Séquence Herbeuse n°11
Date du document : 1982
Date du document : 1982
Date du document : 1982
Nous saluons la naissance du boson de Higgs (que certains écrivent X, intersection de l’absolu, tellement ça paraissait l’inconnue nécessaire), la particule-miracle disparue aussi vite qu’apparue, mais du moins confirmée dans ce tremblement. Bon. La communauté scientifique se réjouit. Nous aussi, qui cherchons toujours dans notre mémoire des chiffres en rouge et des choses insignifiantes.
On se retrouve avec Léonard, Léonard et son “poids atomique nul” (bien au-delà de la pure adoration des nymphéas de Monet), ce que Madeleine Hours jadis dénichait : une absence absolue de touche, de trace, une sorte de non-matière dans la posée de la peinture.
Il semblait pourtant voilà moins d’un an, fin septembre 2011, que la vitesse de déploiement d’un spermatozoïde lâché sur une moquette de luxe par un dreyfus d’opérette ou le choix du plus con parmi une liste d’éligibles, soit une grande préoccupation de la misère de l’opinion, plus grande en tout cas que la vitesse de la lumière, dans un monde livré à peu près partout à la guerre civile ; c’est du moins ce que clamait avec une certaine majesté le marchand de journaux d’un kiosque de campagne près de chez moi autour duquel il y avait foule, “ce monde qu’on a perdu où on n’y verra certainement plus clair que lorsqu’on aura étranglé le dernier banquier avec les tripes du dernier trader” ajoutait-il dans une belle envolée paraphrastique ou paraphrénétique.
Mais j’ai eu alors la force de croire que la vitesse du neutrino dans les flancs du CERN relevait de la passion, qui plus est dans le cadre d’une opération surnommée OPERA, avec des ténors qui ont nom Dario Autiero et Antonio Ereditato.
À preuve de la passion, cette centaine et plus d’articles parus à peine après quinze jours de l’annonce des résultats de l’expérience, et les débats chaleureux des scientifiques en radiophonie (les empoignades scientifiques prolongeant directement les courses d’électrons…)
On sentait du reste une réticence, même chez de grands auteurs comme Levy-Leblond, notre spécialiste de l’idéologie de la science, à accepter avec cette utopie une remise en question de la théorie dans ce domaine quantique et extra (“Le quantique, c’est extra !”). Et chez plusieurs de ses collègues arc-boutés, la levée de boucliers donnait l’impression que la particule avait truqué son passage, qu’elle avait saoûlé les photons, histoire de les faire ricocher en désordre contre les murs ou qu’elle avait fait en sorte de les égarer dans le conduit des toilettes. Certains en avaient profité pour remettre en vitrine le chat de Schrödinger en expliquant que d’un côté le neutrino dépassait la vitesse de la lumière, et de l’autre non.
Serait-ce donc aussi que l’idéologie y pleuve ? Car même si elle devait être à peu près infirmée dès le 22 février de cette année, l’expérience OPERA avait été réalisée dans des conditions attentives, et il n’est rien demandé d’autre à la communauté scientifique internationale que de refaire la démonstration dans un sens ou dans l’autre. Alice.
Les Multivers, théorie au moins aussi éparpillante et aussi peu représentable, a fait son chemin depuis 2007 grâce entre autres à Aurélien Barrau, dont le ton ampoulé baroque “lance” lyriquement de belles planètes inconnues pour une soirée digne du Crazy Horse autant que de Chrétien de Troyes, sans pour autant révulser la communauté scientifique.
Idem pour les théories cosmologiques révolutionnaires de Jean-Pierre Luminet, avec ses espaces sans bord, topologie non simplement connexe.
Le neutrino, me direz-vous, c’est une curieuse appellation pour une particule qui part de Suisse ; c’est peut-être de là que venait toute la défiance ; mais n’oubliez pas qu’elle voltige vers le Grand Sasso qui a connu le bonheur de voir passer d’ilustres personnages dans une époque d’Or symbolique avant la catastrophes des usuriers.
“(……)with usura
hath no man a painted paradise on his church wall (……)”
(E. Pound. Canto LXV)
*
Par contre, la théorie du genre, elle, passe bien : c’est tendance et camping. Et pourtant elle ne sert à rien de moins qu’à recouvrir l’innommable. À nous faire croire que l’altérité est une vieille manie et que le même est notre fondement, si j’ose dire.
“Joyau, jouissance de la lumière”, disait le Papy à la houppelande, et aux cigares tordus à la Trinita par la distance critique.
Sur les genres l’expérience scientifique enrichissante, c’est certainement celle sur les drosophiles (comme le Nobel français de cette année), où par mutation génétique on a créé des mouches sans phéromones qui curieusement deviennent “irrésistibles”, même pour les partenaires du même sexe. Et si on rajoute des phéromones à ces “irrésistibles”, plus personne n’en veut !
Les Chinois sont encore plus marrants que la mayonnaise des genres ; ils font dans le mélange des arn : on devient plante, disent-ils, grâce à des micro-arn. Danger des plantes transgéniques mais aussi bien des haricots bouffés dans la chambrée. Les micro-arn rentrent comme information dans notre corps et modifient l’expression de nos gênes. C’est ainsi que l’homme fait encore plus partie de la Nature. Action sur les métabolismes des lipides et notamment les diabètes, etc.
Numéro 1 des Chercheurs : l’Académie des Sciences Chinoises. Harvard n’est plus qu’au 4ème rang !
*
Philipp K. Dick depuis longtemps à cristallisé les théories de Hugh Everett, tandis que nos artistes geigneurs des anneaux franciliens et pas même borroméens produisent des travaux topologiquement lamentables en regard de ça : Orlan à beau se faire charcuter sous toutes les coutures en hommage à Charcot, jamais elle n’atteindra ces dimensions ; elle a beau retourner sa couenne : aucun pli baroque. Rien que l’inévitable moi-peau, un concept purement universitaire aussi réversible que toutes les vestes de Sollers, et lavable comme une capote.
Quant à Buren, notre installateur sur mesure, notre petit décorateur d’intérieur, sa platitude et son humour nous endorment à juste titre (“et toile à matelas !”). Dire qu’on a osé publier ses écrits complets ! Comme si ça pensait !
Toujours, toujours l’opérette.
Bien pire que ça.
Car du moins Offenbach a nourri Rimbaud et Visconti a su y trouver des mélodies sublimes pour le suicide d’un grand Roi.
Jean-Claude Vogel.
Date du document : 12 Octobre 1973
Date du document : 22. 4. 1971
Curieuses, les rencontres sur les blogs : je connais Ronán Pleven par un article lu de lui à l’université de Rennes sur les monnaies romaines, et une analyse des mythes celtiques chez Shakespeare !
L’Internet a ceci d’inquiétant qu’on y trouve les mêmes anecdotes. Je connaissais l’histoire de la fameuse lettre Z qui raZe et qui coupe, que j’ai au moins lue une diZaine de fois, et également celle de la rencontre Vauthier-Maréchal.
Quant au métier de journaliste, c’était une posture, car Maurice Roche était lui-même un journaliste (même s’il préférait dire “reporter”, ou mieux encore “globe-trotter”), et il en tirait encore quelques subsistances dans les années 80. Moi je voudrais plutôt parler de Maréchal.
Vous avez raison de parler du rapport entre De Funès et Novarina, car même si ce rapport m’avait échappé, c’est évident que Novarina est un grand comique, et c’est bien lui qui a écrit un ouvrage sur De Funès en 86, si je me trompe pas. C’est du reste à ce moment-là qu’il a été connu d’un plus large public.
Vous parliez aussi du lien entre Maréchal et Vauthier ; il faudrait parler de celui entre Maréchal et Novarina. Notamment avec l’Atelier Volant, dont je possède encore le manuscrit original. J’avais assisté à son Falstaffe avec Jany Gastaldi au Théâtre du Petit Odéon (en 1978 ?), et un suisse un peu fat, assez gras (l’air d’un poussah décadentiste et plutôt gynécologue), prononça devant moi à la sortie cette énigme : “Octave Mirbeau !” Rien d’autre. Je ne compris pas. Aujourd’hui je me demande toujours à quoi il pensait : à celui qui quitte les métiers dès qu’ils sont pénibles, aux Vingt et un Jours d’un neurasthénique ?, à sa tragédie populaire ?
Malgré son titre de Falstaffe, Novarina n’a absolument rien d’Élizabethain. Vous avez raison de citer Jean Vauthier, mais il ne faut pas oublier Michel de Ghelderode. Je fais partie de ceux qui ont eu la chance de voir à Gand la représentation de Fastes d’Enfer, et c’est sans doute dans son mélange d’horreur et de bouffonerie, quelque chose de tout à fait extraordinaire.
Avec Jan in Ereme qui sort de la mort pour recracher l’hostie empoisonnée. Il faut dire que le Moyen-Âge est plus présent en Belgique que chez vous.
Pour faire contrepoids, il faut voir aussi toutes ses pièces pour marionnettes, comme Le Massacre des Innocents, par exemple, ou Le Siège d’Ostende, pour en savourer toute la puissance de révélation historique.
Et ça n’est pas du tout un théâtre de langage comme Novarina, c’est un acte de magie et d’incorporation.
Ainsi, quelqu’un parlait de “nouveau théâtre de boulevard” de façon péjorative à propos de Novarina, ce qui n’est pas totalement faux ; je penserais à de très bonnes pièces américaines qui jouent sur ce registre-là et sur Broadway, puis également à Obaldia, Ionesco, qui n’en sont pas si loin. C’est du “théâtre de chambre” plutôt, comme Dubillard. Mais dans un genre tout à fait lacanien, une chambre d’échos. Nous sommes très proche de Dubillard et des Shadoks.
Mais en tout cas on n’est pas dans le registre tragique : ni l’Élizabethain, ni le siècle d’or Espagnol. Nous ne sommes pas non plus avec le Baladin du Monde Occidental ni avec Kleist et pas tellement avec Vauthier, contrairement à ce que vous dites, beaucoup plus tragique que ça. Le clown Bada pourrait être traité par Visconti.
Qu’on songe plutôt aux recherches abracadabrantes du non-humain, chez Audiberti. Un homme débarassé de la chair, pour qui seul compte le jeu.
Le lingouisme de Falstaffe (“Juste la langue, madame la gouine !” : cette phrase ne vient pas de Novarina ; autre conception), n’est pas le tragique de Bada, et encore moins des Bonnes. Comme il y a du tragique chez Dubliner’s, qui transparaît encore un peu dans Ulysse et disparaît dans l’effroyable logique de Finnegan’s Wake : on est par contre dans la douce sussurance liturgique si chère à Sollers dans quelques-uns de ses meilleurs ouvrages : H, ou Paradis.
Les glouglous du dindon chrétien (je me souviens de Novarina espérant le four du Claudel à Avignon, comme si c’était un rival) ne sont pas ceux de Claudel : Claudel claudique ; ce n’est pas Cloclo. Il a du bois, du métal et de l’os. Tête d’Or, par exemple est un capharnaüm de matières hétéroclites ; c’est tout sauf de l’agréable musique de langue. Comme il y a des trous pas seulement glottiques chez Artaud : des trous de cigarettes comme ses sorts, ces brûlures de cigarette trouant ses dessins équivalant à des tortures sur le corps, ou comme les coups de poinçon qu’il ne cessait de donner sur les billots de bois après sa sortie de Rodez.
Le lingouisme s’affouine et la langue s’infirme.
Maurice Van de Guelde
Date du document : Du 4 février au 13 Avril 2012
Date du document : 2012
Ce portrait-là est rempli d’une description impeccable, d’une trame tellement recroisée dans ses traits de burin qu’elle échappe à elle-même ; et va se “répandre une volupté comme d'un lit défait... ”.
Elle est digne des portraits de femmes faits par Plossu, quelque chose de très attentif et de très rapide, une voyance en coin d’œil, un entrevu foudroyant, et d’autant plus précis que le regard n’insiste pas, n’écrase pas la personne considérée, elle incipit : “Elle commença son récit en baissant le visage sur son bol vide”. Ce n’est pas non plus la parodie de La vierge au bol en Thimotina Labinette : rien de caustique ni de cynique.
La première phrase pourrait venir d’un Chant de Maldoror : “Le rictus amer d'une femme étrusque au nez presque droit, les cheveux bouclés en masse le long de l'oreille cachée par des sortes de lauriers pour retenir la chevelure glissante ; un œil pour finir mais conquérant, voilà telle qu'elle m'apparut au lever du jour, passant devant ma maison, seule sur la route déserte et marchant.”
Oh, oui certes, Roussiez est plein de vies et d’époques diverses, et plus ça va plus je crois (c’est-à-dire j’applaudis) à cette hantise des temps chez lui. On parle toujours dans les fictions et chez les parapsychologues de “vies antérieures”, et jamais des vies postérieures, or les époques apparaissant chez Roussiez sont des époques rabotées, devenues parfaites pour l’emboîtage et projetées en perspective ; Roussiez est un menuisier du temps. Son moyen-âge futur est un moyen-âge nettoyé. Peut-être que l’Éternel Retour c’est ça.
Avec obstination et douceur, cette description, effectivement, ce commentaire. “Je vous aime”, voilà ce qu’il dit, je vous aime. Scorsese ne dit pas ça, mais Cassavettes le dit, et Bruno Dumont, et Bernard Plossu.
On avance dans son texte qui ne sent pas le roussiez comme à travers les laies d’Un balcon en Forêt. Avec ces répétitions que le pseudo-pur styliste enlève mais que Gracq conserve en pierres de soutien latérales du chemin, car avec ça il fore, il avance, il troue la forêt dans ce grand vortex, cette spirale du temps.
O. N.
Avec obstination
(hommage à Krleza)
Le rictus amer d'une femme étrusque au nez presque droit, les cheveux bouclés en masse le long de l'oreille cachée par des sortes de lauriers pour retenir la chevelure glissante ; un œil pour finir mais conquérant, voilà telle qu'elle m'apparut au lever du jour, passant devant ma maison, seule sur la route déserte et marchant. C'est son profil qui me frappa et c'est pourquoi je me levai rapidement pour faire sa connaissance. Il était tôt et il ne fallait pas l'effrayer, aussi laissais-je mon chien filer au devant d'elle pour l'accueillir. « Mais pourquoi se rictus amer » lui demandais-je plus tard lorsqu'elle eut accepté un bol de café. « J'ai quitté des lieux sombres où le temps ne passait pas, la pourriture chaude m'a éloignée et je marche pour me défaire d'une sorte de boue... Je vivais dans une ville aux lourdes colonnes et aux temples sobres ; la vie y était sereine, tranquille, pétrie d'habitudes et de calme. C'était une vie sans calcul qui se déroulait comme il convient sans malheur excessif, ni joie intempestive. On y disait les paroles qu'il fallait : va donner aux poules et aux lapins, ou bien : la vie n'est pas vaine qui s'accomplit chaque jour. Un beau jour on mourait et nous étions en deuil ; les cérémonies étaient courtes et sincères sans faste ni larmes abondantes... » Ses traits étaient doux et son regard puissant, les formes de son cou, de ses épaules et de ses bras, étaient rondes et agréables comme remplies d'une chair ferme et chaude qui venait sourdre de la peau et répandre une volupté comme d'un lit défait...
lire la suite…
Date du document : Après 1984. Expo URDLA Printemps 2012
L’utilisation des langes, en dehors de la gravure fait également référence à La Vie de Jésus en arabe, parmi les Écrits apocryphes chrétiens.
NDLR
Est-ce Public Image Limited et Lydon qui m’ont appris quelque chose de nouveau sur Michel Foucault ? Non.
Un Lindon Chasse l’Autre
J’ai été heureux une seule année à l’école, et récemment d’apprendre grâce à Lindon que Michel Foucault avait attrapé le sida dont il était mort en taillant une pipe sans protection à un étudiant aux États-Unis. Plus encore que Samir Nasri quand Raymond Domenech a perdu son travail. C’est vrai que la face du monde en eut été changée s’il s’était fait enculer sur un tabouret en lisant Ce qu’aimer veut dire, de Lindon (ouvrage bourré des anecdotes autour des écrivains tellement délicieux qui fréquentaient les éditions de pâpâ), ou telle autre variante de posture.
Il est ravi nous sommes ravis vous êtes ravis ils sont ravis, Passé composé j'ai été ravi tu as été ravi il a été ravi nous avons été ravis vous avez été ravis… (Est-ce du Quint-Âne ? Non, ce serait plutôt : “J’ai été contente.” et “J’étais contente.” C’est du pur Net.)
On apprend aussi que Foucault n’était pas un second père. Ouf !
Cela est aussi passionnant que les souvenirs d’enfance dudit Lindon ou jadis le texte Enculade comme si vous y étiez, paru aux mêmes éditions de Minuit, de Denis Jampen, bien connu ici à Nantes (Burroughs revu francité mièvre, urine de banlieue et zone de lisière), ou que les détails de la diététique de Robert Matzneff, obsédé par le tri sélectif des moins de seize ans.
C’est la plus belle vision qu'on puisse avoir de l’œuvre de Foucault, qui resterait sans cela absolument incomprise, et on ne peut plus aprocher le génie de Naissance de la Clinique sans cette clé. De ce fait l’ouvrage Ceci n’est pas une pipe ! de 1973 (l’année du texte de Jampen), s’en trouve illuminé a posteriori !
C’est quelque chose d’essentiel et pas du tout d’ordurier, ni de proche de ce qu’aurait pu écrire Minute ou dire Jean-Marie Le Pen. Non, C’est la Pine ! C’est vraiment, ressenti, profondément. C’est du Connan vrai breton. Humain, pédagogique, descriptif, narratif, incisif, physiologique, aussi bon qu’Amélie Nothomb.
J’espère qu’avec l’accélération et l’amplification des moyens numériques et leur possiblité du reportage en direct, nous pourrons assister à l’agonie de Mathieu Lindon : s’il se faisait tout à coup empaler de force, il aurait le réflexe de nous retransmettre ça en direct en branchant son portable ; il nous donnerait immédiatement ses sentiments jusqu’à la dernière seconde, que l’on connaisse à vif son intériorité grâce à cette morsure par l’ourlet. Quel enseignement, quel prestige ! Et la littérature en sortira grandie, encore une fois.
J. F. Inlande. Nantes.