville, car Bordeaux est une Indochine, une cuvette malséante et putride.
On avait aussi des chansons pour les quelques grues qu’on tracassait dans le trajet, vendeuses des Noga et autres :
“Pouffiasse du lendemain grise,
Matinée de crise…” ainsi de suite.
Puis il y avait ce voyageur qui riait avec nous, obsédé par les contiguités fécales dont il nous parlait : manger un camembert bien puant assis sur le trône tout en débourrant ; il faisait souvent le trajet en notre compagnie, en imper mastic quelconque, un journal plié à la main.

Publié le 23 octobre 2008 dans document Cosmologie Onuma Nemon texte

Nycéphore chez Soudain d’Arlac - Les Escholiers Primaires. Ligne de Nycéphore. Été

Date du document : 1976

Ce texte figure dans Quartiers de ON ! paru en 2004 aux éditions Verticales, augmenté de ses étoilements plastiques, inserts et éléments sonores.

Mon unique photo lauréate et prise dans les bois d’Arlac près de chez Soudain (fils de Houdin et de Boudini, originaires de colons du Soudan), cicerone pour la récolte des cicatrices, voilà où je m’enfonce, avec la sale humidité, les graminées coupantes, sans savoir encore si j’ai quelque chose de commun avec le narrateur précédent, gomme qui rit de sa beauté morale et de sa difformité physique. Je me souviens de mon enfance au milieu des essaims d’abeilles d’Abel.
Avec le Rolleiflex, j’avais eu du moins la chance de découvrir “la visée ventrale”, l’appareil chaud tenu sur l’abdomen, comme en venant plus tôt le matin en vélo à Arlac, “l’énorme crabe rouge abstrait” sur un champ de blé de Dufy Dingo dans la revue “A la Page”, et la salle des pas perdus.
Je me rendais là-bas avec ce vélo sur lequel j’avais fixé un guidon étroit, le vent violent plissant la chemise de nylon, poignets vers l’intérieur, position rentrée ; secouée.
Puis au retour chez moi, toute l’eau avait envahi le débarras de l’ancien Couvent où nous logions, alors que je me sentais déjà tellement floué (quoiqu’il en soit, je boulonne !) de n’avoir obtenu, pour toute récompense de mon premier prix de photographie qu’un séjour de quinze jours de nettoyage et de restauration d’une ferme au Kansas où se promettait de m’accueillir un couple super sympa (“...et si vous avez fini assez tôt, vous pourrez vous amuser avec nous à faire les courses le week-end dans le patelin avec toutes les sortes de gens et de commerces typiques, et, pourquoi pas, on pourra même vous offrir une bonne bière !”)
Point d’aboutissement de multiples écoulements et de gouttières romanesques, le débarras, chambre noire, que l’eau inonde. L’eau, l’eau envahit tout comme la révolution des bourgeois charcutiers et marchands de grain l’église St-Pierre et la chapelle du Martyre, l’eau dont le niveau monte depuis les fossés du jardin désolé en contrebas. Heureusement, je trouve un tuyau de plomb qui curieusement surnage, et, le tirant, je retourne un lavabo qui me sert de coque de noix et me permet de pagayer jusqu’à regagner la chaussée.
Chez les Sœurs, on s’affole aussi : tous les Saints flottent.

Publié le 21 octobre 2008 dans document Cosmologie Onuma Nemon texte edition