Les errances d'Ulittle Nemo - Os de Poésie de Nycéphore

Date du document : Après 1984

Enfin une saison ! Ça faisait longtemps ! Saluons-la ! Où va Ulysse il y fait froid : lucarne ouverte de l’atelier, soudain très sombre ! La pluie très forte, comme sur le plafond, sur les désespoirs de poète et le muguet fâné. Il est sur nos genoux, le gros chat, le griboux, à articuler ses pluriels.
Rue Charlot, Tour du Temple : les jeunes filles du matin, font tournoyer le dé de cristal triomphant du printemps dans la violence du zapateado.
Je me souviens, rage étrangère à la France, d’un pays de tartes welshes, confitures, avec une langue rauque qui vocifère ; je n’ai jamais voyagé qu’une seule fois dans des cafés enclos par de minuscules ruelles, et vu grâce à cela des splendeurs baroques.

C’est magnifique : on attend la neige ou la guerre, l’attaque des Aigles, les oiseaux noirs passant comme des obus ; dans la guitoune à gaufres face au manège, dans un moment d’émotion pure, Eva laisse une rose devant la porte, portique de lueurs fameuses à travers les larmes ou la pluie…
Heureusement immérité argent éblouissant et souvenances du futur : boules de neiges dans l’azur et de noirs klaxons dans les rues ; glacis de grâce où les œillets de neige vont,

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Ce poème en versets détaille beaucoup d’aspects de Bordeaux. Nous le dédierons en particulier aux deux amis Didier Morin et Bernard Plossu (qui a aimablement revisité et photographié les quartiers des États du Monde). Tous deux grands voyageurs comme Ulittle Nemo. Curieusement j’y ai retrouvé des souvenirs d’Arras en 1986 proches des images de Plossu et cette litanie incantatoire aussi qui est une sorte d’absolu pour lui :“On continue !”
Nous le dédierons aussi à Alain Vallet, d’une Tribu gitane.
O. N.

Publié le 10 octobre 2021 dans texte OGR document

Les Marcheurs - Prologue de Histoire Deux

Date du document : 1978

LES MARCHEURS

À l’Omphalos les Anges viennent sans maquillage
Et se dissolvent au bord des quais
Avec des fleurs dans les cheveux,
Vers la Montagne du Temple, toit de mains réunies ;
Le Temple en carton peint,
Le Palais-Gallien,
Le cortex de cristal, le total de colonnes.

Les Séraphins de Delphes tournent la mie de pain entre leurs doigts
Et la luplissent de lumière.
L’Archange Saint-Michel, cuivre qui résonne, hanche souple,
Vient avec son Bronica
Pour prendre la première photo de la phemme du Dieu de Delphes

Et du python qu’elle y a tué :
“Hatu Berato Niktu !”
De bon commencement je n’en connais guère
(“C’était la guerre.”).

Présent : hypotyposes et orichalque !
Aux Chérubins inflammatoires l’éblouissement
De l’addition des couleurs à travers leur corps prismatique ;
Puis cette somme illunescente de bruits et de rubis fond...
Et la trace en buée à son tour se dissout
Avec les derniers bateaux glissant sur les artères.

“Voici les Trois Grands : le Cœur, le Poumon, le Rein !”
Jésus devant concombres et tomates
Sous les arbres.
« Zénon, est-ce moi qui t’ai fait tomber ? »

On traîne d’une allée marchande à l’autre
Au milieu des enseignes numineuses
(Grenadine des garages et menthe des pharmacies).
“Est-ce le Seigneur ou un Ange, je ne sais pas.”

Des jougs, des âges et des charrues ;
Et ce qui vaut pour le village de Lavoux
N’est pas sans intérêt pour la France.

Tout le groupe est parti dans cette idée à Dijon
Sur les traces d’Aloysius à travers les rues
Le mercredi, et le chien venait de mourir ;
On a rapporté les paroles de Jésus en ville :
“J’ai essayé, on peut.”, ou
“Mon fils sera violoniste.”

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Les Marcheurs sont le prologue poétique du recueil de Nouvelles & Petits récits nommé Histoire Deux.

Ce recueil (dont des extraits figurent dans Quartiers de ON !), daté de 1984, présente plusieurs tableaux de l’Antiquité à la Renaissance dans une version rejouée, célébration parodique ou reprise de cauchemar.

Publié le 8 octobre 2021 dans texte OGR document

Denis Roche n'est pas mort et Maurice est toujours là !

Date du document : 2021

Denis Roche n’est pas mort, même si la plupart du temps il vit dans une pièce plongée dans une semi-obscurité ; il ne s’agit pas vraiment d’une salle à manger, mais d’une simple pièce carrée entourée de dressoirs avec de grands compotiers où murissent des fruits.

Cette semi-obscurité me fait penser au mythe entretenu à propos de James Dean dans plusieurs biographies de l’acteur, et dont Denis m’avait parlé : ses fans prétendaient qu’il était toujours vivant après son accident automobile mais qu’il avait à peu près perdu la raison et qu’on l’avait dissimulé dans la maison d’un petit village où on pouvait l’apercevoir avec des jumelles à travers les lames des volets, assis et tremblant de tous ses membres.

Rien de la sorte avec Denis dans cette pièce de recueillement où il reste assis souvent à méditer. D’autres fois il dresse sa haute stature dans l’ombre, avec sa chevelure bouclée et il me raconte des anecdotes toujours drôles : il n’a rien perdu de son humour. Par exemple il prend un cure-dent et fait semblant de perforer des saucissons qui pendraient du plafond pour les goûter, comme dans cette séquence qu’il aime tant de La Stratégie de l’araignée. Quand il me parlait de ce film autrefois il me disait qu’à ce moment-là toute la salle de cinéma “sentait le saucisson mûr”.

C’est Françoise Peyrot qui veille toujours aussi amoureusement sur lui ; de là cette sorte de certitude bienheureuse qu’il a acquise. Peut-être plus calme qu’auparavant. Il ne fume plus ces Craven rouge dont Bernard Plossu aussi a gardé le souvenir des matins dans la petite pièce sous les toits rue Jacob. (On a perdu les parfums des tabacs : l’Amsterdamer, le Gris et le Caporal Supérieur des ancêtres, le Virginia des étudiants ou le Semois corsé des Ardennes d’Arthur. Plaisir de fumer un Partagas dans un fumoir, à Bruges.)

Il a marqué d’un signe de tête son assentiment pour ce que nous étions en train de faire ; enfin, quand je dis nous, il s’agit plutôt de Didier. Il trouve un vrai mérite à la singularité de son entreprise.

Assis sur une belle chaise cannée, il m’a montré une liasse de textes inédits.

« Tu les reconnais, m’a-t-il dit ?
— Oui. »

En rêve on reconnaît infailliblement un matériau énigmatique qui serait pourtant impossible à définir.

À présent il poursuit l’écriture de ce recueil ; il a tout le temps qu’il faut pour mettre au point cet embranchement oublié, car c’est une autre orientation préalable à la déprédation qui l’a conduit au Mécrit, qui date, me semble-t-il dans le rêve, de Miss Élanize. Jusque-là il travaillait avec une sorte de culte apparent de la paresse, qui n’était que la préparation de l’emportement, la fulgurance soudaine. À présent qu’il dispose de tout son temps, forcément l’écriture est d’un autre ordre.

Il fait toujours l’éloge de Bernard Plossu comme il le faisait dans son bureau dans les années 70 en me parlant de ce type extraordinaire dont j’ignorais absolument tout alors et qui réussissait à vivre de sa double passion : le voyage et la photographie. Et il a toujours un très fin goût culinaire.

L’appartement où il se trouve communique avec celui où demeure Maurice Roche, tellement bien que j’ai commis une erreur une fois et que j’ai fait habiter Maurice rue Henri Barbusse alors qu’il demeure dans un tout autre quartier. Leurs immeubles font partie des 500 logements construits par Haussmann qui communiquent secrètement entre eux. Jules Romains a parlé du mystère de ces passages secrets entre les appartements parisiens, et plus tard Aragon a repris cela.

En vérité Maurice n’habite pas un appartement mais une chambre de bonne au dernier étage d’un immeuble ; ces combles appartiennent à une collectionneuse d’amants dont Maurice fait partie ; il nous avait parlé de cela lorsque nous projetions d’écrire ses mémoires ; ils sont tous rangés à l’étage dans une chambre semblable avec un numéro et elle va les cueillir à tour de rôle ; Maurice a le numéro 13 : pas de bol !

O. N.

Publié le 9 mai 2021 dans texte billet

La Grosse. Monologre - (extrait des États du Monde)

Date du document : avant 1984

Ceci est un extrait du Monologre de La Grosse dans les États du Monde ; à la fois Voix et Figure essentielle de la Cosmologie. Il y a deux Grosses en réalité : la Super-Grosse, Fernande, dite Magdalena puis Hermana, la dernière de ses sœurs, qui est aussi Héra, Tante Pim, Moby Dick et sa réincarnation en La Estrella chez Cabrera Infante, etc… C’est à la mort de Fernande qu’Hermana prend sa place, grossit encore un coup, et reprend son numéro de cirque. Son Monologre, long d’à peu près trois cents pages traverse toute la Cosmologie, réparti en plusieurs quartiers.

À chaque tranche, le ton change, les images, les références (passant par plusieurs guerres, entre autres), et la dernière tranche finit par un émiettement, un ressassement plus court (derniers sillons du disque, dernières lignes de la spirale obsessionnelle) de la plupart des noms de la Tribu Zeusteiner, feuilletés avec des photographies. L’extrait qui suit est le deuxième morceau du Monologre qui fait dans son ensemble surtout référence à deux enfants morts à deux générations d’intervalle : Lulu, fille d’Hermana, et Didier, son petit-fils (bien que les générations ne veuillent pas dire grand’chose là-dedans), ainsi qu’à tous les enfants morts du Quartier Saint-Michel. Les autres morts évoqués sont Fernande et son premier amour Prosper, l’homme au “suicide polygraphique” (rasoir + poison + noyade + révolver), puis les Ancêtres : Baptiste, le carrieur de pierres au mouchoir fin et à la face blème, Pierre de Nérac, etc.

O. N.

Camps de Concentration 1939-45
Mort de Didier 1949. Mort de l’Abuela 1950
“C’était l’Hiver, je m’en souviens, tout s’est précipité : Didier le pauvre petit venait de mourir, Marie avait la tremblôte et je t’avais amené chez Michaud, l’oculiste. Schelley m’a dit : “Vous êtes allées chercher le plus con sur la place de Bordeaux ; tout juste bon à soigner les nègres !” Il voulait te faire des piqûres de lait autour de l’œil ! “C’est un con ; il a traité que des canaques parce qu’ils osaient pas se plaindre, dans la brousse !” Il m’envoie chez Nicolas, à l’Abbé-de-l’Épée, près des Sourds & Muets. En plein Hiver ; ça neigeait à grosses bourres, on patinait sur la Devèze ; même les gosses laissaient des traces.

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Publié le 25 novembre 2020 dans texte Cosmologie Onuma Nemon