Inventaire

Petites proses inédites de Joël Roussiez

Date du document : 2020

Derrière la vitre de la maison (raga Durga, P. Istrati)

Le jour se lève enfin, sous les rafales de pluie, la lumière s’adoucit et doucement s’éclaircit alors que le vent se calme un peu en remuant les feuilles qui tombent et tournent loin au-dessus de la prairie, portées par les souffles intermittents qui passent ou s’enfuient… La fuite se propage au solitaire comme l’escapade à l’homme qui vieillit et le voyage entrevu comme une croisière mouvementée tente une jeune mère à la fenêtre de la maison. Elle regarde le remuement des branches et les feuilles qui s’envolent : je partirai un jour et que ce soit dans la tempête sera très amusant… Elle relève ses cheveux pour dégager son regard, elle observe dans le vague un petit buisson déraciné qui roule par à-coups dans l’herbe malmenée. Le vent pousse devant lui et l’âme le suit… Sur un lit de fleurs, je dormirai, écoutant les oiseaux de la prairie, les cailles, les perdrix…

Derrière la vitre de la maison est extrait de Voyager Sans Partir (non publié),

Invitation des fleurs de Invitation Des Fleurs (non publié).

Souvenir Anatolien ne fait pas partie d’un volume constitué.

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Publié le 30 octobre 2021 dans texte DAO document

Rien !

Date du document : après 1984

Rien ! devrait se lire en deux respirations, pour bien sentir le souffle. D’abord le I, ensuite le II et le III. Ça se parcourt en trois heures, une écriture facile, pour les pauvres. Tout ou Rien. Pas plus de clé ici qu’ailleurs ; rien que les contours d’un style.

Rien ne s’oppose plus à ce Rien ! que le fait que de nier, sinon peut-être pour les humiliations multiples des cauchemars qui n’auront pas de fin. La fuite animale, la disparition, le désir absolu de se fondre et qu’on ne nous remarque pas, sont du côté de la passivité, une passivité devant un beau geste, un paysage exaltant, un point d’acupuncture juste, une musique évidente. Ça ne contredit en rien notre violence irrémissible, qu’on se rassure !

Rien ! fait partie du continent HSOR de la cosmologie, lié aux HiStOiRes du temps. Aussi bien vrac théorique, pédagogique, cartes du territoire, journaux, mémoires grises & noires… La plus grande partie est seulement à consulter plutôt qu’à publier .

Rien ! concerne cette fin planétaire dont j’ai parlé dans Mettray. Mémoires du temps, des autres, sans trop d’épanchements (le genre de penchement en avant qui fait qu’on tombe, et qu’il nous faudrait des pansements tout de suite), pas du tout sous une forme romanesque mais par fragments successifs comme l’ensemble de la Cosmologie ; peut-être un peu plus linéaire ; ça s’est entassé de la même façon, peu à peu par séquences au fur et à mesure des années pour être rebrassé à la fin.

C’est la fin de quelque chose, le bout de l’impasse, une conclusion, le constat sur une vie : être passé de la Tribu des moins-que-rien à rien, ce qui n’est pas rien. C’est un couteau tragique, une bonne coupure. Et une condensation.

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Publié le 19 octobre 2021 dans texte HSOR document

Les errances d'Ulittle Nemo - Os de Poésie de Nycéphore

Date du document : Après 1984

Enfin une saison ! Ça faisait longtemps ! Saluons-la ! Où va Ulysse il y fait froid : lucarne ouverte de l’atelier, soudain très sombre ! La pluie très forte, comme sur le plafond, sur les désespoirs de poète et le muguet fâné. Il est sur nos genoux, le gros chat, le griboux, à articuler ses pluriels.
Rue Charlot, Tour du Temple : les jeunes filles du matin, font tournoyer le dé de cristal triomphant du printemps dans la violence du zapateado.
Je me souviens, rage étrangère à la France, d’un pays de tartes welshes, confitures, avec une langue rauque qui vocifère ; je n’ai jamais voyagé qu’une seule fois dans des cafés enclos par de minuscules ruelles, et vu grâce à cela des splendeurs baroques.

C’est magnifique : on attend la neige ou la guerre, l’attaque des Aigles, les oiseaux noirs passant comme des obus ; dans la guitoune à gaufres face au manège, dans un moment d’émotion pure, Eva laisse une rose devant la porte, portique de lueurs fameuses à travers les larmes ou la pluie…
Heureusement immérité argent éblouissant et souvenances du futur : boules de neiges dans l’azur et de noirs klaxons dans les rues ; glacis de grâce où les œillets de neige vont,

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Ce poème en versets détaille beaucoup d’aspects de Bordeaux. Nous le dédierons en particulier aux deux amis Didier Morin et Bernard Plossu (qui a aimablement revisité et photographié les quartiers des États du Monde). Tous deux grands voyageurs comme Ulittle Nemo. Curieusement j’y ai retrouvé des souvenirs d’Arras en 1986 proches des images de Plossu et cette litanie incantatoire aussi qui est une sorte d’absolu pour lui :“On continue !”
Nous le dédierons aussi à Alain Vallet, d’une Tribu gitane.
O. N.

Publié le 10 octobre 2021 dans texte OGR document

Les Marcheurs - Prologue de Histoire Deux

Date du document : 1978

LES MARCHEURS

À l’Omphalos les Anges viennent sans maquillage
Et se dissolvent au bord des quais
Avec des fleurs dans les cheveux,
Vers la Montagne du Temple, toit de mains réunies ;
Le Temple en carton peint,
Le Palais-Gallien,
Le cortex de cristal, le total de colonnes.

Les Séraphins de Delphes tournent la mie de pain entre leurs doigts
Et la luplissent de lumière.
L’Archange Saint-Michel, cuivre qui résonne, hanche souple,
Vient avec son Bronica
Pour prendre la première photo de la phemme du Dieu de Delphes

Et du python qu’elle y a tué :
“Hatu Berato Niktu !”
De bon commencement je n’en connais guère
(“C’était la guerre.”).

Présent : hypotyposes et orichalque !
Aux Chérubins inflammatoires l’éblouissement
De l’addition des couleurs à travers leur corps prismatique ;
Puis cette somme illunescente de bruits et de rubis fond…
Et la trace en buée à son tour se dissout
Avec les derniers bateaux glissant sur les artères.

“Voici les Trois Grands : le Cœur, le Poumon, le Rein !”
Jésus devant concombres et tomates
Sous les arbres.
« Zénon, est-ce moi qui t’ai fait tomber ? »

On traîne d’une allée marchande à l’autre
Au milieu des enseignes numineuses
(Grenadine des garages et menthe des pharmacies).
“Est-ce le Seigneur ou un Ange, je ne sais pas.”

Des jougs, des âges et des charrues ;
Et ce qui vaut pour le village de Lavoux
N’est pas sans intérêt pour la France.

Tout le groupe est parti dans cette idée à Dijon
Sur les traces d’Aloysius à travers les rues
Le mercredi, et le chien venait de mourir ;
On a rapporté les paroles de Jésus en ville :
“J’ai essayé, on peut.”, ou
“Mon fils sera violoniste.”

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Les Marcheurs sont le prologue poétique du recueil de Nouvelles & Petits récits nommé Histoire Deux.

Ce recueil (dont des extraits figurent dans Quartiers de ON !), daté de 1984, présente plusieurs tableaux de l’Antiquité à la Renaissance dans une version rejouée, célébration parodique ou reprise de cauchemar.

Publié le 8 octobre 2021 dans texte OGR document

Denis Roche n'est pas mort et Maurice est toujours là !

Date du document : 2021

Denis Roche n’est pas mort, même si la plupart du temps il vit dans une pièce plongée dans une semi-obscurité ; il ne s’agit pas vraiment d’une salle à manger, mais d’une simple pièce carrée entourée de dressoirs avec de grands compotiers où murissent des fruits.

Cette semi-obscurité me fait penser au mythe entretenu à propos de James Dean dans plusieurs biographies de l’acteur, et dont Denis m’avait parlé : ses fans prétendaient qu’il était toujours vivant après son accident automobile mais qu’il avait à peu près perdu la raison et qu’on l’avait dissimulé dans la maison d’un petit village où on pouvait l’apercevoir avec des jumelles à travers les lames des volets, assis et tremblant de tous ses membres.

Rien de la sorte avec Denis dans cette pièce de recueillement où il reste assis souvent à méditer. D’autres fois il dresse sa haute stature dans l’ombre, avec sa chevelure bouclée et il me raconte des anecdotes toujours drôles : il n’a rien perdu de son humour. Par exemple il prend un cure-dent et fait semblant de perforer des saucissons qui pendraient du plafond pour les goûter, comme dans cette séquence qu’il aime tant de La Stratégie de l’araignée. Quand il me parlait de ce film autrefois il me disait qu’à ce moment-là toute la salle de cinéma “sentait le saucisson mûr”.

C’est Françoise Peyrot qui veille toujours aussi amoureusement sur lui ; de là cette sorte de certitude bienheureuse qu’il a acquise. Peut-être plus calme qu’auparavant. Il ne fume plus ces Craven rouge dont Bernard Plossu aussi a gardé le souvenir des matins dans la petite pièce sous les toits rue Jacob. (On a perdu les parfums des tabacs : l’Amsterdamer, le Gris et le Caporal Supérieur des ancêtres, le Virginia des étudiants ou le Semois corsé des Ardennes d’Arthur. Plaisir de fumer un Partagas dans un fumoir, à Bruges.)

Il a marqué d’un signe de tête son assentiment pour ce que nous étions en train de faire ; enfin, quand je dis nous, il s’agit plutôt de Didier. Il trouve un vrai mérite à la singularité de son entreprise.

Assis sur une belle chaise cannée, il m’a montré une liasse de textes inédits.

« Tu les reconnais, m’a-t-il dit ?
— Oui. »

En rêve on reconnaît infailliblement un matériau énigmatique qui serait pourtant impossible à définir.

À présent il poursuit l’écriture de ce recueil ; il a tout le temps qu’il faut pour mettre au point cet embranchement oublié, car c’est une autre orientation préalable à la déprédation qui l’a conduit au Mécrit, qui date, me semble-t-il dans le rêve, de Miss Élanize. Jusque-là il travaillait avec une sorte de culte apparent de la paresse, qui n’était que la préparation de l’emportement, la fulgurance soudaine. À présent qu’il dispose de tout son temps, forcément l’écriture est d’un autre ordre.

Il fait toujours l’éloge de Bernard Plossu comme il le faisait dans son bureau dans les années 70 en me parlant de ce type extraordinaire dont j’ignorais absolument tout alors et qui réussissait à vivre de sa double passion : le voyage et la photographie. Et il a toujours un très fin goût culinaire.

L’appartement où il se trouve communique avec celui où demeure Maurice Roche, tellement bien que j’ai commis une erreur une fois et que j’ai fait habiter Maurice rue Henri Barbusse alors qu’il demeure dans un tout autre quartier. Leurs immeubles font partie des 500 logements construits par Haussmann qui communiquent secrètement entre eux. Jules Romains a parlé du mystère de ces passages secrets entre les appartements parisiens, et plus tard Aragon a repris cela.

En vérité Maurice n’habite pas un appartement mais une chambre de bonne au dernier étage d’un immeuble ; ces combles appartiennent à une collectionneuse d’amants dont Maurice fait partie ; il nous avait parlé de cela lorsque nous projetions d’écrire ses mémoires ; ils sont tous rangés à l’étage dans une chambre semblable avec un numéro et elle va les cueillir à tour de rôle ; Maurice a le numéro 13 : pas de bol !

O. N.

Publié le 9 mai 2021 dans texte billet

Des Portes du Paradis à l’Enfer

Date du document : 1959-1970

On est passé des Portes du Paradis, ce roman d’Andrzejewski écrit d’une seule phrase de plus de cent pages sans ponctuation, qui raconte la Croisade des Enfants, ouvrage paru en 1959 en Pologne, ce pays dont Guyotat est si proche par sa mère, à la longue phrase de Eden, Eden , Eden, paru en 1970.

Stanislaw Brzezinski. Cerisy.

Des Portes du Paradis à l’Enfer
Des Portes du Paradis à l’Enfer

Publié le 25 novembre 2020 dans texte DAO

Eco, extrait de Crampes

Date du document : 1976-1978

Eco

Patatras ! Monsieur Loyal, déséquilibré sur un coup de freins soudain, se relève en arc en basculant sur les talons vers l’arrière et en replongeant se réenfonce d’autant plus dans l’Asile Exotique de la Donzelle de Feu le Colonel qu’il prend toujours pour Sainte Thérèse de l’Enflant Iesos, où elle le dissocie de son désir, du filet de sa voix et de toutes ses humeurs d’un coup ! Du costume de Mr Loyal les étoiles tombent tout à trac et les rayures se mélangent : catastrophe.

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Le texte Eco est un extrait du volume de Crampes (1976-1978), qui raconte les “aventures réduites” (souvent contemplatives) des descendants à la cinquième génération des enfants naturels d’Ossip le Tzigane, un des Quatre Grands Ancêtres de la Cosmologie (comme les Quatre Cavaliers de l’Apocalypse). Ils sont tous d’âges différents, de l’Enfance à l’Adolescence et se sont dispersés après la mort de Jo, un des descendants de Jean-Baptiste, lui-même un des fils d’Ossip. Jo, figure patronymique de la Troupe de Cirque sur les bords de l’Ourcq.

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Publié le 25 novembre 2020 dans texte dessin et gravure OGR edition

La Grosse. Monologre - (extrait des États du Monde)

Date du document : avant 1984

Ceci est un extrait du Monologre de La Grosse dans les États du Monde ; à la fois Voix et Figure essentielle de la Cosmologie. Il y a deux Grosses en réalité : la Super-Grosse, Fernande, dite Magdalena puis Hermana, la dernière de ses sœurs, qui est aussi Héra, Tante Pim, Moby Dick et sa réincarnation en La Estrella chez Cabrera Infante, etc… C’est à la mort de Fernande qu’Hermana prend sa place, grossit encore un coup, et reprend son numéro de cirque. Son Monologre, long d’à peu près trois cents pages traverse toute la Cosmologie, réparti en plusieurs quartiers.

À chaque tranche, le ton change, les images, les références (passant par plusieurs guerres, entre autres), et la dernière tranche finit par un émiettement, un ressassement plus court (derniers sillons du disque, dernières lignes de la spirale obsessionnelle) de la plupart des noms de la Tribu Zeusteiner, feuilletés avec des photographies. L’extrait qui suit est le deuxième morceau du Monologre qui fait dans son ensemble surtout référence à deux enfants morts à deux générations d’intervalle : Lulu, fille d’Hermana, et Didier, son petit-fils (bien que les générations ne veuillent pas dire grand’chose là-dedans), ainsi qu’à tous les enfants morts du Quartier Saint-Michel. Les autres morts évoqués sont Fernande et son premier amour Prosper, l’homme au “suicide polygraphique” (rasoir + poison + noyade + révolver), puis les Ancêtres : Baptiste, le carrieur de pierres au mouchoir fin et à la face blème, Pierre de Nérac, etc.

O. N.

Camps de Concentration 1939-45
Mort de Didier 1949. Mort de l’Abuela 1950
“C’était l’Hiver, je m’en souviens, tout s’est précipité : Didier le pauvre petit venait de mourir, Marie avait la tremblôte et je t’avais amené chez Michaud, l’oculiste. Schelley m’a dit : “Vous êtes allées chercher le plus con sur la place de Bordeaux ; tout juste bon à soigner les nègres !” Il voulait te faire des piqûres de lait autour de l’œil ! “C’est un con ; il a traité que des canaques parce qu’ils osaient pas se plaindre, dans la brousse !” Il m’envoie chez Nicolas, à l’Abbé-de-l’Épée, près des Sourds & Muets. En plein Hiver ; ça neigeait à grosses bourres, on patinait sur la Devèze ; même les gosses laissaient des traces.

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Publié le 25 novembre 2020 dans texte Cosmologie Onuma Nemon

Vivre sa vie - Texte de Joël Roussiez

Date du document : 2018

Vivre sa vie (JL Godard, C. Hoebecrau)
Encombrée par un corps qui ne me convient pas, j’aime mon visage et la forme de mes reins. Quand je marche dans la rue, les regards s’arrêtent sur ma croupe et la honte me saisit d’être ainsi construite que j’attire la concupiscence. Mon humeur n’est pas capricieuse sans raison, je suis à l’intérieur d’un corps qui ne me convient pas, un peu trop gras ici et trop d’os par là. Je ressemble aux femmes anciennes. J’ai des formes, dit-on pour me complimenter.

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Publié le 25 avril 2020 dans texte DAO document

Du Poisson-Lune à l'Onyx - Mathias Perez

Date du document : Après 2000

DU POISSON-LUNE A L’ONYX

Vous avez attiré mon intention sur de grosses conneries racontées par des universitaires nées au moins vingt ans après les évènements sur la vie culturelle à Bordeaux dans les années soixante. Or comme le disait Saint-Simon, les Mémoires permettent du moins qu’on ne perpétue pas des versions officielles mais néanmoins fausses de l’histoire.

La chance que nous avons tout de même c’est qu’il y a parité en matière d’ânesses et de bourrins, tant à l’université qu’en radiophonie et dans le journalisme des rats crevés.

Je voudrais préciser ceci à propos du café-théâtre Poisson-Lune devenu Onyx, qui était situé au 94 rue Camille Sauvageau à Bordeaux, quartier Sainte-Croix.

Je connais très bien son histoire pour la bonne raison que je suis le cousin du propriétaire du bar l’Ibéria, Robert Triguero qui a ouvert cette salle dans un entrepôt attenant à son café dans son prolongement rue Saint-Benoit.

Je suis charpentier de marine et par extension menuisier. À l’époque je travaillais sur les quais et j’habitais au 9 rue du Port (à deux pas de là), en même temps que toute la famille Perez répartie dans tout l’immeuble vétuste, humide, et parfaitement malsain : un vrai taudis enchanté sur cinq étages, totalement détruit par la suite pour devenir cette parodie bourgeoise du Théâtre du Port de la Lune.

Robert Triguero, mon cousin, tenait le café de l’Ibéria où venaient régulièrement les étudiants des beaux-Arts. Ces derniers avaient trois cafés de prédilection : d’abord Chez Janine, en face de l’Abbatiale Sainte-Croix et à l’angle de la rue du Portail, ensuite l’Ibéria, dix mètres plus loin, et enfin au Longchamps, cours de la Marne, qui accueillait également les Navalais.

C’est donc tout, logiquement aux étudiants des Beaux-Arts que Robert Triguero a parlé de son projet de cabaret et lieu d’exposition, et c’est Daniel Busto qui a mis en forme avec Jean-Louis Froment le premier projet de soirées de lectures dans le cadre d’un cabaret de poésie.

Jean-Louis Froment à l’époque arrivait de Vevey en même temps que Delay et qu’un dénommé Pastor, si je me souviens bien. Il n’avait pas encore épousé Josy, la propriétaire de la Galerie Du Fleuve (que tenait à l’époque la vénérable Madame Henriette Bounin) ; il était loin de son traitement mensuel de 100 000 francs au CAPC et vivait plutôt modestement de son métier d’étalagiste. J’ai encore des photos de ses vitrines, notamment une très belle réalisée aux Nouvelles Galeries, rue Sainte-Catherine, avec de très grands pains ronds. Il était alors assez proche d’une autre décoratrice en volume haute en couleurs qui s’appelait Suzanne Palassy, et que certains étudiants surnommaient gentiment “Suzanne Perroquet” en raison de ses vêtements vivement bariolés.

Ce n’est que bien plus tard, en 1969, grâce à Lardin et Chaban qu’il a obtenu la gestion d’un atelier aux Beaux-Arts de Bordeaux, malgré son diplôme suisse, comme Delay.

*

L’aménagement du lieu comme Poisson-Lune a commencé en janvier 1967, et c’est moi qui m’y suis attaqué. Il ne peut y avoir d’erreur de date, car j’ai conservé tous les cahiers de chantier ainsi que les photographies des différents stades de travaux.

Les étudiants des Beaux-Arts ont énormément aidé aux travaux, notamment Pierre Barès pour le gros œuvre, Jean-Luc Selleret (cousin de Jean-Louis Froment), Daniel Busto et Françoise Labat (qui ont réalisé le plafond dont j’ai construit l’armature, en peignant des mains négatives au pistolet et des empreintes de mains et de pieds).

La première soirée au _Poisson-Lune_a eu lieu le 20 avril 1967. La carte d’invitation que Robert avait fait imprimer était ridicule (en lettres d’or torsadées comme pour une boîte de nuit), et Froment décida d’en refaire une autre aussitôt.

*

Guy Suire n’est intervenu que dans un deuxième temps, en même temps que Guy Baloup et Thérèse Liotard et toute une équipe de comédiens ; Suire s’occupait de théâtre et travaillait surtout à la radio, comme Busto, et c’est alors que le lieu a pris l’appellation de café-théâtre. Le premier à être créé en province.

À ce moment la plupart des participants du premier noyau (Nicolas Remcsack, Pierre Barès, Jean-Luc Selleret, Nadine Meyran, et au premier chef Jean-Louis Froment), sont partis, car ils ne supportaient pas Suire.

Et c’est le jeudi 19 octobre 1967 que le passage s’est fait du Poisson-Lune à l’Onyx. Le titre avait été choisi en commun par Busto et Baloup en référence à des bouts-rimés de Queneau parodiant Mallarmé.

La première exposition a eu lieu en février 1968. Une émission radio de Bordeaux-Aquitaine a été consacrée à l’Onyx le 23 février 1968 et une télé le 10 mars 1968 en même temps qu’à Sigma. On retrouvera tout cela dans les Sud-Ouest de l’époque avec plusieurs articles de Jean-Gérard Maingot (le Dandy de Cheverus !) et Pierre Paret (l’Ancêtre).

Parmi les poètes il y avait Nadine Meyran (qui a ensuite travaillé au CAPC), Anne-Marie Perier, Nicolas Remcsack, Paul Chose… J’en oublie. Et pour les chanteurs Jean-Claude Coquempot, Bernard Balavoine (frère de Daniel), surnommé “la chèvre” par Remcsak, François Huchet, Franck Ferrand et bien d’autres.

Les pièces représentées choisies par Suire allaient de Guy Foissy à Tardieu, Obaldia ou Arrabal et à des pièces de membres du groupe. Les collaborations avec la radio permettaient de faire venir des personnes plus connues comme Colette Magny. Gripari, par exemple s’est déplacé en personne pour assister à la création de sa pièce La Divine Farce.

Dans les expositions organisées, on a pu voir des travaux de Francis Limérat, Pierre Barès, Alain Vallet, Jean-Luc Selleret, Christian Delafond, Michel Jouhanneau, Jean-Marie Poumeyrol, Chantal Delafond, Alain Lestié…

On rencontrait là en 1967 et 68 en majorité les étudiants du CREPS (parmi lesquels des théoriciens politiques tels que André Decroix, le grand ami de Lapassade et de Lourau, Huberdeau Dumas, clown et théoricien de la boxe), ou Patrick Lacoste, le rugbyman psychiatre, à l’époque Grand Prix de poésie-jeunesse décerné par Jean-Pierre Rosnay. J’y ai vu Jean-Noël Cuin jouer de la scie musicale avec Emmanuel Lillet, son compagnon d’alors.

Différents happenings eurent lieu au Théâtre Barbey voisin (grâce à l’aide de Charles Imbert et Raymon Paquet), toujours en 67 et en 68, organisés par Busto, René Strubel, Loïc Picard ou Jean-Bernard Désobeau, dont un fameux Sans paroles ni musique, le 7 avril 1967 (enregistré par l’ORTF). Ces happenings réunissaient plusieurs comédiens parmi lesquels Jean-Pierre Nercam, Françoise Cabrié, Annie Roussel ou Thérèse Liotard (L’une chante, l’autre pas), initiatives singulières sans aucun rapport avec la programmation de l’Onyx.

Ensuite, après les évènements de 1968, la sœur de Robert Triguero et son comparse hébété se sont opposés à la poursuite du projet jugé peu rentable pour se remettre à la bibine honorable, et Robert a dû abandonner le lieu en faillite que tous les étudiants des Beaux-Arts ont alors déserté devant le couple maudit. La dernière fois que j’ai vu Robert c’est en 1970 à Paris chez sa mère dans un état lamentable.

Au-delà je n’ai rien su, sinon que la programmation ultérieure et touristico-intestinale n’avait plus rien à voir avec le projet de 1967. En Avril 1970 l’Onyx se trouvait Chez Jimmy, un endroit peu recommandable où Patrick Lacoste a dû faire office plusieurs fois de “videur”, ce qui lui réussissait parfaitement, avant qu’il ne devienne lacanien sur le Parc Bordelais. En 1979 l’Onyx était établi dans le quartier Saint-Pierre où il est resté jusqu’à la fin.

Je pense que vous pourriez publier les premiers articles de_Sud-Ouest_ que je vous envoie par courrier, notamment ceux de Jean-Gérard Maingot, passionné par la création du lieu et qui assista à toutes les “premières”.

Il faut noter tout de même qu’en mai 1968 un des membres fondateurs du lieu a été expulsé par le collectif pour avoir entre autres frappé un flic avec une statuette en bois de Don Quichotte (figure qui pourtant convenait bien au quartier !), et pour le danger qu’il était supposé représenter par rapport aux institutions.

On ne pourra prétendre l’inverse à propos de ce tribunal ridicule, car je travaillais sur un décor ce jour-là dans la pièce où il s’est tenu, et j’ai parfaitement entendu les jugements des uns et des autres.

Dans ce “tribunal populaire” figuraient tout de même de prétendus anarchistes (la chose est drôle !). L’un d’entre eux, dont le nom n’importe pas plus que Laxatif ou Furoncle, s’est soudainement revêtu d’une peau de mouton en se découvrant occitaniste pur et dur depuis l’Antiquité, alors qu’il venait juste d’apprendre l’occitan à Périgueux avec la méthode Assimil !

Le seul à avoir alors violemment protesté contre cette procédure, ce fut Jean-Louis Froment, bien qu’il n’ait plus fait partie du groupe depuis longtemps.

Mathias Perez

Publié le 2 mars 2020 dans texte billet

La Longue Lettre - José Izquierdo

Date du document : 1972

Le Groupe de la Folie-Méricourt était d’abord un groupe de filles, dont nous avons déjà donné le détail. Les hommes n’y participaient que de façon fugace, ils étaient forcément tangents à ce cercle sans le franchir, et du reste, sauf erreur, aucun d’eux n’apparaissait dans les petits Romans à Usage Interne qui étaient un des rituels du groupe.
Le plus proche était certainement le compagnon de Monique, Ermanno Krumm. À son arrivée à Paris en 1970, Ermanno, bien que familier des Novissimi et passionné par Denis Roche avait composé de magnifiques longs poèmes lyriques : EndymionAtalaDédale… à la fois épiques et élégiaques, sans la moindre ombre formaliste, dans une sorte d’heureuse joie antique préservée. Ce sont ces poèmes-là, découpés en strophes qu’il offrait aux terrasses de café avec Monique en faisant la manche.
Parmi les apparitions, il y eut Borer et sa théorie de l’hylémorphisme appliquée à Rimbaud, Frédéric Nef (avec Paulette Nef), auteur de La machine à branler ; puis celui qui s’était donné le surnom de José Izquierdo (José Gauche), un andalou régulièrement interné à Sainte-Anne, où il avait rencontré Monique et Laurence.
La Grande Lettre était une sorte d’adresse paranoïaque infinie.

Publié le 2 mars 2020 dans texte DAO document

Nouveau Spicilège de Joël Roussiez - Ensemble de textes inédits

Date du document : 2020

On se reportera impérativement au site de la Rumeur Libre, l’éditeur de Joël Roussiez pour trouver les derniers volumes parus, et en particulier l’ensemble de récits Au Verger des Anciens.

Une bien jolie vie I et II sont extraits de Livres de courtes proses III et Vivre sa Vie de Livre de courtes proses II. Ce sont des recueils inédits…

NDLR

Publié le 11 janvier 2020 dans texte DAO document