Le Groupe à Bilbao - Les Adolescents. Été
Date du document : 1986
Date du document : 1986
Date du document : 1989
Ce texte figure dans Quartiers de ON ! paru en 2004 aux éditions Verticales, augmenté de ses étoilements plastiques, inserts et éléments sonores.
Nany Machin, c’est mon nom, je veux tout embrasser, tout emporter au fur à mesure, sans recours, sans aucun retour possible en arrière.
Parce que sorti sans blessures de la fosse aux lions, je suis un fleuve plus impitoyable que le torrent de feu qui fit envoyer à Rimbaud un bas à varices le 27 mars 1891, que l’écriture directe empruntant même sa graphie à l’immédiateté intensive n’est pas tout de moi, mais d_oit être dite_.
C’est Commode, le premier, qui, loin d’une humeur facile, signalé plutôt par ses débauches et ses emportements, m’incita par son exemple à ce
travail, craignant sans doute moi-même l’athlète qui viendrait m’inscrire historiquement dans mon bain de langue, étranglant les projets en cours, liés ensemble comme trois masses de biens jamais dépensés.
Je fais en sorte de laisser un interligne suffisamment aéré (comme les Pyrénées), ce que la loi interdit dans les actes authentiques, de façon à pouvoir intercaler un fragment oublié tel qu’“étranglant”, quatre lignes au-dessus de celle-ci.
C’est d’un Vrac qu’il s’agit donc, apparemment irréductible, et cependant toujours possible à reprendre dans le mouvement biographique, on le verra.
Il est bon de préciser aussi qu’il n’y a pas d’autre raison à ce récit que l’Aventure où nous fûmes lancés d’abord à quelques-uns changeants et mouvants, devenus des milliers malgré moi ou du moins bien au-delà de moi, par la transcendance d’un Grand-Oncle Gitan de Buenos Aires, enfoui dans la plupart de nos mémoires de famille, mais qui ressurgit sous la forme d’un cadavre baroque par l’intérmédiaire d’un Notaire,
personnage important du Cours de Gourgue à Bordeaux, et, pour moi, proche de Mauriac et de tous les chais un peu frais de la ville.
Date du document : 1986
Ce texte figure dans Quartiers de ON ! paru en 2004 aux éditions Verticales, augmenté de ses étoilements plastiques, inserts et éléments sonores.
À partir d’ici, en vidéo, dans le Studio Soudain où Nathalie vient se faire photographier en dansant, sur plusieurs écrans simultanés, le corps d’un arbre, vu par chacun des points d’articulation du corps : tête, épaules, hara, coudes, bite, chevilles.
(Arbre vu par épaule droite puis coude gauche.)
Nijinsky : “Il y avait d’abord l’ours dansant, l’ours énorme surgi d’entre les branches, et Kyra riait de le voir attraper ce minuscule écureuil qui venait de s’enfuir de chez nous, par la fenêtre, d’où on regardait, sur cet étang, ce lac, ce bief. Mais l’ours ensuite se mit à vouloir dévorer notre chatte ! Il se mit à l’absorber une première fois, puis elle ressortit de son estomac, galopa devant lui. Il était de nouveau en train de l’engloutir, lorsque je décidai de sortir de la maison pour la sauver. Je montai sur un pic, et là, d’un plan plus général, j’aperçus soudain un énorme boa, enroulé dans les rochers du bord ; je le signalai à ma femme qui se trouvait un petit peu plus bas ; je lui jetai des pierres et des choses diverses pour l’exciter, et celui-ci fit vibrer sa langue au-dessus de l’eau ; c’est à cet endroit que je reconnus sa tête ; jusque là je ne voyais que la confusion des courbes, des nœuds, des sentiments et de leurs passages…
Redescendu dans l’assemblée, je portais un col de clergyman qui m’allait véritablement à ravir, combiné avec ma veste chinoise à col mao, et un manteau du même genre, col officier. C’étaient trois successivement cols de même type. Mon père devait être un officier du passé simple.”
(Arbre vu par pied droit) (Arbre vu par Hara) (Arbre vu par bite)
Date du document : 1989
Texte inédit
Le trajet vers le Lycée c’était d’abord le trajet en bus pour nous tous, Nicolas parmi nous, et l’Idiot au crâne difforme de la rue Courteault spécialiste de Chateaubriant autant que de Lamartine qui parlait de ces habitudes au bas de la Morgue d’entreposer sur un bateau surmonté d’un pavillon noir par couches les cadavres des assassinés entre des couvertures de paille. Et on traversait toute la ville dans ce foutu bus puant sous les averses, tant il pleut à Bordeaux, avec partout des indondations à cause de ce temps pourri, de ce ciel de là-bas qui crève comme un phlegmon. On y faisait des concours à qui donnerait le plus de métaphores excrémentielles sur sa mère, incarnée comme une matoose, une merdouse. C’était à qui la détaillerait le mieux, filandreuse, émiettée, puant les œufs pourris ou l’acide chlorydrique comme des épinards hâchés, etc. On imaginait comme papoose Dieu son mari, vieux personnage incapable et barbu, grincheux et chieur en diable lui aussi à cause des intempéries qu’il dispersait sur Bordeaux, sans doute recouvert de la farine algérienne, uniquement préoccupé de précipitations aqueuses sur la ville, car Bordeaux est une Indochine, une cuvette malséante et putride.
On avait aussi des chansons pour les quelques grues qu’on tracassait dans le trajet, vendeuses des Noga et autres :
“Pouffiasse du lendemain grise,
Matinée de crise…” ainsi de suite.
Puis il y avait ce voyageur qui riait avec nous, obsédé par les contiguités fécales dont il nous parlait : manger un camembert bien puant assis sur le trône tout en débourrant ; il faisait souvent le trajet en notre compagnie, en imper mastic quelconque, un journal plié à la main.
Date du document : 1976
Ce texte figure dans Quartiers de ON ! paru en 2004 aux éditions Verticales, augmenté de ses étoilements plastiques, inserts et éléments sonores.
Mon unique photo lauréate et prise dans les bois d’Arlac près de chez Soudain (fils de Houdin et de Boudini, originaires de colons du Soudan), cicerone pour la récolte des cicatrices, voilà où je m’enfonce, avec la sale humidité, les graminées coupantes, sans savoir encore si j’ai quelque chose de commun avec le narrateur précédent, gomme qui rit de sa beauté morale et de sa difformité physique. Je me souviens de mon enfance au milieu des essaims d’abeilles d’Abel.
Avec le Rolleiflex, j’avais eu du moins la chance de découvrir “la visée ventrale”, l’appareil chaud tenu sur l’abdomen, comme en venant plus tôt le matin en vélo à Arlac, “l’énorme crabe rouge abstrait” sur un champ de blé de Dufy Dingo dans la revue “A la Page”, et la salle des pas perdus.
Je me rendais là-bas avec ce vélo sur lequel j’avais fixé un guidon étroit, le vent violent plissant la chemise de nylon, poignets vers l’intérieur, position rentrée ; secouée.
Puis au retour chez moi, toute l’eau avait envahi le débarras de l’ancien Couvent où nous logions, alors que je me sentais déjà tellement floué (quoiqu’il en soit, je boulonne !) de n’avoir obtenu, pour toute récompense de mon premier prix de photographie qu’un séjour de quinze jours de nettoyage et de restauration d’une ferme au Kansas où se promettait de m’accueillir un couple super sympa (“...et si vous avez fini assez tôt, vous pourrez vous amuser avec nous à faire les courses le week-end dans le patelin avec toutes les sortes de gens et de commerces typiques, et, pourquoi pas, on pourra même vous offrir une bonne bière !”)
Point d’aboutissement de multiples écoulements et de gouttières romanesques, le débarras, chambre noire, que l’eau inonde. L’eau, l’eau envahit tout comme la révolution des bourgeois charcutiers et marchands de grain l’église St-Pierre et la chapelle du Martyre, l’eau dont le niveau monte depuis les fossés du jardin désolé en contrebas. Heureusement, je trouve un tuyau de plomb qui curieusement surnage, et, le tirant, je retourne un lavabo qui me sert de coque de noix et me permet de pagayer jusqu’à regagner la chaussée.
Chez les Sœurs, on s’affole aussi : tous les Saints flottent.
Date du document : 1978
Ce texte figure dans Quartiers de ON ! paru en 2004 aux éditions Verticales, augmenté de ses étoilements plastiques, inserts et éléments sonores.
J’avais rêvé, en entrant dans le monde de la photographie, de devenir reporter-criminel, mais pour rien au monde je ne voulais finir en tireur commun avec une chaîne cernant les pieds cadenassée autour de la colonne du Durst, comme tous ceux qui travaillaient là-dedans et qui n’avaient même pas le droit d’aller pisser : on leur apportait un pot en plastique (il n’y avait pas de tireuses !), ni même, version luxe, à faire des diapos de fonds de papillons et de fleurs le week-end comme en commettaient le couple Soudain, tellement parfaits, tellement anglo-saxons (or pâle) et tellement cons, avec la sangle de leurs deux Rollei passant en travers de leurs deux Lacoste.
« I doit être tourné vers la Noël, un tel film, un tel crâne de caméra, et y’a des individus glauciers qui mijotent dans le scénario ! »
La caméra est tombée. On va pas la laisser tourner par terre tout l’été. Il ne faut être en retard ni sur le rêve ni sur l’instruction d’une découverte philosophique due à une substance non numérale. On ne peut non plus laisser passer ça sans bouger du pif. Aussi la présence du petit con à mobylette derrière Arlette et moi, sur l’Intendance, face au porche du premier Studio Soudain, m’énerve.
« Qu’est-ce qu’il y a ?
— C’est parce que vous me fixez, je bouge pas. »
J’avais la chance d’être mineur. Je l’ai fixé sans hésiter d’un coup de lame et davantage, un mois plus tard. Qu’on annonce la bonne nouvelle ! Ensuite, on pourrait filmer les inondations. Il y a eu à peine un entrefilet, personne n’a cherché.
Date du document : 1989
Ce texte figure dans Quartiers de ON ! paru en 2004 aux éditions Verticales, augmenté de ses étoilements plastiques, inserts et éléments sonores.
« Qui mourrai-je de quoi ? D’une inattention portée au temps, bonheur attendu de rien, attenant à rien, et dont rien ne peut rendre compte ? D’une simple vasodilatation de l’âme… »
Il était dix-sept heures quarante, de l’autre côté de la Révolution, bord droit, au mois de Mars, et la surface presque chaude de l’herbe de l’Esplanade recevait de grandes tracées d’ombres en rayures sans véhicule.
Sur le bord même de la Révolution, à gauche, sur les terrasses du quai de Calonne interdit aux piétons la nuit, il y avait des accidents en contrebas, à l’endroit du parapet du Château-Trompette en cours de démolition, des brûlots divers (la bête prise, les bleus sans liesse), et le remblais en surplomb etait empli d’un attroupement de citoyens, arrêtés au-dessus de la situation.
Les sans-culottes et les officiers municipaux chassaient les voyeurs venus là d’un double geste énervé des mains, du genre : “Tirez-vous, sales rapaces, agioteurs du malheur !”
Nicolas voyait ça par son fiacre, mais surtout par la fenêtre de droite vers l’Esplanade (qui n’était encore qu’une esquisse au milieu des ruines, un trapèze immense irrégulier et tordu), il observait ces ombres esseulées, sans origine, et se retourna plusieurs fois sur la gauche, de plus en plus vivement, dans le but d’en surprendre les émetteurs fugaces.
Mais il ne vit rien, rien qui soit susceptible de les projeter.
Date du document : 23 Mai 1968
Date du document : 14 juillet 1968
Ce texte fait partie d’une suite dite “Feuilletons !” de 1968 et 1969, ensemble non destiné à la publication, dont nous donnons un fragment.
La tour sombre du sapin, au bout de l’allée.
Nathalie parlait de très loin,
Unie à d’autres difficiles signes
Inclinés, se déversant en limaille.
Propriétés des retours
De rameaux bruissants
Sous les ombres du vent.
Date du document : 1966
Ce texte figure dans Quartiers de ON ! paru en 2004 aux éditions Verticales, augmenté de ses étoilements plastiques, inserts et éléments sonores.
Voici l’exemple d’une des pièces que les Lycéens jouèrent à propos de la Révolution Russe en 1967 au “Théâtre du Styx” qui devait devenir la fameuse roulotte de Sainte-Croix.
Docteur Botkine. Bien sûr, on peut toujours rêver le domaine secret et sain de l’Intelligence. Mais moi c’est pas de la mer Noire où règne Sérapis, dont je veux vous parler, c’est de bien avant Sosso, du temps du plâtre et de la mort du jeune Nicolas.
Domestique Troup. Non, non ! Vous avez perdu ! Vous voyez : l’as de pique est tombé sur le valet de pique. (Il rit) Et donc c’est fini pour Sosso ! Son propre mal a été pire que lui. Cette sorte de variole bureaucratique sévit.
Docteur Botkine. Ce Caton de basoche de Kerensky, où est-il, au fait ? Balayé par Lénine, c’est ça ?
Domestique Kharitonov. Il est rendu à ses asperges vivaces et bleuies, bourré des idées saugrenues d’un généralissime de foire ! Tandis que vous, Docteur, vous voilà encore obligé de vous traîner avec vos maux de reins, et vos pieds gelés sur les fleuves !
Je vais vous parler moi de la mort du père Empereur de l’Industrie, (Macha au fond, en robe noire, s’avance) toujours si digne avec ses pantalons à liseret qui lui affinaient la taille et allongeaient sa silhouette ! Et je vous parlerai aussi du plus petit Alexis Nicolaévitch, inclu comme une matriochka dans le Père Nicolas, cet Industriel Hongrois de Libourne. Ils lui en voulaient parce qu’il était soi-disant du côté des “Blancs”.
Docteur Botkine. C’était pourtant un grand ami des Sales chez qui j’étais souvent, des Inventeurs. De grands Inventeurs et de dignes gens. De bons amis à moi aussi. Ils ne parlaient pas allemand, ils étaient orthodoxes. Le petit-fils fait du cinéma, aujourd’hui.
Macha. Mettons que la vie soit un brouillon, et qu’on recommence. Mais les autres, les Demi-Deuils, les Millions de Marchés, les Installations de Machines à Tortures dans les Instants, les Représailles, non ! Jamais ! Je sais maintenant : il faut éviter tout ce qui glisse et qui caractérise, tout ce qui est crachat et ne se résout pas dans un cri uni. Sinon on se tait, on prend d’autres manières que les siennes, dans la soie ou dans le meurtre, on se résigne. Alors là, la vie serait propre, on recommencerait, on arrangerait une pièce, comme ici, avec des fleurs, une masse de lumière et des petites filles pleines d’espoir.
(Un silence.)
Ce texte figure dans Quartiers de ON ! paru en 2004 aux éditions Verticales, augmenté de ses étoilements plastiques, inserts et éléments sonores.